[RESTAURANT, DU VERBE RESTAURER]

Le restaurant, c’est le poumon qui fait respirer les villes. Le restaurant, c’est le coeur qui bat dans les campagnes. C’est au restaurant que l’on se nourrit, que l’on partage, que l’on échange, que l’on se rencontre. C’est au restaurant que l’on fait société, que l’on fait civilisation. C’est au restaurant que l’on restaure, au sens premier du terme.

Quand les villes et les campagnes sont malades, le restaurant tousse.

Le confinement a été décrété en France, une décision vitale pour endiguer la propagation du Covid-19. En citoyens responsables, restauratrices et restaurateurs, personnel de salle, cuisinières et cuisiniers comprennent la nécessaire fermeture de leurs établissements. Pourtant, elle leur coûte, elle les met en péril.

Mais, un restaurant fermé n’est pas un restaurant mort.

Les chef·fe·s ne disparaissent pas derrière leurs portes closes. Si les conditions d’une sécurité sanitaire absolue sont réunies, ils peuvent continuer à empoigner casseroles et poêles, à allumer le feu, découper, ciseler, mixer, rôtir, braiser, faire ce qu’ils font le mieux : cuisiner. Même si on ne les autorise plus à préparer des repas pour leurs clients habituels, beaucoup sont disponibles pour, d'une manière ou d'une autre, faire à manger, pour tous et en particulier pour le personnel soignant. Mitonner autre chose que l’ordinaire insipide de l'hôpital, ce serait une belle façon de dire notre gratitude aux combattant·e·s engagé·e·s en première ligne sur le front de la pandémie, admirables de professionnalisme, de sacrifice et de dévouement.

Le restaurant, c’est également l’épicentre d’une économie qui rayonne bien au-delà de ses murs. Le restaurant, c’est le chaînon manquant entre le monde paysan et nous, mangeurs en quête de traçabilité et de plaisir. Privés de commandes, de débouchés, celles et ceux qui cultivent, élèvent, prennent soin de la terre et des paysages, font et vont faire face à des difficultés qui peuvent s’avérer tout aussi insurmontables. Dans un univers confiné, frontières fermées, quand la globalisation est une menace enfin tangible, leur présence réapparaît tout à coup indispensable à notre indépendance alimentaire. Un mal pour un bien. Pensons-y au moment d’aller faire nos courses, bien espacés de mètre en mètre.

Malgré la sidération qui les frappe, et frappe le pays tout entier, les professionnels de la restauration doivent aussi dès maintenant penser à l’avenir, anticiper et prévoir. Rêver éveillé à ce jour radieux où l’épidémie sera derrière nous, où leurs maisons rouvriront sans contrainte, où nous quitteront nos prisons domestiques sans laisser-passer, pour se réunir à nouveau dans une grande fête joyeuse, pleine de reliance et de résilience.

Pour être prêts le moment venu à repartir et à durer, ils n’échapperont pas à une profonde remise en question de leurs pratiques, de leurs modèles économiques, entre sécurité, conscience, responsabilité et diversification. Ce ne sera pas la première fois, ils ne manquent ni de courage ni de créativité pour se remettre en mouvement.

Pour accomplir cette tâche immense, ils ont aussi besoin de nous, clients fidèles, voisins qui n’avons jamais osé franchir leur seuil et, plus largement, tous ceux qui participent à leur écosystème. Il faut leur témoigner notre amitié, notre confiance, autant que la grosseur de notre appétit. Prenons des nouvelles, faisons leur un signe, appelons-les, écrivons-leur, cherchons avec eux des solutions pour les aider à traverser cette tempête. « Solidaires et pas solitaires », la formule présidentielle prend tout son sens.

Il y aura de la casse, au restaurant et, par ricochet, chez les artisans. Il y aura de la casse, dès à présent et, en cascade, dans les mois à venir. Mais, tous ensemble, nous pouvons la limiter. Prenons rendez-vous.

Ne perdons jamais le chemin du restaurant, c’est autour d’une assiette et d’un verre qu’un monde nouveau peut s’inventer.

Stéphane Méjanès