🚜 La transition vers l'avoine bio réduira-t-elle les impacts écologique?

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Il y a presque deux ans, je commençais à rédiger un article de vulgarisation sur les impacts écologiques de l'agriculture bio comparativement à celle non-bio (que l'on nomme “conventionnelle”). Malheureusement, je n'avais alors pas de données québécoises autre qu'un rapport du MAPAQ de 2011, qui admettait lui-même n'avoir que très peu de données québécoises sur le sujet, ainsi qu'une petite quantité d'études internationales. Je n'ai lu depuis aucune étude québécoise vraiment fiable... jusqu'à il y a quelques jours, alors que mon collègue de l'UQAC, Maxime Paré, m'écrit.

Bonjour Serge-Étienne, j'espère que tu vas bien. Je pense que notre récent article devrait t'intéresser 😛. https://authors.elsevier.com/c/1eo0W3QCo9f8Lc

L'article (Viana et al., 2022), dont Maxime Paré est co-auteur, compare la production d'avoine bio et conventionnelle avec une analyse par cycle de vie.

Avertissement. Une analyse par cycle de vie ne peut pas tout compter. Celle de Viana et al. (2022) se limite aux impacts directs de deux sites de production d'avoine au cours d'une seule saison. Elle ne représente pas les impacts indirects et reste localisée dans l'espace et dans le temps. Également, l'ACV ne représente pas des impacts mesurés, mais des impacts potentiels. Pour un point de vue plus global, je suggère une lecture attentive de la méta-analyse de Clark et Tilman (2017).

Leviers pour chaque régie

L'article identifie d'abord les activités les plus impactantes de chacune des régies (bio et conventionnelle) sur deux résolutions, finale (endpoint) et intermédiaire (midpoint). Les impacts finaux consistent en trois indicateurs pour chaque régie de culture: écosystèmes, santé des personnes exposées et la déplétion des ressources. Les impacts intermédiaires se déclinent en 18 aspects: changements climatiques, acidification, eutrophisation, écotoxicité, utilisation du territoire, rareté des ressources fossiles, etc.

Résultat: les impacts des fertilisants synthétiques et organiques prennent une large part des impacts, en particuliers les impacts intermédiaires liés à la pollution de l'air et de l'eau. D'une part, la production de fertilisants synthétiques azotés demande beaucoup d'eau et d'énergie, et le gaz naturel (dont celui de Gazprom) est utilisé comme source d'hydrogène – notez que d'autres options deviennent de plus en plus abordables. La production de matières fertilisantes pour le bio, considérée comme un impact indirect, n'est prise en compte ni pour ses externalités en production d'engrais verts, ni comme sous-produit de l'élevage. C'est tout-à-fait compréhensible, car on pourrait difficilement faire reposer les impacts écologiques de l'élevage sur le fumier plutôt que sur son rôle économique principal (e.g. la viande). Mais considérer le fumier comme une ressource recyclée dans un système (un coproduit) et non un sous-produit lui attribuerait conséquemment une petite part des impacts de l'élevage, et alourdirait les impacts des pratiques qui en font usage.

Viana et al. 2022, figure 2 Viana et al. (2022), figure 2. Image pleine largeur

Les secteurs d'impact sont probablement les résultats les plus intéressants de l'article d'un point de vue pratique. Mais pour guider les politiques publiques, on peut présenter le problème en terme de comparaison bio/conventionnel.

Analyse comparative

L'analyse comparative bio/conventionnel est rapportée sur trois bases relatives (ou unités fonctionnelles) : les impacts par surface cultivée (par exemple, CO2éq / hectare), par masse alimentaire (par exemple, CO2éq / kg de grain) et par revenu monétaire (par exemple, CO2éq/$). Les auteur.e.s font peu de cas de la base sur le revenu, indicateur économique davantage qu'écologique, mais restent ambivalents quant aux deux autres, préférant les impacts par masse alimentaire pour mesurer l'efficacité écologique et les impacts par surface pour mesurer les impacts totaux. Pourtant (il s'agit de ma seule critique importante de l'article), l'impact de la surface cultivée ne signifie pas un impact total sur les écosystèmes, pas plus que l'impact de l'aliment produit. Pour mesurer un impact total, on passerait plutôt par du cas par cas, selon la concentration des activités agricoles dans un bassin versant, la nature de ces activités et la nature du bassin versant, etc. C'est pourquoi, pour un point de vue indépendant de l'écosystème hôte (ce qui est imparfait, on s'entend), mieux vaut se concentrer sur l'efficacité écologique des pratiques, par masse alimentaire, qui mesure l'impact de l'aliment – la base par surface risquant de présenter comme favorables des pratiques misant sur la dilution des impacts.

Les auteur.e.s présentent leurs résultats dans un tableau, duquel j'ai récupéré les données pour les présenter graphiquement.

Données de Viana et al. (2022), tableau 4 Données de Viana et al. (2022), tableau 4. Image pleine largeur

Les impacts finaux (endpoint) montrent que, sur une base fonctionnelle alimentaire (par masse produite), l'avoine bio a eu un impact plus délétère que le conventionnel sur la déplétion des ressources (quoi que marginalement), sur les écosystèmes, et sur la santé humaine.

Quant aux impacts intermédiaires (midpoint), le bio performe moins bien pour 8 des 10 indicateurs écologiques, en particulier celui que j'ai coloré en rouge: l'occupation du territoire, qui contribue à 70% de l'impact total lié à la biodiversité. Les auteur.e.s notent néanmoins que les territoires cultivés ne sont pas nécessairement dévastés, et que les impacts sur le territoire ne sont pas uniformes d'une pratique culturale à l'autre.

Note. Bien que les études tendent à démontrer que le bio soit hôte d'une plus grande diversité biologique, un site agricole n'est pas un habitat sauvage et ne devrait pas – sauf exception – être considéré comme une zone de conservation des espèces. L'agriculture biologique, régénérative, la permaculture, etc., ne sont pas des stratégies de conservation des espèces.
Les secteurs écologiques où le conventionnel fait pire sont liés à l'écotoxicité de l'eau, et attribuables à des différences quant à l'utilisation des pesticides. Cela correspond aux résultats d'un rapport suédois publié en 2016. Mais également, l'ACV inclut la production et le transport des fertilisants et pesticides, dont la balance favorise aussi l'agriculture biologique. Néanmoins on retrouve une écotoxicité terrestre moindre en conventionnel. La raison? Le fumier n'est pas une commodité accessible à la porte. L'explication de Luciano Viana montre la finesse de son ACV.

La production biologique demande une quantité très importante de transport pour le fumier de poulet. Entre les causes principales, il se trouve les émissions de cuivre dues à l’usure du système de freinage des camions. En effet, les émissions de particules de frein sont presque toutes inférieures à 10 μm et sont constituées en grande partie de proportions importantes de métaux lourds. – Luciano Viana, communication personnelle.

Alors que le bio impacte davantage avec une mince marge la déplétion des ressources en général (endpoint), certains aspects le favorisent plus ponctuellement, non pas concernant les combustibles fossiles comme on l'entend souvent, mais principalement concernant la contribution au bilan hydrique (utilisation de l'eau relativement au renouvellement de la ressource). Luciano Viana, premier auteur, m'a expliqué que la différence était essentiellement attribuée à la synthèse des fertilisants azotés, gourmande en eau – je le répète, l'ACV externalise les impacts de la production des fertilisants en bio.

Quant aux impacts sur la santé humaine, ils sont liés aux personnes exposés à la production, et non aux consommateurs. La mise en suspension aérienne de particules fines et la formation d'ozone jouent contre le bio, la toxicité non-cancérigène jouant contre le conventionnel. La toxicité cancérigène est à toute fin pratique équivalente.

En somme

Il s'agit d'une première étude québécoise comparant les impacts entre régies biologique et conventionnelle grâce à une analyse par cycle de vie. Les résultats obtenus ne détonnent pas de la littérature scientifique sur le sujet, qui montre que les performances écologiques de l'agriculture biologique sont inférieures à l'agriculture conventionnelle. Ainsi, pour les indicateurs écologiques les plus importants, le bio fait pire que des régies de culture (regroupées sous le terme “conventionnelle”) qui n'ont pas, dans la plupart des cas, été conçues pour être écologiques.

Enfin, un message que l'on pourrait tirer de l'article est qu'il est contre-indiqué de présumer des impacts des productions agricoles selon la régie de culture, qu'elle soit ou non certifiée bio. Les politiques publiques en agriculture, et plus largement en agroalimentation, devraient être guidées non pas selon l'adhésion ou non à une collection de normes développées en marge de la science, mais selon les effets attendus ou avérés des pratiques agricoles et des produits alimentaires.

Immense merci à Luciano Viana et Maxime Paré qui ont répondu à mes questions avec enthousiasme.

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