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Appel pour un premier mai solidaire

Pour les habitant·es des sous-bois, des parcs, des places et des quartiers de Liège et toutes celles et ceux qui leur donnent vie .

Nous sommes dans l’ère des pandémies et des basculements écologiques. Aucun ministre, groupe d’experts ou influenceur ne nous sortira de ce nouveau cycle. Mais rien n’est joué, tout commence et dépendra de notre capacité à organiser la solidarité.

Ce n’était qu’un début…

Il y a un an, au début de la pandémie, face à l’urgence, nos gouvernants se sont résignés à freiner la grande machine à produire et consommer. Liège est devenue pour quelques semaines une ville fantôme et silencieuse où erraient les oublié·es. Des pratiques solidaires ont émergé quand d’autres se sont intensifiées : récoltes et distribution de nourriture, de matériels, logements, confections de masques, aides aux sans-abris et aux personnes isolées… Certain·es s’autorisaient même à imaginer un « monde d’après » et la possibilité de dépasser ce système visiblement en burn-out.

Les autorités se sont vite ré-adaptées. Elles ont à nouveau priorisé le profit, le contrôle et la répression plutôt que la santé et le soin au sens large. Les restrictions se sont concentrées sur le temps libre sans s’appliquer au temps de travail. Usines, bureaux, entreprises, chantiers ont repris, tandis que nous entrions dans un long confinement de basse intensité — interdiction de se rassembler, de se voir, d’assister aux enterrements de proches, couvre-feux, manque d’accès aux soins, perte partielle voire totale de revenus, détérioration de la santé mentale… — afin de permettre à l’économie marchande de tourner. Notre quotidien s’est mis à ressembler toujours plus à celui de poulets d’élevage qu’on aurait connectés à des écrans. Le virus a continué de circuler. Les moyens n’ont pas été mis pour l’arrêter. Des milliers de personnes âgées ou fragilisées sont mortes, souvent esseulées, dans des conditions sordides.

Cette longue année a été marquée par des événements révoltants qui ont suscité de l’indignation et de la colère. À Liège, quand les cortèges de braises ont tenté de dénoncer cette situation, la répression s’est abattue à coups d’arrestations, de poursuites judiciaires et d’amendes. Le confinement sanitaire est devenu politique et justifie une gestion policière et raciste de l’espace urbain dont les contrôles au faciès sont l’exemple type. Depuis les événements du 13 mars à Liège, il est encore plus légitime de se poser la question : qui a accès à l’espace public sans être entravé ?

L’application de mesures pensées et calibrées sur la famille belge modèle (parfaitement incarnée par la famille royale nous saluant depuis son « jardin ») s’assortit d’une traque de toutes celles et ceux dont les conditions de vie ne correspondent pas à cet idéal type. Les villes, dédiées désormais à la consommation, sont devenues inhabitables. L’espace public, urbain, en tant que lieu de vie, de liens, pour tous a été réduit à peau de chagrin.

Ce que l’on nous prépare pour demain ne sera pas mieux. Tout déconfinement sera provisoire et variable : le passeport vaccinal pour aller boire un verre, le traçage pour savoir qui est autorisé à sortir du pays, à se rendre en forêt, à la mer ou en bas de chez soi, certains lieux culturels covid safe et d’autres pas. La liberté de circulation sera toujours davantage liée au statut économique et à la situation territoriale. Nous avons basculé dans l’ère du contrôle permanent pour motifs prétendument sanitaires. Mais les moyens pour lutter effectivement contre le virus ne sont toujours pas pris.

Vivre dans un milieu à risque

Soyons clairs, il n’y aura pas d’« éradication du virus ». Si celui-ci disparaît (ce qui est peu probable), d’autres viendront. Face aux atteintes faites aux écosystèmes provoquées notamment par la déforestation, la monoculture et l’élevage industriel, les zoonoses se multiplient (ces virus qui passent d’espèces animales aux êtres humains sont aujourd’hui responsables de trois quarts des nouvelles maladies). Conjuguée à la destruction des politiques de santé publique à l’œuvre depuis plusieurs décennies (prévention, surveillance, recherche, moyens, matériel), notre fragilité est structurelle. Le grand projet occidental de maîtrise et de domination totale sur le vivant est non seulement impossible et encore moins souhaitable : il signifie notre propre mort. Il est urgent de laisser plus de place au reste du vivant et de renforcer nos services publics, en bref de s’organiser pour stopper le ravage.

Nous n’acceptons pas de sacrifier les personnes les plus fragilisées face au covid-19 comme le sug gèrent des libéraux et l’extrême droite. Vivre dans un milieu à risque, c’est prendre en compte l’existence du virus dans nos faits et gestes. Ce n’est ni se foutre du virus en niant sa dangerosité ni accepter les mesures inégalitaires et les dégâts collatéraux des confinements.

Invoquer une liberté du chacun pour soi, est plus le signe d’un désespoir profond devant l’abîme de solitude où nous sommes plongé·es qu’une revendication. Pour être partagée, la liberté doit se conjuguer avec la solidarité. Nous préférons clamer : « solidarité avec les infirmières et toutes les fonctions de premières lignes, avec les enseignant·es, avec la jeunesse qui lutte contre les violences racistes de la police ainsi que celle qui lutte pour sauvegarder le droit à se rassembler et à faire la fête, avec les personnes sans-papiers et SDF à qui on nie toujours le droit de vivre une vie digne, avec les prisonnier.es encore plus lourdement condamné·es (absence de visites, adaptations sanitaires douteuses…), avec les femmes et les bénévoles obligées de fournir un surcroît d’assistance et de prise en charge sans être soulagées par des institutions ». Solidarité également avec les diabétiques, les asthmatiques, les séropos, les cancéreux·ses, les psychiatrisé·e·s, les personnes en surpoids… toutes les personnes non valides, malades ou handicapées qui se retrouvent en danger et cloîtré.e.s chez elles lorsque la liberté n’est pas scandée et réclamée pour toutes et tous.

Nous ne sommes pas là pour négocier des assouplissements, nous connaissons la dangerosité de ce virus si on le laisse circuler sans rien faire. Nous avons besoin de mesures pensées ensemble et de manière solidaire, en fonction des besoins, des situations de fragilité et des privilèges de chacun. Nous voulons qu’émergent des pratiques de réduction des risques et des solidarités concrètes. Réduire les risques c’est informer, former, faire confiance à l’expertise des usager·ères et l’étendre, se demander qui est compétent pour comprendre, agir et adapter des comportements à une problématique de santé. Nous ne sommes pas des taux d’incidence ou de mortalité. Nous exigeons une approche de santé qui s’appuie sur les capacités de chacun. e et la responsabilité collective en donnant les moyens à tout·es.

… Continuons le combat.

Le Premier Mai n’est pas la journée de réouverture de l’horeca, mais la Journée internationale de lutte des travailleur·ses, née pour instaurer la journée de huit heures de travail. Les travailleur·ses voulaient se réapproprier du temps nécessaire pour une vie digne d’être vécue et ré partir de manière plus égalitaire les profits de leur travail. Revendiquer la journée de huit heures, c’était refuser la centralité de la production et la remettre à sa place : soutenir et rendre plus agréable la vie. Nous voulons réactiver ces principes ici et maintenant.

Nous voulons reconquérir des espaces où déployer une véritable vie sociale et culturelle. Tout peut changer, à condition de repenser nos luttes non seulement sur la base de notre position dans l’économie, mais également sur la base de nos conditions de vie territoriales.

L’espace public sera toujours l’endroit où s’exprimeront nos oppositions contre leur gouvernance et les inégalités sur lesquelles elle est construite. Ces rues sont les nôtres, de jour comme de nuit, c’est nous qui les habitons. Nous sommes de celles et ceux qui y réclament la justice sociale et écologique. Nous pouvons reprendre nos places, nos théâtres, nos parcs, nos écoles, nos entreprises. Nous n’avons ni besoin d’un ordre sécuritaire ni de mesures d’austérité qui pèsent sur nos vies. Nous voulons une organisation sociale et économique à l’image de nos réalités et de nos capacités à faire du commun.

Rendez-vous à 12 h – Liège Esplanade Saint-Léonard.