La dynamique de la révolte

Cet article est un court résumé, avec parti pris, du livre La dynamique de la révolte publié par Éric Hazan aux éditions La Fabrique. Vous pouvez l'acheter ici pour 5€ en epub ou 10€ en version papier, je vous le recommande.

Ce livre étudie la dynamique de la révolte, c’est-à-dire ce qui la cause et comment elle se construit ; il ne se penche pas sur ce qui la fait échouer ou réussir.

L’insurrection vient avant l’éducation politique

On dénonce souvent la dépolitisation de la jeunesse, en la traitant de matérialiste et en lui reprochant son peu d’intérêt pour les événements politiques autour du monde. Pourtant, dès qu’elle décide d’agir, en brûlant des voitures ou en défonçant des vitrines de banques, la jeunesse est qualifiée de casseurs, on nie ses revendications politiques.

En France, on suppose que l’insurrection prendra une forme non centralisée (très proche de celle des gilets jaunes, qui a éclaté après la publication du livre !). Elle partira d’un mouvement autour d’une centrale, d’une université, d’une usine, d’une banlieue... Elle partira d’un coup, sans forcément avoir un objectif politique dans un premier temps. La conscience politique se forme au cours de l’insurrection, pas avant elle. L’insurrection n’est pas causée par l’éducation politique, mais par la colère, la peur et la faim ; ce sont elles qui ont mené les paysans à se révolter à l’été 1789, pas les philosophes de leur époque. L’éducation politique vient ensuite, pendant la Révolution française.

Il y a quand même des exceptions, des révolutions qui ont commencé dans une atmosphère politiquement agitée. C’est le cas en particulier de la Commune de Paris et de la révolution espagnole de 1936. Mais il y a aussi des moments très politiques, perçus comme prêts pour la révolution, qui ont lamentablement échoué à se transformer en insurrection : par exemple, le mouvement de l’Autonomie italienne des années 1970.

Ce n’est donc pas la politique qui crée l’insurrection, mais la montée d’une colère qui déborde soudain les élections et catastrophes journalistiques habituelles.

Sur les “ennemis” de la révolution

Les prolétaires qui votent à l’extrême-droite le font par haine d’un système qui les ignore : il serait naïf de croire que si le système doit être détruit, ils ne rejoindront pas les mouvements insurrectionnels.

Les réseaux sociaux sont souvent critiqués pour la tendance au slacktivism, c’est-à-dire la tendance à poster sans aller changer le monde réel. Internet n’est pas un moteur de l’insurrection, mais il est bien un outil, utile avec ça : par exemple, Facebook et Twitter ont beaucoup aidé le Printemps Arabe à s’organiser et à coordonner les mouvements tactiques.

La police et l’armée sont aussi vus comme des ennemis de l’insurrection : on dit souvent « l’insurrection est impossible et c’est tant mieux car si elle éclatait, son écrasement serait inéluctable, vu le rapport de force ». Mais les soldats et les policiers se retournent souvent eux aussi contre le gouvernement, dégoûtés de devoir blesser ou effrayés par les représailles du peuple.

C’est vrai que ce n’est pas systématique : les forces armées obéissent parfois sans état d’âme, voire avec enthousiasme. Dans ce cas, oui, l’insurrection est presque toujours écrasée et il y a un massacre.

Le soutien des forces de l’ordre devient donc la condition du succès de toute insurrection. Il faut donc montrer aux policiers, aux militaires, qu’on sait qu’ils font partie du peuple, qu'on ne veut pas qu'ils soient nos ennemis. ll faut leur dire, surtout aux policiers femmes, racisés, qui savent que le régime les méprise, que la police est avec nous, pas que tout le monde déteste la police. Il faut que le corps policier ne supporte plus la haine qu'on lui porte, mais qu'il sache surtout qu'il sera le bienvenu chez les insurrectionnistes.

Éviter le débat d'idées

 Une insurrection victorieuse qui ne parvient pas à sortir de l’isolement est perdue.

La Commune de Paris a échoué parce que pendant que Versailles assiégeait Paris, l'Hôtel de Ville débattait des grandes idées philosophiques, avec de nombreuses querelles intestines sur des points secondaires.

La fondation d'un nouveau cadre de pensée est effrayante : il faut que les révolutionnaires s'y préparent pour ne pas paniquer le moment venu, sinon, on aura un souci de se racheter d'avoir transgressé l'ordre établi en créant vite un nouvel ordre comme celui d'avant.

Le mouvement insurrectionnel n'est jamais majoritaire et ne peut pas gagner dans les urnes. Le suffrage universel permet à la masse de se faire entendre, mais la masse a peur de l'inconnu et du chaos, donc elle se rassure en votant immédiatement pour des personnalités du système qu'on vient d'abattre, parce qu'elle les connaît. Rosa Luxembourg reprochait d'ailleurs la dissolution de l'Assemblée constituante, élue au suffrage universel, par Lénine et Léon Trotski : mais c'est comme ça que l'URSS a pu naître, sinon, l'assemblée aurait reconstruit l'ancien système.

Si on réunit des assemblées, qu'on discute d'une Constitution, qu'on encourage le débat d'idées, on se retrouve trois ans plus tard avec l'ennui et la fatigue, et le succès électoral de formations “radicales” dans des élections tout à fait normales. L'ennui est parfois plus dangereux que la répression.

Il faut y croire

Les puissants nous traitent comme des enfants naïfs en nous disant qu'on n'est qu'une pognée, que “les gens” ne seront jamais de notre côté, que si on bouge, on sera réprimé·es immédiatement. Ils utilisent l'histoire : si on fait une révolution, ce sera la Terreur, ou ce sera l'URSS et le stalinisme. Mais si l'histoire est écrite du point de vue des vainqueurs, il nous revient de ne pas la lire avec les yeux des vaincus.