Représentation au temps du covid-19

Quelle représentation photographique de ce que nous vivons actuellement ?

Nous avons besoin de nous rattacher à un récit collectif. Quelque chose qui donnerait à voir ce que nous vivons. Même si la solitude, le retrait forcé de l’agitation du monde peut être temporairement une source de plaisir, le manque de contact social finit par provoquer comme une dilution des individualités de chacun.

Alors, il y a bien entendu toutes les images réalisées dans les hôpitaux qui ont un peu toute la même beauté du jeu des couleurs et des lignes (les capteurs numériques aiment beaucoup les lumières au néon contrairement à la pellicule qui avait plus de mal), tous ces lieux se ressemblant assez en matière d’architecture et en pratiques vestimentaires. Mais cela concerne, somme toute, une infime minorité de Français. Cette agitation est un peu le contrepoint du calme de nos vies quotidiennes.

Il y a les scènes de rue avec une voisine à sa fenêtre, un couple jouant de la musique dans la rue, des canards sur une place un peu loin du canal où on les trouve habituellement… La variété des photographes fait qu’il ne se dégage pas encore une esthétique particulière. Les seules scènes de rue qui ont la même esthétique sont celles des films au smartphone des agressions policières principalement sur les jeunes des quartiers…

Il y a toutes les photos « poétiques » voulant rendre compte d’un temps suspendu, d’une forme d’attente ou de redécouverte de l’environnement du photographe. Il y a d’ailleurs comme une forme de retenue, car j’ai l’impression, que ce sont surtout des images d’objets plus que de personnes. La vie privée semble moins s’étaler[1]. Là encore, la variété des personnes donne une grande variété de styles.

Il y a aussi les agences et photographes professionnels qui en profitent pour tenter des correspondances entre aujourd’hui et leurs images archives qu’ils publient ensuite sur les réseaux sociaux. Il s’agit pour eux de continuer d’exister, même s’ils ne peuvent plus produire autant qu’avant. C’est agréable de revoir d’anciennes images, mais ça ne fonctionne pas pour dire ce que nous vivons aujourd’hui contrairement à un texte de science-fiction ou de littérature[2]. Et finalement, les films catastrophes sur la fin du monde produits en masse ces 20 dernières années, ne nous aident pas tellement puisque leur fonction est de faire du spectaculaire, ce qui ne représente pas notre réalité aujourd’hui[3].

En fait, les seuls à pouvoir encore être dans le spectacle sont les hôpitaux (via la photo principalement) et le gouvernement (via la télévision). De ce point de vue, le monde politique est assez pauvre en innovation de représentation et ne laissera sans doute pas un grand souvenir. Tandis que le monde des hôpitaux est au moins chargé de fortes charges émotionnelles. L’un est utile, l’autre…

Il y a comme une quête d’icône, mais il ne semble pas y avoir de récit. Pour qu’il en soit ainsi, il faut quelque chose de collectif, et le confinement empêche justement le collectif. D’autre part, une icône doit synthétiser tout un univers déjà existant[4].

Peut-être qu’une compilation d’images organisée par un journal à partir des reportages publiés ou d’un appel à participation des lecteurs donnera une meilleure vision avec l’effet d’accumulation.

Notes

[1]: J’ai l’impression qu’il y a moins de selfies ou moins d’images autocentrées. On voit pas mal de vidéos de personnes organisant des parcours sportifs dans leur appartement, mais il s’agit de montrer une création. Le selfie n’est pas une création, mais plutôt une contemplation et une validation d’être là, quelque part. Les gens ont l’intuition que leur intimité est banal, que leur univers intérieur, reflet de leur mental, n’a pas d’intérêt. Ils sont finalement assez ordinaires, sans le paysage extraordinaire du voyage ou la fête.

[2]: La peste de Camus et de nombreux autres.

[3]: Fictions d’apocalypse, par Sébastien Omont (En Attendant Nadeau). Mediapart, samedi 23 novembre 2019 et « Anthologie des dystopies. Les mondes indésirables de la littérature et du cinéma », de Jean-Pierre Andrevon, Vendémiaire.

[4]: une jolie fille sur les épaules de son compagnon avec le poing levé revient régulièrement dans les manifestations comme la mère ou la famille en peur devant le cadavre d’un homme ou d’un enfant dans un conflit armé.