janvier

photo du tableau le bal des ardents et d'un photomaton indiquant kissing booth

en janvier je répète – je ne veux plus sortir de chez moi, je veux construire une chrysalide qui ne couverait aucun changement, pas de transformation je veux pas d’ailes ça me va d’être une chenille un peu weird un peu grasse dont on ne se demande si ce n’est pas sa forme finale après tout. je ne veux pas de changement mais c’est peut-être exactement dans ces moments que le changement s’opère

j'enchaîne deux livres de baldwin qui me saisissent très près, le premier parle de foi l'autre de prison, en le lisant j'ai l'impression que baldwin est nord-africain, je répète c'est pas possible c’est immigré maghrébin. dans un documentaire [meeting the man] le journaliste questionne baldwin sur sa condition d'homme noir en France il dit : ici je ne suis pas traité comme les hommes noirs sont traités aux etats-unis, parce que je suis américain, j'ai compris que c'est parce que d'autres étaient traités comme des hommes noirs : les nord-africains. il voit les foyers de travailleurs immigrés, les cafés du xxe et la violence de la police alors il dit au documentariste : vous ne jouerez pas avec mon statut d'homme noir américain qui s’extasie devant la france qui ne verrait pas les couleurs. . dans ses livres ce qui résonne ce sont les détails, les preuves d'amour, imparfait, naïf, déçu mais toujours de l'amour. dans ses livres l'amour ne sauve personne, des tas de personnages grandissent et survivent sans amour, ceux qui ont de l'amour ont juste quelque chose d'un peu plus chaud, d'un peu plus fou (comme les amoureux de if beale street could talk) qui leur permet davantage d'absorber la violence, de la contenir sans qu'elle les détruisent entièrement. c'est comme un coffre qui s'ouvre, l'amour ne protège pas de la violence, il nous permet de l'absorber sans qu'elle nous fasse éclater.

après ça je ne sais pas quoi lire alors je ne lis plus, je regarde des documentaires autobiographiques (bye bye tibériade, orlando ma biographie politique, algérien par accident) et je guette les preuves d'amour. elles sont nombreuses dans le documentaire d'aïnouz, algérien par accident. l'amour de la mère, l'amour passé des amants, l'amour d'une terre, la kabylie qu'il découvre à 56 ans. je me fonds dans ce documentaire et soudainement c'est comme ça que j'ai envie de retourner en algérie, en bateau avec un appareil photo ou un enregistreur ou une caméra, seul dans alger la blanche. pouvoir être déçu, décontenancé, s'ennuyer et rechercher des traces de soi dans les autres. je ne trouverai pas d'homonyme, comme c'est le cas de karim aïnouz qui trouve un autre karim aïnouz né la même année que lui et c'est tant mieux. dans orlando de paul b préciado il y a plein d'orlando qui s'appellent toustes orlando et qui portent la même collerette blanche même le chien qui ne s'appelle pourtant pas orlando. il y a finalement assez peu d'amour, ou alors si mis en scène qu'on le perd de vue, ce n'est pas le sujet du film, le sujet c'est orlando – qui a été écrit pour l'amour (vita) de virginia woolf, le sujet c'est donc l'amour. j’aime orlando car si on parle de transformation on n'en voit pas, les gens apparaissent ce sont des chenilles et c’est peut-être leur forme finale, ou pas, ce n'est pas le sujet. dans byebye tiberiade les preuves d’amour passent par des rires et des archives montrant les autres et soi, le personnage principal, de ces autres qui l’aiment, dira : elles ne m’ont jamais vraiment comprises. cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'amour.

j’ai commencé l’année en regardant eternel sunshine of the spotless mind, le film que j’ai sans doute le plus regardé dans ma vie, ça parle d’amour et d’impossibilité à changer, de schéma qui se répètent, je me dis que je suis exactement là, dans le schéma, mais sans heurt, sans hâte d'en sortir.