Le minimum syndical

Critique de The Last of Us Part II (Naughty Dog, 2020)

Isabelle Huppert dans Le Temps du Loup (Michael Haneke, 2003)

Je ne sais pas vous, mais perso, après avoir fini The Last of Us (Naughty Dog, 2013) et tué ce mec sans défense parce que c’est ce que Joel aurait fait (et TLoU1 est suffisamment bien fait pour faire comprendre cela au joueur), je me disais quand même que ce pauvre pécheur ne l’emporterait pas au paradis. Quelle ne fut donc pas ma surprise, après une heure devant The Last of Us Part II, de le voir se faire cruellement assassiner à coups de club de golf sous les yeux de sa fille Ellie par une bande d’inconnus. Le reste, hélas, est à l’avenant : Ellie part se venger, et comme dans presque toutes les histoires de vengeance, celui qui bat les monstres devient le monstre, et Ellie va faire la peau à tous les complices du meurtre de Joel qu’elle trouvera, à coups de cinématiques semi-interactives insultantes où on appuie sur Carré pour torturer une femme avant de rentrer traumatisée à la base, ou bien on enfonce un couteau dans la gorge d’une autre femme avant de découvrir qu’elle était enceinte, et cætera.

Mais le jeu ne s’arrête pas là dans sa dénonciation courageuse de la violence gratuite, et vous fait incarner l’assassin de Joel, qui voulait venger la mort du mec sans défense de TLoU 1 (c’était son père). L’histoire d’Abby a beau être nettement plus intéressante que celle d’Ellie, elle n’en demeure pas moins une redite de TLoU1, qui elle-même était une redite de presque toutes les histoires de zombies. Et comme il s’agit d’un flashback, on sait d’avance comment elle se termine. Après ça, le jeu continue encore quelques heures, juste pour qu’on ait bien compris que la vengeance c’est mal et ça sert à rien de toute façon. Dommage que les moments où j’ai pris le plus de plaisir dans TLoU2 étaient ceux où je butais tous les mecs que je croisais, en écoutant leurs potes hurler leurs noms.

Les critiques (françaises) et les récompenses (bidon), de pair avec le budget (exorbitant) et les graphismes (photoréalistes) du jeu, voudraient nous faire croire que TLoU2 représente le sommet absolu de ce qui se fait en jeu vidéo aujourd’hui. Qu’on ne s’y trompe pas : un jeu vidéo où l’histoire n’est pas plus mauvaise qu’un film (de zombies), où l’action n’est pas plus mauvaise qu’un autre jeu (de tir dans des couloirs), où la première n’a rien à voir avec la seconde, et où les personnages ne sont pas tous blancs, virils et triomphants, ce n’est pas le jeu de l’année, mais le minimum syndical. Il aura fallu des milliers de jours-hommes pour que ça ne se voie pas, et que soit perpétué le mythe d’un jeu vidéo hollywoodien, tout juste bon à piller ce qui marche ailleurs, encore et toujours, jusqu’à ce qu’on (mais qui ?) décide enfin qu’il s’agit d’art.

(si ça vous intéresse, j’ai aussi écrit une critique (beaucoup) plus longue de ce jeu sur Argine)