fuyant dans la tempête nous sommes des rochers que plus rien ne retient échappés du rivage et bientôt perdus
nous sommes des rochers dérivant sous le bouillon des flots engloutis hors de vue au large de la vie
Photo “Storm at Sea” par Robert Montgomery, licence CC BY-2.0
où est le ruisseau qui coule calme et saurait démêler le fouillis de nos vies
Photo ©Nigel Stanley (caractéristiques techniques de la photo)
par la fenêtre ouverte la lumière incandescente traverse notre monde qui n’en garde qu’un éclat et demeure dans la nuit
son globe obscur ne laisse sur le sol qu'un pâle souvenir du torrent rouge sang
Photo par Gilles Le Corre « Chiaroscuro, 18 février 2023 vers 16h » Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP
brins de blanc partout dans l'air froid sous les yeux noirs des tuiles du toit
neige intrépide sur les branches lignes noires et lignes blanches lancées ensemble avec audace s'échappent du mur de pierres grises pour un vibrant envol
Photo par Gilles Le Corre « Neige sur le figuier de la ruelle sans nom, 7 février 2023 » Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP
ici s'élève la houle des pins noirs dressés fiers sur les pentes
là-bas dévale en filament indocile la neige éclatante
poitrine palpitante la montagne respire et gomme doucement les lignes trop précises
l'horizon flou s'éloigne jusqu'au seuil des nuages
Photo par Gilles Le Corre « Matinée brumeuse, vue sur les monts environnants durant la montée. 5 février 2023 vers 10h » Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP
nous sommes feuilles perdues d’une mauvaise vie que l’écume glacée de l’hiver laisse coincées dans la mélasse blanche cernées d’inutiles pierres petits et gros débris de rochers gris
pourtant les lames translucides qui nous retiennent figées nous laisseront bientôt glisser vers un torrent joueur comme un jeune chien qui nous emportera peut-être loin des arbres orgueilleux pour nous perdre dans l'eau vivante du printemps
nous sommes des ruisseaux issus de maigres sources frémissantes engrossés de filets descendus au hasard des collines
nous glissons sans hâte sur la plaine cachés au creux de hauts talus herbeux la pente insensible nous entraîne la fantaisie des bords nous ralentit creux vaseux lourdes souches algues molles
nous sommes à peine un peu d’eau qui coule souvent sans avoir même un nom c’est dans d'autres eaux que nous nous perdons nous disparaissons de rivière en fleuve jusqu’à la forêt écumeuse du sauvage océan emportés dans sa grande houle ou projetés dans le ciel en d'insaisissables nuages
