La ville morte / épisode 15 – Regards, regards

Titre en image : Regards, regards

Il y a des airs de vacances scolaires dans la ville morte. Des bandes de gamins traînent dans les rayons de soleil de la fin d'après midi. Tous sont habillés avec soin : la sacoche répond aux chaussures, la casquette à la veste.

Les deux frères ont les mêmes chaussures, des requins noires. Ils claquent la porte d'une Renault bleu flic. Ils disent “à ce soir” en sortant, une bouteille d'oasis à la main. Leur tenue est presque identique : haut noir, bas bleu foncé. Ils avancent vers la gare TER avec les pieds en canard. Ils accentuent un peu leur démarche, ils découvrent qu'on les regarde.

Les petits n'imitent pas les adultes. Leurs goûts ont la saveur particulière de la sortie de l'enfance. Leur langage se lit subtilement dans les plis du tee shirt, juste un peu rentré dans le pantalon, l'angle du bob ou la hauteur de la sacoche. Leur corps commence à raconter une histoire et ils essaient désespérément de la maîtriser. Comme les réalisateurs d'une série de sitcoms, ils tentent maladroitement de dire quelque chose, ils ne savent pas vraiment à qui.

C'est le début du ramadan, le début du semi-confinement, et pendant quelques semaines, la ville appartient aux gamins. Il y a un côté Sa majesté les mouches : les petits qui ne sont pas touchés par la maladie sont enfermés dehors. Il n'y a pas d'école, pas de centres aérés, pas de centres sociaux. Juste la ville, les parcs et les parents qui s'organisent comme elles peuvent. Dans les petites bandes de gamins, on se regarde, on ne fait que se regarder.

Elle a des bagues aux dents et quand elle rit, elle met sa main devant sa bouche. Ses bagues sont transparentes et ses dents alignées. Ses cheveux sont lissés avec soin et tenus par un élastique de couleur. Tout est tenu. On lisse à cet âge. Rien ne doit accrocher le regard.

Les gamins ne savent pas à qui ils parlent quand ils réfléchissent à l'angle de la casquette. C'est long, très long, à découvrir.