Issue #24 : Ainsi s'éteint la liberté... Sous une pluie d'applaudissements.

[2000 AD Essential – Judge Dredd : America]

Pour une fois, je vais taper dans l'actualité. Y'a des années de ça, j'en ai plus ou moins rigolé mais aujourd'hui on y est. C'est moche et ça fait froid dans le dos mais on y a sauté à plein pieds. Quoi de mieux que de se préparer à un possible futur ? Certain iront chercher dans les textes des philosophes, d'autres dans les livres d'histoire et certains dans une échappatoire artificielle pour y abandonner leur mental. Moi, j'ai décidé de rouvrir une BD. Et pour mener tout ce monde au pas, non pas Macron et Darmanin mais l'homme de loi le plus impitoyable que la pop-culture nous ait donné. Judge Dredd.

Scénario : John Wagner / Garth Ennis / Alan Grant Dessins : Colin MacNeil / John Higgins / John M. Burns / Jeff Anderson Couleurs : Sally Jane Hurst Lettrage : Tom Frame / Annie Parkhouse Editeur : 2000 AD Contenu : 2000 AD Prog 460 / 531 – 533 / 656 / 750 – 756 + Judge Dredd Megazine 1.01 – 1.07

PLOT : Il s'agit d'une compilation de plusieurs histoires reliées entre elles par un fil rouge qui est au sujet de la démocratie à Mega-Cité Un. Cet essential reprends donc les Progs du Magazine 2000 AD et une saga issue du Judge Dredd Megazine. Les histoires sont les suivantes : “Letter From A Democrat”, “Revolution”, “Politics”, “America”, “The Devil You Know” et “Twilight's Last Gleaming”. L'histoire centrale est axée sur une jeune femme, America. Elle grandit avec un garçon appelé Beeny Bennet. Dès leur plus tendre enfance, ils apprennent à redouter et à craindre les juges. Les adultes disent que les juges sont là pour la sécurité et que tout se passe bien. On dit aux enfants de ne pas d'interposer face à un juge et le soir avant de les coucher, on les menace qu'un juge viendra s’ils ne vont pas se coucher. Mais America ne l'entends pas de cette oreille.

Un jour qu'un juge commence à questionner Benett parce qu'il s'était battu, la fille se dresse contre le juge en parlant de liberté et de droits, ce qui ne manque pas de faire sourire le représentant de la loi qui lui rappelle qu'où qu'ils soient et quoi qu'ils fassent, il y aura toujours un juge pour les surveiller. Les années passent, les chemins d'America et de Beeny se séparent. Elle fait de la politique et milite pour une démocratie, lui se lance dans une carrière de comédien. Il reste en contact avec elle mais au fond de son cœur il sait qu'il est amoureux d'elle et que son activisme sera toujours un problème pour les juges. Puis vint la grande guerre, Beeny étant à Méga-Cité 2, il est épargné mais à son retour a Méga-Cité Un, il n'a de cesse de vouloir retrouver America. Sa carrière décolle, il devient célèbre et vis comme un roi mais au fond de son cœur, c'est toujours la solitude.

Un soir, alors qu'il décide d'aller voir -illégalement– une prostituée, il tombe sur une jeune femme dans une ruelle et c'est la stupeur. America se tient là, devant lui. Il commence à la questionner mais un juge arrive bientôt et il est abattu par d'autres hommes. Bennett découvre alors qu'America faisait office d'appât dans le but d'attirer un juge et de l'assassiner. Bennett ayant vu toute la scène, les membres du groupe dont America fait partie décident de l'éliminer malgré les protestations de la jeune femme, Beeny se prends une balle en pleine gorge à bout portant et est laissé pour mort.

Mais le département de la justice veille au grain et l'assassinat d'un juge ne sera pas ignoré. Bennett est sauvé et maintenu en vie. Dredd en personne vient l'interroger mais le jeune homme feint la sincérité en disant ne se souvenir de pas grand-chose et ne mentionne surtout pas America. Il finit par être soigné mais il a perdu ses cordes vocales pour toujours et vivra désormais avec une puce qui imite sa voix. Un soit une camionnette se présente chez lui avec un cadeau et stupéfait, il reconnaît America qui vient le remercier. Elle lui avoue la vérité sur ses activités et malgré tout il ne peut s'empêcher de l'aimer. Ils passent la nuit ensemble et au matin elle lui demande de l'argent puis lui parle de la marche pour la démocratie qui avait eu lieu et lui dit qu'elle avait été déraillée par les juges qui avaient placé des leurs en civil pour lancer des pierres et que ça tourne exprès au chaos pour forcer les juges à intervenir. Elle lui dit que si il lui donne l'argent, il ferait mieux de ne pas savoir à quoi il servira, il l'accompagne une dernière fois puis ils se séparent. Mais finalement, Beeny se décide à la dernière minute à aller voir ce qu'America comptait faire, mais dans l'ombre les juges attendent de pied ferme....

MON AVIS : C'est très certainement l'un des meilleurs récits Judge Dredd pour moi ci ce n'est le meilleur. Loin des clichés habituels et d'un Dredd qui verbalise des petites frappes ou déjoue des histoires de trafic de prothèses de bras, on est dans un dure réalité sous un vernis de violence brutale. On dit souvent que la Justice est aveugle et le Juge Dredd en est souvent le bras armé mais là, la politique et les messages sont tous bien mis en place, bien présentés. Les objectifs sont clair. Quiconque s'oppose aux Juges n'a aucune chance. Dans cet Essential c'est vraiment l'âme d'un justice brutale qu'incarne Dredd. Pas de pitié, pas de quartier. Et comme il le dit à Beeny vers la fin “Il y avait un message à faire passer, tu n'est pas le seul dans le show-business”.

Le récit est très dur et surtout très triste. La loi est dure et cruelle, broyant n'importe quel quidam dans sa main d'acier. Des questions d'ordre politique sont présentées au lecteur. Pourquoi la démocratie ? Comment ? Quelle justice ? Quelles lois ? Et ça ne m'a pas laissé indifférent surtout dans le contexte actuel. On referme se livre en se posant des questions sur la liberté, sur les principes, sur le système judiciaire. Les récits “The Devil You Know” et “Twilight's Last Gleaming” sont une touche finale de cruauté pour le lecteur parce qu'après avoir reproché des choses à la justice expéditive et brutale de Méga-Cité Un, il présente le point de vue d'une société amorphe et totalement déconnectée. Même avec le choix de voter une démocratie, les gens votent pour que les Juges restent en place car ils n'ont toujours connu que ça et au fond d'eux-même, ne veulent pas que ça change. Dredd finit par démontrer que rêver de Démocratie c'est bien mais faut-il encore que les gens suivent.

Je suis assez impressionné parce qu'il y a trois scénaristes différents sur tout l'ouvrage : John Wagner, Garth Ennis et Alan Grant (rien à voir avec cet Alan Grant non) Et malgré tout leurs histoires s'emboîtent parfaitement les unes dans les autres avec un fil rouge traité de façon très intelligente et même si ça se veut caricatural d'une dystopie futuriste, certains éléments font qu'on semble lorgner de plus en plus vers quelque chose de similaire malgré le fait que les récits datent de 1986 à 1991.

Les dessins sont tous excellents, surtout ceux de Colin MacNeil qui oscile entre la peinture et le réalisme ce qui donne à de nombreuses cases un impact très fort malgré le classicisme de la narration. Je n'en dénigre pas pour autant les dessins de Higgins, Burns et Anderson. J'ai d'ailleurs été très marqué par la case d'Higgins dans “Revolution” lorsque les anciens maris de Gort Hyman sont interrogés. L'un des journalistes présents demande “Est-ce que la rumeur d'une pression de la part des juges vous a fait dire ça ?” et l'un d'eux, couvert de bleus et de cicatrices ainsi qu'avec deux pansements déclare : “Ne soyez pas ridicule !”. J'en ai frissonné. Je tiens aussi à saluer le travail de colorisation de Sally Jane Hurst. Elle n'est créditée qu'en tant que “co-coloriste” mais j'ai la sensation qu'une bonne partie de la qualité visuelle de ce récit lui est imputable. C'est juste un travail incroyable et tout en nuance sans dénaturer le dessin.

NOTE : 🌕🌕🌕🌕🌕

BILAN : C'était un excellent moment de lecture et je n'ai pas pu lâcher l'album avant de l'avoir terminé. D'anciennes histoires terriblement d'actualité qui présentent une justice sans détours au lecteur autant en bien qu'en mal avec un Juge Dredd plus totalitaire que jamais. Si il y a un seule comic-book Judge Dredd à lire dans votre vie, c'est certainement celui-ci.

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