Unvarnished diary of a lill Japanese mouse

Les notes du laptop, par NEKO

JOURNAL 24 avril 2025

Comme je reçois plein de gentils messages à propos de la fermeture du dôjô où j'ai reçu l'enseignement de mon sensei, voici une mise au point :

Je ne veux pas devenir sensei pour des raisons personnelles mais il y a aussi des motifs : pour faire fonctionner un dôjô dans ma discipline il faut d'abord avoir une réputation. Et cette réputation elle vient en se confrontant à d'autres. Le kenjutsu ce n'est pas un sport, en tout cas ce n'est pas comme ça dans mon école. C'est une discipline qui regroupe plusieurs techniques de combat traditionnelles, et quand on combat on le fait en vrai, presque, sauf que on ne se tue pas à la fin. Alors pour moi, ça signifie il faudrait que je combatte d'autres adeptes, et bien sûr les plus forts, les sensei. Je ne dis pas que je gagnerais, mais je pourrais et ils le savent très bien, je suis très rapide, très agile et en plus j'invente, seulement je suis aussi très jeune et surtout je suis une femme. Pour ces hommes se faire battre par une jeune femme c'est une espèce de mort sociale, je les connais, je sais bien que certains ne s'en relèveraient pas, alors ils n'acceptent pas, c'est tout. Mais d'autre part, moi, ces duels à l'infini je n'aime pas du tout et je trouve ça d'une autre époque et con. Donc je ne ferai rien pour acquérir une réputation, je ne ferai rien pour être sensei et je ne m'occuperai pas du dôjô. J'ai envie d'une autre vie. J'ai envie de vivre dans la forêt avec A. loin des rapports de concurrence et de compétition où il faut sans cesse prouver qu'on est la plus forte. Je n'ai pas envie d'être une as du sabre avec un palmarès long comme ça… D'un autre côté les deux camarades de Nara ne sont pas assez forts il faut bien le dire. Voilà. Donc on ferme la maison on arrête tout.

JOURNAL 26 avril 2025

Voilà. Le dôjô ferme officiellement le dernier jour d'avril mais en fait c'est fini depuis hier au soir. On est désolés pour les élèves mais ils comprennent qu'ils ne sont plus assez nombreux, déjà pour notre sensei c'était juste juste mais sans lui ça n'est pas possible, même avec le statut spécial culturel on ne peut plus assumer le minimum des frais ou alors il aurait fallu que je sois présente tout le temps et je peux pas puis d’ailleurs comme j'ai déjà dit je veux pas. Je me sens seule, mon amie n'est pas à nara, elle est à kyôto et j'ai pas envie de revoir les copains de mes nuits de divagation, finalement ce sont pas de bons souvenirs j'étais tellement paumée... Les garçons ici sont gentils avec moi, ils sont tellement désolés d'avoir raté l'entreprise, ils se sentent coupables, naturellement je leur fais pas de reproche, ils ont fait ce qu'ils pouvaient. Je vais aller faire une prière pour notre sensei, lui non plus je suis certaine il ne nous ferait pas de reproches, j'entends même son petit rire en coin quand il faisait une plaisanterie sans avoir l'air...

Après ça j'ai encore des trucs à signer à la banque, le comptable s'occupe de la liquidation de la trésorerie. Une fois lui payé et les charges créditées il restera pas grand-chose je ne sais pas s'il restera 100 yen, même pas de quoi boire un coup...

JOURNAL 26 avril 2025

C'est étrange, soudain à la banque, au moment de poser mon hanko à côté de celui du dôjô, geste banal, soudain pour la première fois de ma vie j'ai eu le sentiment d'être adulte comme si les morts et les achèvements nous poussaient en avant, nous, les vivants comme si laisser derrière nous les traces d'un présent tout à coup devenu définitivement du passé nous faisait grandir, comme si grandir n'était rien que l'acceptation d'un deuil permanent. Dans très peu de temps j’aurai 31 ans, hier je me sentais immature et puérile puis la gravité du passage du temps d'un coup m'apparaît, il semble qu'il est temps de sortir de l'enfance madame, et regarder devant toi en marchant pour ne pas tomber du fil tendu qui t'emmène vers un ailleurs dont tu ignores tout oui, mais qui est inéluctable.

JOURNAL 1er mai 2025

Le ciel gris donne à l'océan la couleur de la tristesse les vagues sont fatiguées de brasser un sable habité des pensées sombre mûries au cœur du volcan

nos pas laissent des traces vite remplies d'eau, des petites piscines de larmes que la vague efface aussitôt

ainsi nos larmes suscitées par le vent vite disparaissent aussi ne laissant de nos chagrins que la petite trace blanche de sel qu'on ne distingue pas du sel laissé sur la peau par la mer après le bain

ça nest pas vraiment la tristesse juste une mélancolie delicieuse qui me pousse à me blottir encore plus près plus près dans tes bras quêter la chaleur de ton corps, le réconfort de ton amour

côte à côte derrière la vitre du restaurant panoramique côte à côte nous contemplons la fin du jour

JOURNAL 2 mai 2025

Derrière la vitre la pluie rien que la pluie elle dissout le ciel la mer l'horizon rien que le gris de la pluie on dirait l'ennui de ce côté de la vitre nos frôlements de mains nos têtes penchées rires étouffés soyons discrètes si possible sous le regard sévère de la dame en corsage fleuri qui mange délicatement délicatement une chose noire noire ou alors vert très foncé une spécialité locale ? demain on rentre à la maison on a plus un rond.

JOURNAL 3 mai 2025

Notre sœur aînée est super affectueuse, pleine d'attentions tendres, elle me traite comme sa petite sœur vraiment et ma princesse pareil. J'ai l'impression grâce à elle d'avoir une vraie vie de famille, pour la première fois de ma vie, c’est pas la même chose qu'avec mes amis ou j'avais quand même l'impression d'être un élément étranger.

On va dormir dans mon ancienne chambre d'enfant près du jardin, j'aime bien cette petite pièce un peu à l'écart de la partie principale de la maison.

C'était une jolie fête, mon frère a gardé cette tradition de fêter avec le personnel de la maison. C’est très émouvant pour moi parce que je retrouve les dames qui étaient gentilles avec moi après la mort de maman, certaines sont en retraite maintenant où le seront bientôt. Elles sont heureuses que je sois enfin à ma place dans cette famille, elles avaient pitié de cette petite fille délaissée par son père.

JOURNAL 4 mai 2025

Ce journal c’est pour essayer de voir clair dans un cœur troublé. J’ai commencé à prendre des notes à la sortie de l'hôpital il y a un peu plus de 10 ans sur le conseil d’une psychologue puis j'ai continué ici, d'abord pour raconter et dénoncer les mauvais traitements qu’on inflige aux petites filles. J'avais la rage encore, je me suis calmée je ne sais pas si c’est bien. Un journal c’est pas fait pour être publié normalement, pourtant moi je publie ici parce que je suis en plus de tout exhibitionniste, faut croire qu’on m'a tordue. Je suis habituée à aller de travers alors parfois c’est au risque de me contredire moi-même, tant pis, mais donc le journal ça me permet de raconter ce que je ne dirais pas en direct. Il y a une distance entre moi et le lecteur ici c’est le journal. Je n'écris pas pour un lecteur j'écris pour le journal c’est-à-dire en fin du compte pour moi, comme je le dis au début, pour y voir clair me rassurer sur moi-même parce que à l'intérieur de mon crâne c’est encore la confusion. On m’a tellement secouée, mon cerveau est encore tremblant comme de la gelée. On se rendra jamais compte à quel point les violences psychologiques physiques et encore plus sexuelles font du dégât aux victimes et que c’est irréparable, on peut imaginer comme on veut que ceci ou cela mais non n'y croyez pas. C’est irréparable absolument donc j'écris je raconte à mon journal, vous lisez le journal mais c’est à moi que je parle juste vous êtes invités comme témoins je sais que c’est un peu répétitif mon truc, j’ai besoin de ça, chaque répétition c’est un peu comme me libérer un tout petit peu un tout petit peu c’est rien mais ça fait du bien un tout petit peu

merci de votre patience

JOURNAL 5 mai 2025

Tout est revenu d'un coup. J'avais oublié ou voulu oublier enfoui dans la brume, la confusion d’un passé que je préférais ne pas affronter quand mon frère m'a rendu ce petit tanto ancien qu'il m'avait offert enfant – le seul cadeau qu'il m'ait jamais fait à cette époque – et qu'on m'avait retiré après tentative de suicide.

Je n'avais pas encore eu 15 ans, c'était vers le milieu du premier trimestre de ma dernière année de collège. Quatre hommes méthodiquement et brutalement m'avaient violée sans rien m'épargner devant une caméra plus de vingt minutes d'horreur, j'en ai déjà parlé. On m'avait ramenée chez mon oncle qui m'avait vendue aux yakuza, j'étais dévastée physiquement, incapable de me lever, mon corps ne m’obéissait pas, je n'avais plus de larmes, je tremblais comme un animal traqué. On m'avait lavée, effacé les traces les plus évidentes, l'odeur, on attendait le médecin. Sans doute que je devais passer par des moments d'inconscience, je n'avais plus la notion du temps.

Ouvrant les yeux je me trouvais seule. Jour ou nuit ? Ma chambre était dans l'ombre. Une seule pensée m'occupait pour chasser l'horreur, la colère immense la douleur et l'humiliation : mourir là tout de suite mourir Dans ma chambre j'avais ce tanto, juste assez long, j'avais appris le geste traditionnel des femmes pour échapper au déshonneur, je le savais depuis l'âge de dix ans, sous le sein gauche, un peu vers le milieu, à droite du sternum, la lame horizontalement entre deux côtes on appuie fermement une bonne fois. Mes jambes ne me portaient pas, j’ai rampé moitié à genoux moitié couchée et trouvé le couteau dans le tiroir. Il me fallait encore me redresser pour porter le coup, mes épaules tremblaient tout tournait autour de moi. Je plaçai la lame avec mes doigts après plusieurs essais, je me redressai une grande respiration puis plus rien

Je me suis réveillée le lendemain seulement on m'a dit qu’on m'avait retrouvée couchée sur la lame, elle était encore en place, appuyée trop verticalement elle avait glissé sur deux côtes, glissant sur une bonne longueur mais sans entrer profondément. Très peu de sang. Une coupure à la main avait saigné davantage. J'ai gardé une cicatrice blanche et fine bien visible, bien placée. Suivit un an d'une dépression sévère, jamais revenue au collège, l'année suivante je dénonçais publiquement ce qu'on m'avait fait, ce qui me valut l'internement pour deux ans dans une secte pénitentiaire mais c'est une histoire que j'ai déjà racontée.

Ceci est écrit pour me permettre de regarder ma vie en face, la regarder en pleine lumière. Oui c'est douloureux. Mais moins douloureux pour moi que la fuite. J’ai reçu une éducation, un dressage, qui fait de moi un être de devoirs. On peut juger cela stupide et je ne conteste pas que ça puisse l'être mais faire face est inscrit dans mon être profond, c’est plus fort que moi. J'ai à affronter mes démons, mes terreurs et mes dégoûts, personne ne pourra le faire à ma place et c'est moi-même qui m'y pousse. Jusqu'à présent c’est la seule façon que j'ai trouvée pour me supporter. Voilà pourquoi j'ai entamé ce journal et voilà pourquoi sans doute je continuerai.