De la viande pour le disco

Critique de The Legend of Zelda: Tears of The Kingdom (Nintendo EPD et Monolith Soft, 2023)

Verso de la pochette du disque "I Feel Love (Special New Version) (15 Min Remix By Patrick Cowley)" de Donna Summer

En cherchant des critiques négatives de l’exceptionnel Breath of the Wild, la plus convaincante que j’aie trouvée était une vidéo de 2 heures de Joseph Anderson intitulée « Not Enough Zelda ». Je ne serais pas surpris qu’en jouant à la suite de Breath of the Wild, Anderson en arrive à la même conclusion. Plutôt que d’être, comme je m’étais laissé l’imaginer ces six dernières années, un ajustement de sa formule novatrice (en gros : Minecraft) pour incorporer les mécaniques où les anciens Zelda s’en sortaient le mieux, Tears of the Kingdom fait l’inverse et capitalise sur ce qui faisait sa force, quitte à se traîner les mêmes faiblesses. Le scénario pour commencer : c’est assez délirant de réaliser que six ans après, c’est toujours les PNJ muets générés à partir de Mii qui sont plus intéressants que les protagonistes doublés par des acteurs, encore coincés dans des flashbacks discounts parce que c’est le prix à payer pour la non-linéarité, faut-il croire. M’est avis que l’intrigue du jeu se prêtait pourtant bien à une narration à la Outer Wilds (Mobius Digital, 2019), qui est non linéaire et bien faite, mais passons. (Et les donjons sont toujours bof)

Les autres problèmes du jeu sont heureusement amoindris par ses trois principales nouveautés, qui sont en réalité d’habiles expansions de mécaniques présentes dans BotW. L’assemblage de véhicules, en plus de ravir petits et grands, donne un nouveau souffle bienvenu aux sanctuaires, qui sans quoi fonctionnent exactement sur le même principe qu’avant (en gros : Portal). Le sertissage des armes valorise grandement le loot, fait monter la puissance offensive (et donc le niveau des ennemis) plus vite, et compense la frustration de casser une arme puissante en permettant d’en bricoler une autre dans la foulée. Et surtout, le doublement du terrain de jeu (en gros : Elden Ring), conjugué avec les chutes libres (en gros : Fortnite) et les nouvelles interactions saupoudrées çà et là pour combler les vides de BoTW, refait gonfler ce qui reste à mes yeux le cœur de la formule : le pyrénéisme. Ça n’a pas loupé : j’ai encore passé cent heures à déambuler dans un monde que je pensais connaître par cœur, à grimper à toutes les montages et à éclairer toutes les grottes, et c’était génial.

On n’a pas fini de se pâmer sur les exploits de game design de TotK, sur cette virtuosité qui va influencer toute la production dans les années à venir, comme on l’a fait pour Mario Odyssey avant lui, et vous savez ce que j’en pense de Mario Odyssey. Yep, ce Zelda “marche”, cette remix 12 pouces de Breath of the Wild nous garantit de danser jusqu’au bout de la nuit, mais je continue à croire qu’il reste des forces que les Zelda traditionnels avaient et que cette formule parfaite n’exploite pas, si toutefois elle est en mesure de les exploiter. Je rêve de plus d’architecture, plus de mystère, plus de frousse, plus d’enjeu. Quitte à malmener les axiomes, à ne plus laisser autant la liberté au joueur de casser le jeu à chaque instant. En d’autres termes, quelque chose de plus Zelda.