comment apprivoiser un djinn

image d'un bol (issue du film Chungkin Express) avec un orage

Bondir puis s'écraser. Je répète j'en peux plus de ce cycle. J'en peux plus de créer la pente de mes mains, de cranter péniblement une ascension pour mieux huiler ma descente. De toujours me dire c'est fini puis c'est jamais fini.

Alors on prend la même équipe et on recommence, on va au café on dit il fait chaud pas vrai, puis l'autre dit oui, puis l'autre nous demande si on travaille, puis on dit oui parce que c'est bizarre ce mot mais on l'aime bien, il nous rassure. C. écrit c'est chelou cette répétition du mot travail, pour la santé mentale cette obsession même, moi je pense on se raccroche aux choses qu'on connaît, on connaît pas la flânerie des abeilles, on connaît pas les migrations continuent, une errance non subie ça on connaît pas, alors on dit : je travaille sur des textes, je travaille sur moi, je travaille à être une meilleure personne, tu vois je m'arrête pas, toujours je travaille.

Et puis de toutes façons un jour où l'autre on peut plus, car on n'en peut plus de ce cycle alors on prend la même équipe et puis on recommence, cette fois sans travail, on fait des plongeons tout plats, mais les ami.e.s nous disent que ça s'est pas vu, on souffre sur des sentiers on arrête l'alcool, on chante Moi Lolita dans une voiture et on oublie les pilules. Les nuits sont toujours hantées et au coin de notre vision des djinns, toujours là, mais toujours on conjure. Au fond du coeur Pratchett qui écrit : quand quelqu'un voit un dragon dans une pièce, le psychiatre lui dit qu'il n'existe pas, la sorcière lui donne une bâton. Moi j'ai pas de dragons, rien que des djinns de rien du tout qui déplacent les objets et mangent ma mémoire, mais je sais que le bâton ce n'est pas pour détruire le dragon, le bâton c'est pour l'envoyer rien et regarder les dragons-djinns le chercher.

A. m'écrit : “une raison de ne pas disparaître : courir sous l'orage avec vue sur le coucher de soeil”, alors je fais pareil et je pédale sous l'orage et je me dis là je suis chez moi, je n'ai pas besoin d'ordre, j'ai besoin d'air et de cette électricité qui m'effraie et m'hypnotise. Ce n'est ni la fin d'un cycle ni le début d'un autre, c'est un virage dont on ne se rend pas compte que la courbe a été soigneusement construite, pas par moi mais par toute les histoires qui m'ont précédé. Alors les djinns cherchent le bâton et puis moi je regarde l'orage et je me dis que A. dit vrai, c'est une sacré belle raison de ne pas disparaître.