Chronique littéraire 9 (Walder)
Francis Walder – Saint-Germain ou la négociation
XVIè siècle en France, guerre des religions entre catholiques et protestants. Le Roi Charles IX est prêt à faire des concessions pour arrêter ces guerres intérieures qui affaiblissent le pays. Il mandate Monsieur de Malassise -protagoniste du livre, qui raconte l'histoire- afin de mener les négociations qui doivent aboutir à la paix, sans pour autant donner trop de libertés aux Reformés.
En duo avec Monsieur de Biron, un militaire, meilleur sur un champ de bataille qu'à une table de négociation, il doit faire face à 2 adversaires fins. Feintes et manœuvres rythment ce livre qui présente, en même temps qu'une étape importante de l'histoire de France (la liberté de religion), les techniques et approches pour mener à bien une négociation.
Francis Walder, prix Goncourt en 1958 pour ce livre, nous plonge dans cet univers de la négociation en s'inspirant d'expériences qu'il a lui-même vécu sur le plan international.
“La vérité n'est pas le contraire du mensonge, trahir n'est pas le contraire de servir, haïr n'est pas le contraire d'aimer, confiance n'est pas le contraire de méfiance, ni droiture de fausseté”
“La liberté de conscience était reconnue aux réformés. Désormais ils pourraient se réclamer de leurs convictions, mais aucune manifestation rituelle et publique ne serait admis. ‘Telle doit être, conclut-il, votre position, monsieur de Malassise.’ 'En deçà de cette position, Sire, questionnai-je, de combien puis-je reculer?’ Le poing du roi s'abattit sur la table. 'Pas d'un seul pas!’ Je me levai aussitôt. 'Sire cherchez un militaire. Je suis diplomate’
“Puis je réfléchis qu'avec son humeur impétueuse monsieur de Biron (ndr: son accolyte dans la négociation) assumerait dans cette affaire la charge des apparences et me laisserait l'occasion de beaux travaux dérobés. On le verrait s'affairer, traverser Paris en hâte, bourdonnant et vibrant aux oreilles de tous tandis que je mènerais en coulisse l'action essentielle”
“En réalité je me trouvais déjà dans cette position suprême de l'arbitre qui, debout entre les 2 partis, n'appartient plus ni à l'un ni à l'autre, mais joue son propre jeu par la volonté même de ceux qui l'ont désigné”
“Cette corde vibrait bien chez l'amiral. On le gouvernait aisément en jouant sur son orgueil et le dédain où il tenait ses collaborateurs”
“Peut-être l'heure des précisions étant venue, pourrais-je jouer sur les préférences des huguenots, et les amener sur transiger sur la quantité au profit de la qualité. Il s'agissait de découvrir quelle place leur importait le plus, de la refuser farouchement et de ne l'abandonner qu'en dernière heure contre une renonciation à la quatrième ville”
“Dans cette phase intermédiaire de pourparlers qui s'ouvrait, il fallait chercher le contact humain, le commerce d'âmes par la parole et la compagnie. Je me répétais : 'malgré tout ce sont des hommes, sensibles par conséquent à ce qui est humain, et le sort des négociations huguenotes dépend de leurs sensibilités, comme dépend de la mienne celui des négociations royales. Les connaître, les faire parler d'eux, les amener à s'ouvrir”
“Croiriez-vous qu'après tant d'années de pratique, il m'arrive encore de ne pas dormir en pensant à ces villes, à ces territoire sui sont en jeu sous ma coupe? Songez que ce sont des être humains dont nous faisons commerce. […] 'Mais voilà justement dis-je, l'étonnant: c'est que tout cela devienne si léger dès que j'en dispose en négociateur. […] On dirait que ces maisons, rues et habitants se vident de toute substance, alors que ce sont de si lourdes et tragiques réalités. 'Ne jugez-vous pas bien coupable, demanda le baron, de vous en servir de la sorte? 'Non, répondis-je, car comment jonglerais-je avec ces enjeux immenses, ainsi qu'il m'est imposé de le faire, si je ne les allégeais d'abord à la mesure de mes forces? 'On devrait, dit monsieur d'Ublé pensivement, avant de traiter, aller voir ces endroits qui vont être l'objet de palabres. Il faudrait marcher dans les rues, visiter les maisons, parler aux habitants pour savoir, pour conserver présente et vivante à l'esprit la nature véritable de ce qui va être disposé. 'Au contraire, fis-je à mon tour, il me semble qu'il vaut mieux ne rien savoir, garder de ces choses une conception purement abstraite, car on ne traite adroitement que dans l'indépendance, libre de sentiments et de préférences personnelles”
“Ce ne serait pas sans intérêt de leur céder Angoulême après tout, mais pour un temps réduit”
“La paix fut signée le 8 août (1570). Elle accordait aux huguenots La Rochelle, Montauban, La Charité, Cognac, la liberté de conscience et l'exercice du culte en certains lieux.”
“Quant à l'extrême fragilité de ce pacte, elle était le signe de sa perfection. Il s'agissait d'accorder des adversaires dont aucun n'était battu, ni même défaillant. Seul un équilibre instable pouvait être créée entre deux forces égales. – et encore c'était jonglerie. Nous fîmes là du travail de dentelle diplomatique”