La ville morte / épisode 12 – la police

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Elle fume une cigarette devant le poste de police. Ses cheveux blonds cendrés tombent sur des yeux gris. Cernes qui ferment le regard dans un nuage de fumée. Elle parle dans le vide du kit main libre. Ses yeux se perdent dans le vague du gris matinal. Elle fume et ça découpe ses mots d'une manière peu naturelle. Un mot, une bouffée, un deuxième mot une expiration. On se demande s'il y a quelqu'un de l'autre côté des ondes.

Elle est seule devant le poste de police. La vitre de la porte d'entrée est cassée, elle l'est toujours. Aussitôt réparée, aussitôt brisée. Le poste de police a été inauguré il y a plusieurs années, précédant les émeutes de quelques semaines seulement. On dit émeutes, mais ça n'a pas vraiment de sens ici, trente ans après les émeutes. On est presque tenté de dire événement et de grincer des dent de cynisme. Toutes les vitres ont explosé la première nuit de casse, avec quelques voitures de voisins. Il y a trente ans, c'était le supermarché qui prenait feu. Aujourd'hui on construit des équipements, on jette des millions dans du sable et du béton, et on pense tisser des liens.

Elle fume en marmonnant des mots épars et sans fils, et son regard s'accroche régulièrement sur une voiture stationnée de l'autre côté de la rue. La voiture est en double file, le conducteur n'a pas éteint le moteur. Il la fixe d'un regard de fièvre. Son coude dépasse de la vitre baissée, il hausse le menton à chaque fois que son regard à elle s'accroche sur la voiture.

Elle fait mine de ne pas le voir et continue sa litanie de mots, perles sans cohérence, “demain chez ma sœur”, “peut-être s'il y a du riz”, “j'attends de voir tu vois”. Sa voix s'éraille un peu. A chaque mot, ses cernes sont davantage creusées. Son visage de cire se craquelle et on entraperçoit des bleus, des larmes. “Non ce n'est pas ça, il ne pensait pas”. Elle est seule devant ce poste de police et on espère entendre des mots-vérités qui détruirait le silence et la solitude.

A la place on entend des crissement de pneus. La voiture avance brusquement et fait demi-tour violemment. Elle ne bronche pas. Il arrive au niveau du poste de police. Il lui dit trois mots qui résonnent comme une menace :

“A ce soir.”

Elle opine du haut du front et entre dans le poste de police, sans dire un mot. Il est 9h pile. Elle n'est pas en retard, elle est déjà en uniforme.

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