La librairie sans nom

La librairie

De longues rangées de briques rouges dansaient devant lui alors qu’il déambulait dans un dédale de rues depuis des heures. En d’autres temps, ces murs avaient vibré aux sons des klaxons, du carillon de l’église et des cris d’enfants, mais les lieux étaient déserts, morts. A la suite des épidémies de 2027, toute la population s’était réfugiée dans les mégalopoles et peu étaient revenus. On les appelait : les dissidents. Ils se faisaient rares dans ce village, au grand dam de Florian qui aurait souhaité pouvoir demander son chemin. Les maigres indications qu’il avait trouvées sur l’itinéraire à suivre étaient vagues, trop vieilles sans doute.

Au détour d’une étroite ruelle, il tomba sur l’objet de sa quête. La devanture du commerce était d’un bois noirci dont la peinture, usée par le temps, se décollait ça et là. Les lettres, autrefois dorées, n’indiquaient qu’un mot : librairie. Enfin ! Il y était. Les vitres poussiéreuses ne laissaient passer qu’une faible lumière et ne permettaient guère d’en voir plus. Florian devrait entrer s’il souhaitait assouvir sa curiosité. Il resta cependant un moment sur le seuil, le regard dans le vide, respirant à grandes brassées, cherchant le courage de franchir ce dernier obstacle. La dernière fois qu’on s’est vu remonte à si loin ! pensa-t-il. Mais il n’avait pas fait toutes ces recherches, parcouru tout ce chemin pour s’arrêter si proche du but. D’une main, désormais plus sûre, il poussa la porte.

Une clochette tinta, annonçant l’arrivant. Les murs tapissés de livres ne renvoyèrent pas l'écho et le son métallique mourut aussitôt. Comme un humain l’aurait fait d’un index posé sur les lèvres, la librairie exigeait le silence.

Bien plus que la devanture ne le laissait croire, la pièce semblait minuscule. Elle n’en comptait pas moins des milliers d’ouvrages tantôt amoncelés dans des piles vertigineuses à équilibre précaire, tantôt comprimés dans des étagères de guingois dont la stabilité défiait les lois de la physique. Malgré la faible lueur des lampes à pétrole et le rangement aléatoire des livres, Florian aurait juré qu’ils étaient tous dans un état de conservation impeccable.

Tout petit déjà, les livres le fascinaient. Rien n’avait, durant son existence, égalé l’odeur d’un vieil ouvrage, l’enchaînement infini des phrases, l’histoire qu’on déroule comme un parchemin, le dénouement qui s’approche. D’autres distractions avaient tentés leurs chances : le sport et les jeux vidéos, entre autres, mais il en revenait toujours à lécher son index et à tourner les pages du premier imprimé qui passait. Sa génération, témoin de l'avènement du numérique, avait pourtant vu le format papier se raréfier. Presque disparaître. Mais pas pour lui. Lui, aimait trop le parfum du vieux papier, la moiteur de son doigt tortionnaire de coins de page, la satisfaction incomparable de ranger le dernier tome d’une saga à côté de ses prédécesseurs. Son enfance avait été couvée de livres. Pourtant, dans cette pièce exiguë, il se sentait cerné, dépassé. Une boule de stress lui poussa au ventre et comme pour la chasser, il fit un pas en arrière et percuta l’échelle de bibliothèque qui glissa sur son rail, se claqua contre le mur du fond et rompit le calme ambiant. Ce fut assez pour que les lieux s’animent enfin. La lueur vacillante d’une lampe se mit à éclairer la pièce d’un couloir qu’il n’avait jusqu’alors, pas soupçonné.

Un vieil homme centenaire, sous les traits d'un tortue rabougrie, fit son entrée tête en avant, le dos suivant loin derrière. Les sandales, le pantalon usé jusqu’à la corde, le polo surplombé d’un gilet jacquard, les lunettes à montures épaisses et le crâne chauve bordé de haies blanchâtres, complétaient le tableau à merveille. La calvitie est un signe d’intelligence, donc lui, il est brillant sur le dessus et un peu con sur les bords, aurait dit mon oncle. Il sourit. Florian faisait face à un rat de bibliothèque d’un autre temps.

L’ancêtre posa le livre qu’il tenait sur le bureau le plus proche du couloir et s’approcha du jeune homme, tripotant ses lunettes comme pour faire la mise au point.

« Que puis-je pour vous, jeune homme ?

— Ah ! Je ne suis plus aussi jeune je le crains, mais merci », dit-il, cachant à peine son amusement.

« Des vêtements aseptisés. De la haute technologie greffée sur la peau. » Il marqua un temps. « Qu’est-ce qu’un exilé peut chercher dans la boutique d’une vieille croûte telle que moi ? Votre chemin sans doute. Vous êtes bien du genre à vous perdre dans ces ruelles, non ? Il soupira. Comme tous les gens de la ville vous me direz. Trop assistés ! N’êtes plus guère habitués à errer par vos propres moyens. »

Florian resta pantois devant la vivacité d’esprit de l’aîné, même si le dédain de ce dernier le vexait un peu. Ses yeux marron brillaient d’une flamme qui n’étaient pas de leur âge. Ils le sondaient. Profondément et intensément. Craignant une autre ruade, il reprit :

« Euh... Je... A vrai dire, je cherche quelqu’un.

— Ah désolé, mon petit bonhomme. Ici, on fait dans le papier. La vente d’esclave, c’est un peu plus loin. Revenez sur vos pas et dirigez-vous vers les immenses tours d’où vous venez. Vous devriez trouver ce que vous cherchez derrière un panneau publicitaire : Liquidation totale, vente de chômeurs. » Bien que la remarque transpirait l’ironie, l’homme n’en resta pas moins impassible.

« Je crois savoir ce que vous êtes venu chercher, reprit-il.

— Non, je ne pense pas, je...

— Allons. Je ne viens pas d’une de vos cités, fiston. Moi, j’ai encore les yeux ouverts. Débarrassez délicatement la pile de livres de ce fauteuil et asseyez-vous.»

Il leva un doigt en signe d’avertissement.

« J’ai dit délicatement hein ? » Puis, marquant une pause : « Mais bon, je sens que vous aimez les livres, je n’ai pas à m’en faire. Je reviens ! »

Il quitta la pièce à pas lents, comme il était entré. Le calme revint.

Esseulé et ne voyant que faire d’autre – il n’allait tout de même pas partir maintenant – le jeune homme s’exécuta, prenant les livres quatre par quatre et les posant méticuleusement sur le côté. Puis, suivant le commandement du vieil homme, il cala ses fesses dans le fauteuil, faisant voler un nuage de poussière impressionnant. Bien que longue d’une dizaine de minutes, l’attente de Florian ne lui permit pas de faire le tour de la situation. Il était perdu. Après tant d’années, il avait fini par dégoter le commerce où était censés se trouver son oncle et sa tante. Il rêvait de les retrouver depuis des années. En lieu et place, un ancêtre sénile le prenait de haut et voulait résoudre un problème que lui-même n’avait pas posé. C’est une histoire de fou.

La voix rocailleuse de l’aîné résonna à nouveau dans le couloir. Il tirait quelqu’un.

« Mais viens. Viens, puisque je te dis que j’ai une surprise qui va te faire sacrément plaisir. »

L’homme tirait par le coude une femme d’une cinquantaine d’années que Florian reconnut aussitôt. Petite, des cheveux blancs légèrement ondulés et coupés au carré, des yeux d’un marron brillants et emplis de tendresse. Le doute n’était pas permis. D’un bond, il s’extirpa du fauteuil – nouveau nuage de poussière – se rua sur elle et la prit dans ses bras. Malgré la vivacité de l’assaut, elle avait également reconnu son assaillant.

Il desserra l’étau pour la regarder à nouveau et, presque une larme à l’oeil, l’appela comme il le faisait quand il était enfant :

« Tatie Aurore !

— Florian, mais qu’est-ce que tu fais là ?

— C’est dingue ! Je t’ai enfin retrouvée. Si tu savais. Je vous cherchais depuis si longtemps. Ne serait-ce que trouver un bourg comme celui-là, ce n’était pas facile. Alors trouver cette bâtisse... Je ne te raconte pas. Je me suis perdu. Il n’y avait personne pour me guider... »

Elle lui prit la main avec tendresse.

« Tu n’as pas beaucoup changé à ce que je vois. Toujours aussi énergique, hein ? Allez ! Calme-toi, et raconte-nous tout.

— Oui mais...

— Oh ! Bien sûr. Suis-je bête. Tu as raison... Attends que je nous prépare du thé et tu nous expliques tout ça. »

Elle courut dans le couloir, déjà impatiente de revenir.

La voix du jeune homme mourut sur une phrase à peine audible : « Et tonton ? ». Le vieil homme, qui s’était éclipsé à l’arrière de la boutique durant ce bref échange, partit d’un rire rauque et diabolique.

« T’es bien un gamin de la ville toi ! Tu ...

— Quoi ! » coupa Florian excédé.

« Tu ne m’as toujours pas remis ? »

Le gamin de trente-sept ans ne comprenait pas ce que son aîné voulait dire. Pourtant, quand ce dernier se redressa et glissa un sourire en coin, il lui rappela son oncle. Son oncle qui devait avoir le même âge que sa tante mais qui en paraissait le double. C’est n’importe quoi. C’est impossible !

« Ah! Enfin une petite lueur dans tes yeux. Tu as compris. Tu as compris, n’est-ce pas ? lâcha le vieil homme.

— Mais c’est quoi ce délire ? Que voulez-vous que je comprenne ?

— Juste ce que tu ressens déjà mais que tu sembles ne pas accepter, mon garçon. » Il marqua une pause puis, devant l’absence de réaction : « Alors ta tante a le droit à un câlin et moi à des remontrances ? Je t’ai connu plus aimant. »

Cette fois, il n’y avait plus de doute possible. Son oncle n’avait pas son pareil pour retourner une situation et vous faire culpabiliser.

Sous le poids de l’émotion, cette fois, il ne put contenir ses larmes et s’effondra dans les bras de son cher tonton Greg, larmoyant lui aussi.

« Mais comment ? Tu es... il réfléchit un temps. Tu ne fais pas ton âge », lâcha-t-il finalement ne trouvant pas les mots justes si tant est qu’il y en avait.

« Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Hé hé. Mollo bonhomme ! D’abord tu nous racontes ton histoire et ensuite, nous te raconterons la nôtre.

— Tu ne disais pas toujours : l’âge avant la beauté ?

— Impertinent en plus. J’adore ! »

Greg s’écarta des bras de son neveu et prit appui sur le bureau derrière lui. Les deux hommes s’observèrent de la tête au pied, constatant les effets du temps et ce que ce dernier n’avait réussi à changer.

« Tu es devenu un sacré type apparemment. Pourtant, je sens toujours en toi le gamin que je taquinais tout le temps et qui me câlinait en retour.

— Tu vas pas recommencer comme quand j’étais ado Tonton.

— Tonton ? T’as bientôt trente piges, et tu m’appelles encore Tonton ? Tu pourrais m’appeler Greg, tu sais ?

— Je préfère Tonton.

— Pfff ! » Son oeil balaya la pièce en quête d’éventuels espions, puis il murmura.

« Bon, alors, tu me racontes ?

— Je crois qu’on va attendre Tatie plutôt. »

Le vieux râleur partit dans son coin en bougonnant.

« Ah ! Super ! Toujours les mêmes préférences.

Bon, je vais l’aider dans ce cas. On n’a toujours pas acheté le marche-pied qui lui permettrait d’atteindre les placards du haut... Là où on trouve le thé... Tu vois le genre ? »

Un sourire au coin des lèvres, le vieil homme tourna le dos à Florian et le laissa en plan, au milieu des milliers d’ouvrages que comptait la librairie.

Autres mondes

Alors qu'il était à nouveau seul et que l'émotion retombait doucement, son regard se posa sur le décor qui l'entourait. Il vit la pièce, autrefois exiguë et étouffante, d'un oeil nouveau. De l'oeil de celui qui sait. Comment n'avait-il pu voir que le rangement, visiblement aléatoire des livres, répondait à une logique folle mais implacable. Logique, que seul son oncle comprenait. Comment avait -il pu croire que les meubles étaient portés par les livres plus que l'inverse. A bien y regarder, c'était indéniable. Sa tante maintenait volontairement et avec brio ces antiquités centenaires dans leur état d'origine. Il ne l'aurait pas juré dix minutes plus tôt, mais finalement, il aimait cette pièce. Ce petit nid de littérature l'avait accueilli comme s’il en avait toujours fait partie.

Son tour de propriétaire s'arrêta quand un livre vampirisa son attention. La couverture brun clair était d'un cuir souple de qualité, ceinte d’une lanière qui venait se refermer sur un clou raffiné, maintenant le précieux contenu à l’abri des regards indiscrets. Ce livre dégageait quelque chose aux yeux de Florian. Pas de halo magique ou de musique mystérieuse, non ! C'était plus interne. Son coeur s'était serré à la vue de l'ouvrage et maintenant, il battait la chamade à l'idée de s'en approcher. Il n’avait jamais ressenti ça.

Il poussa sur le côté les notes de son oncle – des hiéroglyphes aussi identifiables qu'indéchiffrables – pour découvrir le titre du manuscrit. Il n'y en avait aucun. Délassant le cordon et feuilletant quelques pages, il confirma son intuition. A sa grande déception, le Livre était entièrement vierge. Dommage. Une comptoise sonna 17h30, mais son attention était trop captivée pour découvrir l’origine du bourdonnement qu’il avait perçu. Le toc qu'il traînait depuis des années se rappela à lui. Comme chaque fois qu’il commençait une nouvelle histoire, il revint à la première page, ferma les yeux, posa la pointe de ses doigts et les fit glisser pour que sa paume prenne contact avec le papier. Sans savoir pourquoi, il prononça les mots : “Raconte-moi”. Son monde bascula...

Comme Dorothy dans sa ferme du Kansas, il sentit ses pieds se soulever. Bien qu’il gardait les yeux fermés, il savait que le monde tournait autour de lui. Comme poussé par une force mystique, il était aspiré par le Livre et l'absorbait en même temps. Ils ne faisaient plus qu'un. La tornade d'images qui défilaient derrière ses paupières s'arrêta finalement quelques secondes plus tard. Secondes, qui parurent des heures tant les hauts le coeur qui le taraudaient, s'exerçaient à faire sortir son déjeuner.

En ouvrant les paupières, il eut l’impression de se brûler les yeux et aurait aimé crier, mais aucun son ne sortit. L’éclairage, d’un blanc aveuglant légèrement bleuté, lui donnait toutes les peines du monde à distinguer les contours d’un décor naissant. Alors que sa vue s’adaptait et qu’il commençait à distinguer de vieilles tapisseries en tissu, le dessus d’une bibliothèque, les crânes de personnes penchées sur une table ; il comprit son rôle dans ce cadre étrange. Il était la source de lumière... Il était une ampoule. Comment est-ce possible ?

Une des personnes qu’il éclairait était un homme d’une trentaine d’années à qui la chemise bouffante, le pantalon en tweed et les bretelles de cuir donnaient un look aventurier. L’autre, était une femme coiffée de nattes qui dansaient sur les épaulettes de son tailleur gris au rythme de sa tête dodelinante. Au sérieux de sa robe droite s’opposait la posture et les cambrures de la jeune femme qui était littéralement vautrée sur le bureau. Bien qu’il n’avait pas l’habitude de les voir sous cet angle, Florian connaissait leur identité. L’homme prit la parole et ôta les derniers doutes qui planaient en Florian.

« Vous voyez Mademoiselle Fibie. J’en suis certain ! C’est à cet endroit que nous le trouverons. » Il pointa une montagne dessinée sur la carte qu’ils scrutaient tous deux.

« Vous semblez tellement sûr de vous et... excité. Je ne vois pas comment vous contredire Professeur Franky.

— Combien de fois devrai-je vous le dire ? Appelez-moi Kyky!

— Mais c’est le chien qu’on appelait comme ça...

— J'adorais ce chien. »

Florian aurait souhaité demander à son frère et sa soeur ce qu’il se passait : pourquoi ils étaient dans les années 1930 ; pourquoi lui, était une ampoule ; et surtout, le plus important à ses yeux, quel était ce trésor qu’ils semblaient convoiter ? Sa propre lumière s’intensifia et il ne distingua bientôt plus rien de la scène.

Quand elle s’affaiblit à nouveau, il était dans un décor beaucoup plus sombre, couvert de roches noires et moites, jonchées ça et là de torches dont la lumière rassurante accentuait encore l’inquiétude de ce que les ombres dissimulaient. Risquant un coup d’oeil sous lui, Florian s’aperçut qu’il flottait dans le vide. Il était dans une grotte cette fois, mais n’était plus une ampoule. Juste rien. Un rien qui voyait tout. De la mousse qui tentait de s’infiltrer par les nervures des rochers à l’eau, au loin sur sa gauche, qui coulait le long de la paroi et qui finirait par la creuser au fil du temps, aucun détail ne lui échappait.

Du fond d’un couloir rocheux, émergea un chemisier rose pâle qui courait dans sa direction à vive allure.

« Professeur ! Professeur ! ». Sa soeur criait en fuyant une masse grouillante qui la poursuivait. Florian aurait souhaité courir vers elle pour la prendre dans ses bras et la rassurer, mais ses efforts restèrent vains.

Florian n’eut aucun mal à distinguer les milliers de pattes ténébreuses et velues qui se chevauchaient, s’agitaient, se bousculaient pour être les premières à mettre le grappin sur leur victime. Poussant plus loin sa curiosité, il s’attarda sur une mygale qui écrasait ses congénères de son poids imposant et dont les mandibules s’agitaient frénétiquement à l’idée qu’une proie aussi fraîche ne se trouvait pas tous les jours.

L’écart entre Fibie et ses poursuivantes n’était que d’une dizaine de mètres quand elle arriva au bord du précipice. Le cri qu’elle poussa fût étouffé par un immense claquement. L’omniscience soudaine de Florian lui permit de connaître l’origine du son sans même se retourner. Il savait que son frère s’était accroché à un rocher avec son fouet et qu’il plongeait vers sa soeur pour la sauver des araignées qui n’étaient plus qu’à quelques mètres. Il l’attrapa par les hanches et leur course s’arrêta sur une paroi, à quelques mètres de là. Fibie pleurait dans les bras de son héros.

« Oh ! Professeur Franky. Vous m’avez sauvée.

— Ce n’est rien, soeurette. Mais combien de fois devrais-je te dire de m’appeler Kyky.

— Oui. Mais... » Sa voix mourut alors qu’elle apercevait les arachnides qui redoublaient d’effort pour les atteindre.

« Qu’est-ce qu’on fait ?

— Là... » Il prit un instant pour réfléchir et scruter les éventualités qui se présentaient à eux. A deux, sur un petit rocher, et rien aux alentours. « Je crois qu’on est dans la merde ! »

Florian porta une main à sa bouche et ferma les yeux. Il ne put les rouvrir tout de suite et eut à nouveau l’impression que le monde tournait autour de lui, mais cette fois la sensation était encore plus désagréable. Il ne savait pas qui ou quoi, mais quelque chose s’évertuait à lui arracher une partie de lui. C’était le livre. Il le sentit clairement s’extirper de son coeur et déchirer les chairs de son poitrail pour être à nouveau une entité propre. Jamais il n’avait ressenti pareille douleur.

Jonché sur le sol de la pièce redevenue calme, une main sur le coeur, il s’accorda quelques secondes pour reprendre son souffle. Il releva la tête et balaya la pièce tentant de trouver des repères. Lentement et d’une main mal assurée, il prit appui sur la table en chêne pour se relever. Le manuscrit avec lequel il était sûr d’avoir fusionné était là, à l’attendre à quelques centimètres. Il exhibait fièrement sa couverture et le clou qui l'enchâssait semblait l’appeler. Florian, emporté par sa curiosité et son excitation, ne prit pas une seconde pour réfléchir à ce qu’il venait de lui arriver et à ce qu’il s'apprêtait à faire. D’une main beaucoup plus sûre, il fit rouler la couverture sur le côté, posa sa paume sur la première page et, se préparant comme il pouvait au malaise à venir, prononça la phrase : « Raconte-moi ».

Toute préparation était vaine. Les yeux mi-clos, il sentit la tempête se lever à nouveau, son coeur battre la chamade. Ses organes glissaient les uns sur les autres, comme pour faire de la place à un corps étranger : un élément chaud et doux, pas si étranger finalement, qui petit à petit trouvait sa place. Le Livre.

Lorsqu’il reprit conscience, il était entouré de cuves en inox à perte de vue. Des autocollants jaunes et noirs tapissaient les murs pour avertir les pauvres malheureux qui se seraient perdus, que la zone était dangereuse. Le son déclinant d’un moteur s’arrêtant berçait la pièce.

Lorsque le bourdonnement prit fin, une sonorité beaucoup plus stridente et agressive retentit. Les cuves se teintèrent par intermittence de jaune et de rouge vif. Des hauts-parleurs rugissaient, des gyrophares s’affolaient. Quelqu’un, quelque part, avait déclenché une alarme.

S’il n’avait eu ce point de vue particulier et ses sens décuplés, il n’aurait sans doute rien remarqué. Mais il sentit, puis vit, deux ombres bondir de cuve en cuve. Elles semblaient absorber la lumière et l’impulsion de leurs pas laissait à penser que même sans les cris assourdissants de l’alarme, les ombres n’auraient émis qu’un infime frottement.

Elles s’arrêtèrent à sa hauteur et Florian put enfin distinguer leur apparence. Deux fines silhouettes féminines élancées, dissimulées sous un drapé nuit qui prenait des allures de fumée lorsqu’il se mettait en mouvement. Des Kunoïchi. Il ne savait pas d’où venait ce mot et ce qu’il signifiait, mais en son for intérieur, il savait que c’était ce qui leur correspondait le mieux. Seuls leurs yeux étaient apparents. Je connais ces yeux.

La plus menue des ninjas se tourna vers l’autre, un brin dédaigneuse.

« Alors ! Tu ne sais plus couper une alarme ?

— Dis pas n’importe quoi. Je voulais juste un peu de fun. Tu as fait le boulot ?

— Arrête de poser des questions stupides. On a cinq minutes pour quitter les lieux. Ah ! Et arrête de mentir aussi. Tu t’es trompée, ce n’est pas grave, mais tu pourrais au moins le reconnaître.

— Ne commence pas hein ? Elle marqua un temps. Bon et si on faisait un pari ? Je n’ai besoin que de trois minutes pour sortir. La dernière dehors paie un Mc Do à l’autre.

— Nan mais t’es malade ? C’est un resto que tu vas me payer, cocotte. Pas une saloperie de fast food. Radine ! »

Terminant à peine sa phrase et tirant le manche du sabre qui lui barrait le dos, elle s’élança vers le couloir où des gardes venaient de débarquer. Des somations et quelques ordres furent prononcés mais les deux sabres taillaient les vigiles en pièces, et toute tentative de mise en formation semblait inutile.

La scène devint floue tandis que des convulsions envahissaient Florian. Son corps luttait contre ce qui lui arrivait, mais il était arraché du Livre à nouveau. De force cette fois, semblait-il. Alors que ses yeux se fermaient sur les deux ombres qui tapissaient les murs de sang, il pria une dernière fois pour leur sort. Rachel, Mareva. Courage mes soeurs.

Le livre

Sa joue l’élançait drôlement alors qu’il ouvrait les yeux tant bien que mal. Son oncle lui tapait le visage depuis plusieurs minutes, en hurlant son nom.

« Florian ! Florian ! Allez, réveille-toi mon garçon. Allez ! Debout ! »

Un mélange de sang et de poudre nutritive emplissait sa bouche, comme s’il s’était cogné la mâchoire après avoir vomi. S’il avait posé la question, son oncle aurait pu lui dire qu’hormis l’ordre, il avait visé juste.

Florian puisait dans ses réserves pour trouver la force de repousser la main de son oncle, qui poursuivait son matraquage, mais ses muscles restaient réfractaires.

« Allez mon gars !

— C’est bouon. Wé mieux. » Il était maintenant sûr de s’être cogné le menton. Et pas qu’un peu.

Son oncle tentait comme il pouvait de le relever mais faisait sans le savoir, pire que mieux. Pour Florian, il valait mieux trouver au plus vite le courage de se relever, en espérant que son aîné arrêterait de le tordre en tous sens.

Ses articulations pesaient une tonne, ses tendons étaient enflammés et c’est à la seule force de sa volonté qu’il parvint à se hisser sur la première chaise venue.

Il fut soulagé de voir que son oncle s’était écarté, errant au fond de la pièce, perdu dans ses pensées. Sa tante lui tendait un verre d’eau qu’il accepta bien volontiers, puis reprit lentement la route du couloir.

Alors que ses muscles lui accordaient un moment de paix, il laissa fureter son regard tentant de combler les vides.

Quelques livres étaient renversés sur le passage de sa tante. Voir qu’aucun des deux ne les ramassaient alors que les pages commençaient à prendre le pli sous le poids des ouvrages, le mettait hors de lui. Il aurait souhaité les secouer en retour, mais en était incapable.

Sa tante ramassait les débris de deux mugs blancs explosés en mille morceaux éparpillés un peu partout. La théière renversée laissait s’échapper goutte à goutte son précieux nectar. Aurore ne la voyait pas. Son regard était flou, ses gestes, imprécis. Florian ne pensait pas les avoir inquiétés à ce point. Mais qu’est-ce qui s’est passé bon sang ?

Machinalement, il porta une main à sa poitrine et commença à prendre conscience qu’une partie de lui manquait. Poumons, foie, reins, coeur, tout était là. Tout ? Sauf le manuscrit. Le Livre avait laissé en lui un vide immense qu’il ne saurait jamais combler. Sauf... Sauf en le touchant à nouveau, il en était persuadé.

Sa mâchoire commençait à l’élancer. Quelque part c’était bon signe... il retrouvait des sensations.

« ... Y mé arrivé ? »

Son oncle s’approcha furieux. Pour quelqu’un qui le connaissait bien, derrière la colère, ses yeux trahissaient encore de l’inquiétude.

« Il t’est arrivé que sur les milliers de bouquins qu’il y a ici, tu as touché au seul livre qu’il fallait éviter.

— Mais ?

— Mais quoi ? C’est quand même dingue ça. Voilà qu’il faut même planquer ses livres chez soi maintenant. »

Aurore s’approcha et lui posa une main sur son bras tremblant.

« Calme-toi mon vieux coeur », lui dit-elle un sourire aux lèvres avec toute la chaleur qu’elle savait donner.

Les spasmes passèrent aussitôt et son ton baissa. Il reprit en soupirant :

« Ah... Florian. » Il prit un temps pour chercher la formulation la plus claire possible.

« Comme je te le disais, tu n’as pas pris le bon livre. Tu as pris l’oeuvre qui a empli ma vie. Celle qui causa et causera ma perte. » Dans un râle d’effort il prit un siège près de son neveu et sa femme l’imita.

« L’ancien propriétaire de ces lieux m’a un jour donné ce manuscrit, pensant que j’étais prêt. J’ai été subjugué par ce qu’il dégageait. Son cuir, son lacet, le grammage du papier. Il m’appelait. Tu comprends ? »

Il posa une main pleine de compassion sur l’épaule de Florian.

« Oui. Je pense que tu vois ce que je veux dire. Bref ! Comme toi, j’ai prononcé les mots qui changèrent ma vie.

— Non. Non ! addends », sa bouche était encore pâteuse.

« Attends ! J’ai été asbiré par le bouquin. Je pensais que c’était un rêve ou un cauchemar, je ne sais pas trop, mais là tu me dis que c’était vrai ? »

Greg acquiesca d’un hochement de tête.

« J’ai vécu quelque chose de ce genre, mais je n’ai pas été aspiré. Visiblement ça agit différemment sur chacun de nous.

— Mais c’est quoi ce truc ?

— Honnêtement, je ne sais pas trop. Ça n’a rien de magique, j’en suis certain. J’y réfléchis depuis longtemps et je me dis que tous ceux qui dessinent, écrivent, peignent, dansent ou d’une manière générale, créent; tous, y ont accès sous différentes formes... s’ils ont de la chance, ou de la malchance, selon le point de vue. Tu peux appeler ça un point de concentration, une muse, l’Inspiration, ou ce que tu veux. Quoiqu’il arrive, je pense que ça fait ressortir ce qui est enfoui en certains et ça les hante.

— Tu plaisantes Tonton ? C’est n’importe quoi.

— Ah bon ? Et d’où crois-tu que je sors toutes les histoires que tu as lues ? »

Florian resta pantois.

« Oh c’est sûr. Ces histoires étaient quelque part en moi mais je n’arrivais pas à les exprimer. C’est ce manuscrit qui a été le déclencheur. Et visiblement il est aussi efficace sur toi. »

Greg laissa à son neveu un peu de temps pour reprendre ses esprits.

« Le Livre est aussi responsable de mon apparence, que tu avais tant de mal à décrire tout à l’heure. »

Il travailla son assise dans le fauteuil, redressant la colonne vertébrale et la tête. Si on oubliait son visage marqué, il n’avait plus la posture d’un homme en fin de vie.

« J’ai le même âge que ta tante. On s’est toujours collé à trois semaines près », glissa-t-il dans un sourire.

« On ne décompte plus trop mais on approche doucement la soixantaine il me semble. » Ses yeux croisèrent ceux de sa femme et il lui prit la main, cherchant le courage d’entamer la suite.

« Je ne crois pas que je les atteindrai mon garçon. Mais ce n’est pas grave. J’ai ta tante auprès de moi depuis longtemps et nous avons eu une belle vie. » Sa main se reserra sur celle de son aimée.

« J’ai été imprudent et le Livre m’a bouffé. C’est pour ça que nous avons eu si peur pour toi.

— Mais pourquoi ? Que t’est-il arrivé ?

— Tu le sais non ? »

Florian porta une main à son coeur.

« Oui tu le sais. », dit-il en faisant le même geste.

« Encore une fois il n’y a rien de mystique là-dedans. Créer, c’est livrer une part de soi. Hé ! On dirait la phrase d’accroche d’un camp d’écriture fan de cliché, non ? Pas tant que ça mon garçon, pas tant que ça. Tiens au fait, ça existe encore les camps d’écri...»

Aurore lui signifia la digression d’une tape sur la main, geste que son mari avait pris l’habitude de faire au fil des années.

« Vieux sénile.

— Ah ben bon Dieu ! C’est l'hôpital qui se fout de la charité.»

Toujours ces vieilles rebuffades.

« Bref ! Reprenons. Quelque part, tu as déjà lâché une partie de toi. Tu t’es mis à nu. Ce que tu livres, en imagination ou couché sur un papier, te quitte à jamais et c’est ce vide que tu ressens en ce moment au plus profond de tes tripes. »

Greg se pencha en avant et joignit les mains de son neveu dans les siennes.

« C’est sûr que, présenté comme ça, on dirait une mauvaise chose, mais c’est simplement... une création, et c’est sans doute ce que nous pouvons donner de plus beau au monde. Qu’il s’agisse de peinture, de dessin, d’écriture, de cuisine, quel que soit ton mode d’expression en fait, il faut partager ce que tu as en toi. De toutes façons, au moment où tu y penses, ça ne t’appartient déjà plus alors autant en faire profiter les autres, non ?

— Oui. Ok. j’ai bien compris ça. Mais toi ?

— J’ai abusé.» Ses épaules se voûtèrent.

« Quand j’ai eu le Livre en ma possession, j’ai été happé. A tel point que je ne faisais plus que ça. Je l’avais toujours à portée, en quête de nouvelles choses à dire. J’ai trop tiré sur la corde et elle s’est jouée de moi. Mon corps s’est affaibli, ma plume m’a fui, et aujourd’hui, je ne peux plus... Je ne peux plus rien faire de tout ça et ça me désole. Mais là n’est pas la question.

— Pardonne-moi Tonton, mais je ne suis pas sûr de comprendre.

— Ce n’est pas important. Pas pour l’instant du moins. Un jour le Livre te reviendra, mais ce n’est pas encore l’heure. J’ai pu t’expliquer le revers de la médaille que j’ai subi alors tu sauras sans doute en tirer les leçons. Je l’espère. Continue de lire, de rencontrer des gens et d’écouter ce qu’ils ont à partager. Sois ouvert ! Tes créations n’en seront que plus belles. »

Quand le vieil homme s’arrêta, aucun son ne prit sa place et le silence régna pendant quelques minutes, laissant Florian songeur. Tonton Greg se tourna vers son épouse et lui sourit.

« Je crois qu’on a choqué notre petit bonhomme.

— Il est toujours l’heure pour un bon thé et un changement de sujet, non ?

— Diable ! Regarde ça Florian ! T’as vu ce sourire qu’elle m’a fait ? Comment pourrais-je résister à ça ? Hein ? Allez on y va. »

Les deux aînés se levèrent puis, s’engouffrant dans le couloir, laissèrent leur neveu seul, la tête basse, empli de pensées sombres sur ce que son oncle venait de lui expliquer et sur toutes ces années qu’il avait manquées. Une main vint se poser sur son crâne et coiffer ses cheveux. Greg se mit à sa hauteur et appuya sa tête contre la sienne. D’une voix douce, il l’invita :

« Allez viens maintenant. Tu as toute une vie à nous raconter et la soirée ne sera jamais assez longue. En plus ta tante n’a quasiment rien dit depuis ton arrivée et je crois qu’elle va vouloir se rattraper. Tu la connais, non ? »

Le clin d’oeil qui accompagnait cette phrase allégea l’atmosphère.

« Il te faut un coup de main pour te relever Tonton ?

— Morveux ! » Son genou craqua dans une vaine tentative.

« Bon oui, peut-être bien. »

Florian prit son oncle sous son épaule et ils marchèrent cahin caha en direction de la cuisine. Les piques et les rires avaient retrouvé leur place entre eux et ils étaient annonciateurs de la bonne soirée qu’ils allaient passer. Lentement les discussions s’étouffèrent au fond du petit corridor et la librairie redevint silencieuse.

Comme ils s’en doutaient, la nuit fut trop courte pour qu’ils puissent partager tout ce qu’ils auraient souhaité. Le coeur lourd, mais empli d’une promesse de retour rapide, Florian les avait quittés au petit matin avant que la menace des haut-parleurs des douanes ne devienne réelle : « Au delà de 24 heures en dehors des frontières, vous devenez un dissident et par là-même, …»

Epilogue

Un matin de novembre, deux ans plus tard, la petite Margareth, du haut de son mètre quarante trois, et pleine de tâches de rousseur entra dans le cabinet de son père, un colis à la main.

« Papa, c’est pour toi.

— Merci Maggie. pose ça là. » Il désigna un coin de son bureau sans lever les yeux.

Têtue comme son père, elle insista.

« Je ne sais pas d’où vient ce paquet, mais ce n’est décidément pas d’ici. » dit-elle, pensant que cette simple phrase attirerait son attention.

Elle avait vu juste.

Même si la manipulation était évidente, Maggie n’avait pas menti. Le colis était recouvert d’autocollants en tous genres, gageant qu’il avait passé la douane, la brigade anti-terroriste, le contrôle sanitaire et bactériologique et tout un tas de contrôle aux acronymes divers et variés. Le pli venait de dissidents. Et il n’en connaissait que deux.

Depuis cette merveilleuse nuit et malgré de nombreuses tentatives, il n’avait jamais réussi à retourner en zone banie. Les contrôles étaient trop sévères et les passeurs, hors de prix.

Quelque part, Florian savait que ce pli ne pouvait annoncer qu’une chose.

Maggie se posta sur ses genoux alors qu’il déchirait le papier et elle fut la première à voir ce que le carton dissimulait. Impatiente et curieuse comme son père, elle finit de déchirer le papier et resta coite devant le Livre. Il était encore plus beau que dans les souvenirs de Florian. La couverture de cuir souple reluisait et le cordon n’était pas le même. Sa tante l’avait restauré. Alors que la petite tendait une main vers ce magnifique ouvrage, son père la retint.

« Ma chérie, tu veux bien me laisser seul un moment ? », dit-il en caressant ses longs cheveux bouclés.

« Mais papa ?

— Non pas cette fois ma chérie. S’il te plaît laisse-moi seul... Je te raconterai une histoire ce soir.

— J’ai douze ans, je n’ai plus l’âge.

— Oh il n’y a pas d’âge tu sais. Et crois-moi, ça sera une belle histoire. Une que tu n’as jamais entendue. »

D’habitude elle aurait protesté, mais elle sentit dans la voix de son père un soupçon de tristesse et n’insista pas d’avantage.

La porte à peine fermée, Florian parcourut les pages de ses doigts qui n’avaient pas oublié. Ils semblaient retrouver ce qui leur manquait depuis trop longtemps. Arrivé à la première page, il trouva une note, dont la magnifique calligraphie, ronde et dynamique, trahissait l’auteure.

« Il souhaitait qu’il te revienne. Il t’aimait. Moi aussi. »

Le temps aidant, Florian avait finalement compris la leçon de son oncle, et c’est sereinement qu’il posa la pointe de ses doigts sur la première page. Sa main glissa doucement jusqu’à recouvrir entièrement le papier. Il ferma les yeux et, alors qu’une larme glissait le long de ses joues, énonça à voix haute :

« Raconte-moi la vie de Tatie Aurore et Tonton Greg. »

FIN