en juillet ma tête roule sur mon épaule ma respiration devient plus lente mes paupières se ferment une fois puis deux je glisse dans l'ailleurs je veux me vautrer dans le sommeil partir partir partir mais toujours je trébuche pieds imaginaires dans un tapis imaginaire en sursaut me réveille et en face de moi un écran affiche :
en juin je colle de affiches je dis front populaire à des mamies je dis dissolution des ligues, construction des digues et des barricades imaginaires mais en fait
je cherche mon ordonnance
tous les soirs 20h c'est l'heure des allocutions présidentielles de la triologie du samedi et des petits cachets blancs, j'ai toujours été du côté de la constance j'aime bien quand tout est pareil, c'est ce que je dis à la mamie quand je dis front populaire je dis
en mai je tombe en amour d'un mirage que j'ai vu des milliers de fois en rêve c'est à dire des images créées de toutes pièces raffinées assemblées et créant un refuge, c'est à dire des images mouvantes sur un écran mental, sur un écran tout court, c'est à dire d'une ville trop grande pour être vue, parfaite pour être imaginée.
les images, elles tapissent mon œil caléidoscope géant, je vois en triple en quadruple ou alors pas du tout, les images je les vole dans les films dans les romans dans les histoires, ça ne me gène pas qu'elles soient fausses au contraire je préfère, c'est plus simple à agencer et ré agencer dans une géographie imaginaire.
En avril, je refais du quotidien dans l'exceptionnel. Un bout du monde, une éclipse solaire, un pays inconnu, je refais des habitudes me lève à la même heure, longe la même rivière, bois le même café regarde la même série et puis : travaille. Ma sœur se moque au téléphone : tu manges des pâtes-sauce-tomate et du houmous-pita au bout du monde ? C'est que j'aime quand les choses sont identiques quand je peux, doucement, creuser un trou profond d'habitudes, un nid de tout pareil qui m'ancre et m'empêche de partir à la dérive. un trou profond comme un tunnel et j'explore.
Les mots sont minés, au détour d'une boutade le tic tac de la bombe qui s'enclenche, tu peux fake le détachement, le mondain insensible, toujours les mots te rattrapent toujours les mots s'accrochent à ta gorge et la remplissent jusqu'à ce que tu ne puisses plus respirer.
ce qui t'arrive précisément à la salle de sport un mardi après-midi.
Cela fait six mois que le mini-livre est sorti. C'est un petit récit qui parle d'installer sur une comète, de se perdre dans un supermarché et puis de ne pas aimer taylor swift (d'une manière subtile).
A l'occasion d'une lecture publique, la semaine dernière, un monsieur avec une cravate à sequin argenté m'a fait remarquer que c'était trop long et que, les poèmes c'était trois pages maximum. A la rigueur quatre, il a concédé. Il le sait bien, il est poète lui-même.
en février je lis pas, ou alors juste un peu : livre audio pour dormir, de la poésie que j'oublie, en février je lis pas je respire pas en février je dors tôt je me lève encore plus tôt, sommeil négatif, poitrine manque d'air, yeux se creusent et je me dis : encore
en février je regarde, obsession films d'horreurs un puis deux puis trois des séries à la pelle, je me remplis de jump scares, tâches de sang au plafond portes corps qui se tordent ; l'œil sec, j'oublie mes paupières et que j'ai le droit de pas regarder, je regarde tout, sur ma peau chair de poule tout le temps j'ai froid je m'en rends pas compte, j'ai des engelures ambiance plan grand froid la vérité j'ai pas quitté le salon depuis des jours.
en janvier je répète – je ne veux plus sortir de chez moi, je veux construire une chrysalide qui ne couverait aucun changement, pas de transformation je veux pas d’ailes ça me va d’être une chenille un peu weird un peu grasse dont on ne se demande si ce n’est pas sa forme finale après tout. je ne veux pas de changement mais c’est peut-être exactement dans ces moments que le changement s’opère
je trie mes photos en pensant : qu'est-ce que je n'ai pas catalogué ? entre les visages et les captures d'écran, il manque toujours des choses impossibles à fixer
alors ce qu'il manque, je le liste
– les matins doux après les nuits pleines de cauchemars
– l'appel téléphonique “on a bien aimé ce que tu nous as envoyé”
– les refus qui ne font plus mal, car on sait qu'ils ne nous arrêteront pas cette fois
– les balades, toujours les mêmes
– le mec du café qui me sourit en apportant un allongé, il ne m'a pas demandé ma commandé
– la main qui s'accroche à la mienne quand je lui dis que les ombres étranges sont revenues au coin de mes yeux et son regard, qui sait qu'il ne s'agit pas d'une métaphore
– réaliser qu'on va rester fou, pas comme une métaphore
– enregistrer des gens, les découper comme un collage, les assembler et oublier
– inventer des objets bizarres qui n'existeront peut-être jamais, en papier ou en son
– lire des nouveaux livres, regarder les mêmes films et inversement
Pendant ce temps, la pluie sur la Palestine
un instant le labné sur la table
un instant la fille qui me dit je t’aime en kabyle en riant
et un instant
les murs
remontent
je prends la main de mon amie la course
dans les rues inconnues de Ramallah