Chronique littéraire 7 (Cohen)
Daniel Cohen – Le monde est clos et le désir infini
Cet essai s’interroge sur la vanité de la croissance économique telle qu’elle est envisagée aujourd’hui. Comme le dit le titre, nous disposons de ressources et de temps limités, et pourtant nous visons la croissance tout le temps, par tous les moyens. Que ce soit à notre niveau (confort, bien matériels…) ou à des niveaux plus larges (entreprises, pays…), il nous montre que tendre vers le ‘toujours plus’ n'arrive finalement à pas grand-chose. Préférerons-nous vivre au-dessus de nos moyens (tous les moyens) ou bien ou bien saurons-nous un jour y renoncer? Un essai bien ficelé, facile à lire et s’appuyant sur des faits soutenant puissamment la conclusion.
Je le recommande pour tous ceux qui se posent des questions sur l'écologie, la croissance, la consommation, l’entreprise.
“A suivre ainsi Frédéric Rouvillois, 'la plupart des religions écrites contiennent l'idée d'un âge d'or, d'un paradis ou d'un jardin naturel, dont l'humanité a dû un jour s'exiler. Une telle idée explique un regard tourné vers le passé, ainsi que dans certains cas, l'espoir d'un nouveau commencement.[…] C'est seulement depuis les Lumières […] que le monde est gouverné par l'idée d'une marche vers quelque chose de différent, quelque chose à quoi l'on n'osait pas rêver”.
“Vieillir, pour un humain, signifie plus prosaïquement ceci: la vie passe de plus en plus vite; Chacun a fait ou en fera l'expérience: une année d'un quinquagénaire passe cinq fois plus vite que celle d'un enfant de 10 ans… Et tel est le sentiment que donne l'histoire du monde: celle d'une accélération qui a certes changé de forme, mais qui se poursuit inexorablement”.
“Chaque étape majeure de l'histoire humaine vient 10 fois plus vite que la précédente. En arrondissant les chiffres: les hominidés surgissent il y a 10 millions d'années, l'homo erectus il y a 1 million d'années, l'homo sapiens sapiens il y a 100 000 ans, l'agriculture il y a 12 000 ans, l'imprimerie il y a 1 000 ans, l'électricité il y a 100 ans, internet il y a 10 ans.”
“L’intimité est devenue un enjeu aussi important à défendre qu'hier les droits civiques”
“Cette évolution annonce une bonne et une mauvaise nouvelle. Internet offre des services qui ne coûtent rien, ce qui est bien pour le pouvoir d'achat. La mauvaise nouvelle est qu'il ne génère pas d'emplois. Google, Facebook et Twitter embauchent à elles trois moins que n'importe quelle firme automobile aujourd'hui encore! Tout se passe comme si un petit nombre de gens très bien payés travaillaient à rendre gratuits des biens consommés par des pauvres.
”On n'est pas riche ou pauvre dans l'absolu, mais par rapport à une référence [..] La réalité du monde qui nous héberge finit [toujours] par s'imposer comme nouvelle référence“
“Pour éviter toute collusion entre les intérêts des managers et ceux de leur employés, ils [les investisseurs] instituent de nouvelles formes de gouvernance. Les dirigeants sont arrachés au salariat et reçoivent une rémunération indexée sur la performance boursière de l'entreprise. Alors qu’un dirigeant d’entreprise industrielle à l'ancienne aurait été incapable d'augmenter son salaire s'il n'augmentait pas celui de ses salariés, le nouveau régime d'incitation conduit au résultat exactement inverse. Pour que le revenu des dirigeants augmente, il faut que la [performance boursière] soit haussière et donc que les coûts salariaux soient aussi faibles que possible. La fonction protectrice de l'entreprise s'est volatilisée”