système pé

où j'essaie de critiquer chaque jeu auquel je joue, en 500 mots environ

Critique de B3313 (ChrisRLillo, 2023)

Image générée par un modèle d’apprentissage automatique, représentant un homme sans visage dans le style de René Magritte (https://search.krea.ai/prompt/6241194e-dd72-4f7f-b91f-2a7cf2564263)

Franchement, je n’ai pas du tout l’impression qu’il soit nécessaire que je vous parle de Super Mario 64. J’ai déjà dû le faire ici à deux-trois reprises sans même m’en rendre compte. Il doit y avoir tous les 6 mois des vidéos de deux heures qui sortent sur ce sujet, et des vachement bien en plus. Le jeu est sorti il y a vingt-huit ans et entre toutes les interviews, les vidéos exhumées des versions de travail, le gigaleak, le portage PC et toutes les rééditions, j’ai l’impression que Mario 64 ne nous a jamais quitté, qu’il n’a jamais été obsolète, alors que les autres pionniers de la 3D comme Tomb Raider et GTAIII n’intéressent plus que les vieilles badernes. Faut-il vraiment qu’à mon tour je vous narre la magie des premiers sauts en longueur dans la cour du château, la surprise de voir de la lumière éclairer le hall d’entrée après avoir eu la 10ᵉ étoile, ou de trouver la piscine de métal liquide, ou de faire partir le sous-marin, de voir Lakitu dans le miroir, de faire stopper l’horloge, de sauter en arrière dans l’escalier sans fin ? Vous savez tout ça par cœur, n’est-ce pas ; vous êtes convaincus, comme tout le monde, que Mario 64 est et sera pour toujours un des meilleurs jeux du monde, et qu’il est donc inutile que je vous le rappelle à nouveau ?

Ou alors, peut-être qu’en réalité vous ne savez pas tout ça. Peut-être que ce vieux machin de 1996 vous laisse tout à fait indifférent, peut-être que la vraie raison pour laquelle je n’ai pas besoin de parler de Mario 64 est que vous n’en avez pas envie. Peut-être suis-je moi aussi devenu une baderne, incapable de changer d’avis, cramponné à mes souvenirs d’un jeu tant encensé qu’on ne sait plus réellement ce qu’il vaut. Peut-être que la seule évocation de B3313, un mod de Super Mario 64 qui s’inspire de vidéos d'analog horror basées sur des creepypastas du fandom issues de cet iceberg de légendes urbaines elles-mêmes nées des premiers screenshots de la beta et les reportages confus que les journalistes en faisaient alors, est à-même de vous plonger dans un profond coma avant d’avoir fini de lire cette phrase. Et ce serait bien légitime. Comment expliquer alors que j’ai passé les derniers jours de mon chômage (celui que j’avais entamé en jouant 100 heures à Elden Ring lol) à jouer à B3313, comme jamais un jeu d'“horreur” ne m’avait donné envie de le faire de mémoire ? Alors que le bousin est sorti inachevé et qu’il est virtuellement impossible d’en faire le tour sans aller lire le satané wiki ?

J’ai essayé de le faire longuement ailleurs, alors pour résumer ici : B3313 est le Mario 64 de mes cauchemars, le « meilleur jeu du monde » devenu gâteux et corrompu, le produit d’une hallucination collective à laquelle j’ai presque honte de faire partie. Une expérience fascinante, qui en dit plus long que la majorité des éloges qu’on fait à Mario 64 depuis ces premières photos floues du jeu en développement. Un produit de niche, oui, mais aussi l’aboutissement improbable et miraculeux d’un des plus grands phénomènes culturels de l’histoire du jeu vidéo. Soit ça, soit c’est juste qu’après avoir fait celui-là, je vais plus trop avoir le temps d’en faire d’autres avant un bon moment.

Critique de The Legend of Zelda: Tears of The Kingdom (Nintendo EPD et Monolith Soft, 2023)

Verso de la pochette du disque "I Feel Love (Special New Version) (15 Min Remix By Patrick Cowley)" de Donna Summer

En cherchant des critiques négatives de l’exceptionnel Breath of the Wild, la plus convaincante que j’aie trouvée était une vidéo de 2 heures de Joseph Anderson intitulée « Not Enough Zelda ». Je ne serais pas surpris qu’en jouant à la suite de Breath of the Wild, Anderson en arrive à la même conclusion. Plutôt que d’être, comme je m’étais laissé l’imaginer ces six dernières années, un ajustement de sa formule novatrice (en gros : Minecraft) pour incorporer les mécaniques où les anciens Zelda s’en sortaient le mieux, Tears of the Kingdom fait l’inverse et capitalise sur ce qui faisait sa force, quitte à se traîner les mêmes faiblesses. Le scénario pour commencer : c’est assez délirant de réaliser que six ans après, c’est toujours les PNJ muets générés à partir de Mii qui sont plus intéressants que les protagonistes doublés par des acteurs, encore coincés dans des flashbacks discounts parce que c’est le prix à payer pour la non-linéarité, faut-il croire. M’est avis que l’intrigue du jeu se prêtait pourtant bien à une narration à la Outer Wilds (Mobius Digital, 2019), qui est non linéaire et bien faite, mais passons. (Et les donjons sont toujours bof)

Les autres problèmes du jeu sont heureusement amoindris par ses trois principales nouveautés, qui sont en réalité d’habiles expansions de mécaniques présentes dans BotW. L’assemblage de véhicules, en plus de ravir petits et grands, donne un nouveau souffle bienvenu aux sanctuaires, qui sans quoi fonctionnent exactement sur le même principe qu’avant (en gros : Portal). Le sertissage des armes valorise grandement le loot, fait monter la puissance offensive (et donc le niveau des ennemis) plus vite, et compense la frustration de casser une arme puissante en permettant d’en bricoler une autre dans la foulée. Et surtout, le doublement du terrain de jeu (en gros : Elden Ring), conjugué avec les chutes libres (en gros : Fortnite) et les nouvelles interactions saupoudrées çà et là pour combler les vides de BoTW, refait gonfler ce qui reste à mes yeux le cœur de la formule : le pyrénéisme. Ça n’a pas loupé : j’ai encore passé cent heures à déambuler dans un monde que je pensais connaître par cœur, à grimper à toutes les montages et à éclairer toutes les grottes, et c’était génial.

On n’a pas fini de se pâmer sur les exploits de game design de TotK, sur cette virtuosité qui va influencer toute la production dans les années à venir, comme on l’a fait pour Mario Odyssey avant lui, et vous savez ce que j’en pense de Mario Odyssey. Yep, ce Zelda “marche”, cette remix 12 pouces de Breath of the Wild nous garantit de danser jusqu’au bout de la nuit, mais je continue à croire qu’il reste des forces que les Zelda traditionnels avaient et que cette formule parfaite n’exploite pas, si toutefois elle est en mesure de les exploiter. Je rêve de plus d’architecture, plus de mystère, plus de frousse, plus d’enjeu. Quitte à malmener les axiomes, à ne plus laisser autant la liberté au joueur de casser le jeu à chaque instant. En d’autres termes, quelque chose de plus Zelda.

  • Après coup : je voulais en dire davantage sur cet angle techniciste que, me semble-t-il, de plus en plus de critiques épousent aujourd’hui, peut-être parce que des mots comme “systémique” ou “émergent” s’avèrent être des outils adaptés pour parler de jeux de plus en plus longs et complexes, ou peut-être parce qu’il n’y a plus que les aspirants game designers qui lisent encore des critiques de jeu vidéo. Quoi qu’il en soit, même si c’est un angle très instructif, ce n’est pas le seul. Comme avec les cordes dans The Last of Us Part II, ne vous laissez pas intimider par la prouesse d’un moteur physique pour exprimer ce que vous pensez d’un jeu vidéo.

Critique d’Immortality (Sam Barlow, 2022)

Capture d’écran du clip de « Best In The Class » par Late Of The Pier

En lançant Immortality, mon premier Sam Barlow, et mon premier jeu-avec-des-vidéos (ou “FMV” mais c’est naze comme appellation) depuis la fois où j’avais lancé Night Trap (Digital Pictures, 1992) pour rigoler, et en sachant d’avance que le contenu du jeu était Trop Chaud Pour Le Streaming, je m’étais attendu à du nanar. Y'a un moine-Jésus sexy qui veut baiser, un détective qui enquête en soirées Andy Warhol, une chanteuse en crop top de la fin des 90s, des plans nichons à foison, le tout enrobé de paranormal, avec ça il y aurait de quoi rire n’est-ce pas ? Mais il s’avère que Barlow sait mieux tenir une caméra que les réals de Night Trap, et le résultat ressemble plutôt à des tranches de vie sur des tournages, avec des acteurs et des techniciens qui flirtent, qui s’engueulent, qui s’affairent, qui réfléchissent, dans une plus ou moins franche camaraderie. Je m’attendais à de la série Z, je me retrouve avec La nuit américaine. N’importe quel autre AAA (sauf les Naughty Dog bien entendu) aurait eu des cinématiques plus cons ; c’est peut-être pour ça qu’Edge lui a mis 10/10.

Mais ce n’est pas parce que les cinématiques, quand bien même font-elles la quasi-totalité de ce qu’on voit dans ce jeu, sont faites avec goût qu’Immortality est immunisé contre le ridicule. Pour moi, l’humour involontaire a surgi de ses deux principales mécaniques, à savoir mettre la vidéo en pause pour cliquer sur des objets, et (attention c’est là que je divulgâche) passer la vidéo en marche arrière chaque fois que la manette vibre.

Cette deuxième mécanique, expliquée nulle part, fait office de surprise macabre : ces vidéos sont hantées ! Puis dès qu’on a capté le truc et qu’on rembobine à chaque vibration, on se rend compte qu’une fois sur deux, la « surprise macabre », c’est le Fantôme de la Moviola en train de rouler une pelle/simuler le sexe avec quelqu’un qui semble ne pas se rendre compte de sa présence, avant de nous faire un regard caméra complice, en mode hihihi, je hante les films pour pécho leurs acteurs 😈. Vous me direz alors : arrête de te moquer, c’est probablement expliqué dans le scénar. Probablement ! Le souci c’est que pour le voir, ce scénar, il faut passer par la première mécanique, celle où il faut cliquer sur des objets pour être redirigé vers une vidéo au hasard, y compris une déjà débloquée. Finir Immortality, en tout cas débloquer suffisamment de vidéos pour comprendre ce qui s’y passe, consiste donc à bourriner n’importe quel truc un peu insolite sur lequel la caméra va parfois s’attarder sans subtilité, jusqu’à enfin tomber sur une vidéo inédite. Steam donne un succès à chaque fois qu’on trouve la totalité des vidéos de chaque tournage, et après 20h à cliquer partout comme un couillon je n’en ai eu aucun. Désolé Sam Barlow, je publie cette critique et après je vais lire la fin de ton jeu sur un wiki.

Critique de Tunic (Isometricorp Games, 2022)

Dessin que j’ai fait en 2014 en jouant à The Legend of Zelda (Nintendo R&D4, 1986)

Je vous ai dit dans ma critique d’Inscryption que j’essayais de ne pas trop divulgâcher les jeux dont je parle, et Tunic est un de ceux pour lesquels la tâche est quasiment impossible. Mais c’est aussi un jeu que je crois pouvoir résumer en une comparaison très simple, et l’occasion est trop belle pour ne pas la saisir ici.

Tunic, donc, c’est [spoiler] en mieux. Les deux sont des jeux-hommage dégoulinants de nostalgie dès leur jaquette, créés par un mec (canadien) quasiment tout seul pendant de longues années, qui régurgitent leurs influences que tous les nerds reconnaîtront instantanément dans un emballage minimaliste et coloré, et qui compensent la relative légèreté de leurs mécaniques centrales par une abondance de puzzles méta, quitte à faire reposer leur durée de vie dessus. Même leurs OST se ressemblent ! Tunic étant sorti 10 ans après [spoiler], il incorpore (pour ne pas dire plagie) d’autres influences plus récentes, en particulier ce satané [spoiler] comme tout le monde, mais aussi [spoiler] à qui il doit énormément – et qui piquait déjà quelques trucs à [spoiler], notamment son compositeur – et surtout [spoiler], qui reste une perle dans mon cœur malgré ses excès de zèle et le melon de son créateur, là-aussi un type qui (fait genre qui) travaille en solo pendant des années sur des jeux-hommage colorés bourrés d’énigmes méta. Rien que pour ça, j’étais disposé à ne pas aimer Tunic. Le gratin de restes, c’est ce qu’on sert aux enfants qui n’aiment pas la vraie nourriture, et y'en a marre de ces indés hipster qui nous prennent pour des grands enfants.

Quelques heures plus tard, modulo le temps passé en Pause à gribouiller sur un papier, car vous l’avez compris c’est ce genre de jeu, il m’apparaît évident que Tunic a réussi là où [spoiler] a échoué, avec ses bidules cachés qui ne servaient qu’à remplir le pourcentage de complétion, et ses puzzles chiants qu’on voyait venir à dix kilomètres, style ces QR Code que je n’ai toujours pas digéré depuis l’époque où je n’avais pas les moyens d’avoir un smartphone, et où la dernière chose que j’avais envie de faire dans un jeu vidéo était d’Alt-Tab sur Paint pour aller assembler des captures d’écran (spoiler : c’est pourtant exactement ce que j’ai dû faire à un moment dans Tunic). Non, en vrai, Tunic m’a fait me prendre à son jeu. Oui, il faut fouiller chaque recoin jusqu’à connaître le décor par cœur, oui il faut backtracker péniblement pour tester tel objet ou tel truc bizarre sur tous les endroits suspects croisés auparavant, et en plus le jeu est plutôt difficile. Oui, parfois c’est aussi fun que de trouver une pièce de dix centimes en faisant le ménage. Mais tout ça, je l’ai fait avec entrain, j’ai signé ce pacte que [spoiler] voulait me faire passer. Je dirai, simplement, que Tunic me promettait mieux en retour. Il n’a peut-être pas tenu toutes ses promesses, mais le vrai secret de tous ces jeux à mystères, c’est que leur voyage importe plus que leur destination.

  • Après coup : y’en a marre des lores incompréhensibles ! Combien de wikis à moitié vides, d’ARG avortés et de fils Reddit interminables vais-je devoir encore me farcir pour saisir les révélations que le jeu que je viens de 100%ter a refusé de me donner ? Je dois acheter le 2 dans 5 ans, c’est ça ? Vous croyez que je vais tomber dans le panneau alors que j’ai refusé d’acheter Asemblance: Oversight (Nilo Studios, 2018) ? Vous ne pouvez pas juste tout expliquer dans le manuel, comme on faisait autrefois ?

Critique d’Elden Ring (FromSoftware, 2022)

“Anticipation” par Tonton_Chelou, capture d’écran d’Assassin's Creed Valhalla (Ubisoft Montréal et al., 2020)(https://www.factornews.com/slice/anticipation-47065.html)

Qu’est-ce qu’on fait dans un open world ? Je sais pas, j’en fais jamais, c’est pour ça que je pose la question. Dans ceux d’Ubisoft, j’imagine qu’on grimpe à des tours, qu’on tire sur des mecs, qu’on collectionne des trucs ? Dans The Witcher 3, on regarde des dialogues et on joue aux cartes ? Dans Breath of the Wild, en revanche, je sais qu’on peut grimper à toutes les montagnes, j’ai passé une bonne centaine d’heures à ne faire que ça dans ce jeu. L’univers c’était pas mal non plus ; le scénario, j’étais moins fan ; les combats, je n’en avais rien à foutre.

Du coup c’est marrant, parce que je viens de passer une bonne centaine d’heures sur Elden Ring et il ne fait aucun doute que le cœur du jeu, ce sont ses combats. Si vous faites autre chose dans ce jeu que buter des monstres, ça ne servira qu’à augmenter votre capacité à buter des monstres. Ce qui n’est pas si différent d’un vieux Dragon Quest, où tout concourt à vous faire monter de niveau, jusqu’à ce que le jeu se gagne tout seul, tôt ou tard selon que vous preniez des risques ou que vous vous contentez de farmer des blobs. Dans Elden Ring aussi, si vous réfléchissez un minimum à l’économie du jeu et que vous savez trouver des verts pâturages où pexer plus facilement, le jeu finira par se gagner tout seul. Une telle approche était inenvisageable dans Demon's Souls (FromSoftware, 2009), le premier de la série et le seul que j’ai fait. Je ne sais donc pas ce qui s’est passé entre-temps, mais j’ai bien vu que je n’étais pas le seul à avoir trouvé l’équilibre de ce jeu assez précaire. Et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre : je préfère de loin la balade à la bagarre, alors quand mon samouraï à double épée fait brrrrr, j’estime avoir été dûment récompensé.

Parce que le reste, pour le coup, ça ne m’intéressait déjà pas beaucoup dans Demon's Souls et ça me laisse bien de marbre dans Elden Ring. Heureux qui comme Alt236 arrive à se passionner pour ces personnages qui popent ça et là sur la carte, raides et inexpressifs, voire mythomanes, qui vous parlent de boss qui ont tous les mêmes noms et qui sont tous morts/fous depuis longtemps, car bien entendu, le monde de ce jeu est un post-apo où tout est en ruines, où tout ce qui bouge est un monstre, où on sait à peine ce qu’on fiche ici ni pourquoi on obtient telle ou telle fin, encore moins ce qui se passe à telle ou telle fin. C’est donc ça, le jeu de l’année, un bouquin de fantasy auquel il manque la moitié des pages ? Un monde mort qui n'existe que pour être méthodiquement pillé ? Elden Ring est déjà très bien comme ça, mais je suis sûr qu’on peut faire beaucoup mieux que ce soufflé au Souls.

  • Après coup : j’ai aussi joué à un autre monde ouvert un peu avant Elden Ring : Sable (Shedworks, 2021), un jeu où on peut aussi grimper à toutes les montagnes… sauf que c’est des petites buttes chiantes dans un grand désert vide. Je l’ai lâché au bout de six heures. Si vous voulez grimper aux montagnes sans vous battre, faites plutôt A Short Hike.

Critique de Bowser’s Fury (Nintendo EPD, 1-UP Studio et Nintendo Software Technology, 2021)

Parc aquatique gonflable à Lacanau (Gironde)

J’ai, hélas ! beaucoup de réserves vis-à-vis de Super Mario Odyssey (Nintendo EPD et 1-UP Studio, 2017), un jeu que j’étais pourtant censé adorer, une fusion entre Mario 64, Mario Sunshine et Mario Galaxy qui s’est avérée moins bonne que ces trois jeux-là pour plein de raisons, certaines quantifiables et d’autres que je peine à m’expliquer. Je suis certainement plus vieux qu’en 1997, mais tout de même, qu’ai-je vu ailleurs que je trouve manquer à un Mario, cette série qui m’a presque tout appris ?

Bowser’s Fury est une fusion entre Mario Odyssey et Super Mario 3D World (Nintendo EAD Tokyo et 1-UP Studio, 2013), le successeur de Mario 3D Land que je décrivais à l’époque comme le Mario d’un monde parallèle. Un monde où, suivant cette logique de Crash Bandicoot-ification, le successeur de 3D World aurait dû être un GTA-like. Un monde sans avenir, donc ; 3D World était un beau jeu d’action mais aussi une impasse évolutive, coincée dans le double carcan des mondes linéaires et de l’esthétique aseptisée et inoffensive du Monde Merveilleux de Super Mario™️. Et intelligemment, à l’occasion de la réédition de 3D World huit ans plus tard, Bowser’s Fury y adjoint une sortie de secours. Peut-être aussi une manière de sonder le public, si délicat à cerner dès qu’il s’agit de Mario en 3D – à en croire les chiffres de vente en tout cas†.

L’idée est futée, l’attention est délicate, mais je ne peux pas me mentir : c’est encore un mélange foireux, inférieur à ses deux inspirations. Odyssey proposait au moins ses lunes-slash-pièces bleues-slash-noix Korogu dans des cadres dépaysants ; ici, c’est des modules peinturlurés qu’on a éparpillés sur une mer d’huile, façon Splash Park de Lacanau. Jamais un “vrai” Mario n’a été aussi fade. Vous me direz : ce n’est pas un “vrai” Mario, juste un bonus expérimental, et l’expérience n’est pas si ratée que ça, quand on se dit qu’elle se plie en 8 heures et qu’elle est vidée du gras qui alourdissait Odyssey. Nous sommes d’accord, c’est pas mauvais Bowser’s Fury ; n’empêche que je me demande quand est-ce que Nintendo fera à nouveau un “vrai” Mario réussi, un où l’on ne fait pas que ramasser 5 fragments de trucs et battre les mêmes boss en boucle, un qui n’est pas garni de micro-gratifications compulsives suspectes, ne consacre pas un tiers de son contenu à faire office de tutoriel géant, et ne se termine pas invariablement par des défis chronométrés et des ascenseurs lents flottant au-dessus de lave (le design « si tu t’ennuies, tu meurs », pour reprendre les mots de Tim Rogers). Et j’ai tendance à penser que pour éviter ces écueils, un tel jeu ne peut pas être un Bowser’s Fury dilaté. Peut-être ne pourra-t-il s’agir que d’un jeu de post-plateformes. Ou peut-être qu’en fait, les “vrais” Mario ne sont plus des jeux pour un vieux croûton comme moi.

  • Après coup : le « GTA-like » était une allusion à Jak II (Naughty Dog, 2003), mais il est vrai que Crash Bandicoot a eu d’autres suites, lesquelles semblaient cependant souffrir d’une certaine crise d’identité (je suis d’avis que c’était déjà un problème qu’avait le premier Jak). Ironiquement, Bowser’s Fury est sorti quatre mois après Crash Bandicoot 4, qui ne m’a pas du tout l’air d’être post-plateformes. Il faudrait que je le fasse pour voir.

Les chiffres de vente précis peuvent être difficiles à déterminer avec certitude. Pour les trouver, j’ai consulté le site payant Ludostrie, animé par l’ancien journaliste de Gamekult Oscar Lemaire, et dont les chiffres donnés pour les jeux Mario recoupent exactement ceux listés sur le wiki Fandom consacré à Nintendo.

Critique de Inscryption (Daniel Mullins Games, 2021)

Capture d'écran d'une vidéo promotionnelle pour Inscryption

Je croyais (ou je vous ai fait croire, si vous me suivez sur Mastodon) que je m’imposais des règles d’écriture sur ce blog, mais en vérité, en dehors de la limite flottante des 500 mots, je suis infoutu d’en suivre une bien longtemps. Ceci dit, après avoir allègrement spoilé The Last of Us Part II (alors que je m’étais tracassé à faire l’inverse dans la version longue de ma critique), j’évite désormais de parler des rebondissements dans les jeux dont je vous parle, sauf à la rigueur pour titiller votre curiosité. Certes, tout propos sur un jeu est susceptible de vous gâcher celui-ci – et je vous en conjure, si vous êtes intéressé par un jeu dont je vous parle, allez y jouer avant de me lire ! – mais quand les rebondissements deviennent une raison majeure de s’intéresser au jeu en question, je serais bien malpoli de vous les divulguer. Rien que de dire « ah, il ne faut pas spoiler ça », c’est déjà du spoil en soi.

Les rebondissements promis par Inscryption, jeu d’horreur où perdre aux cartes tue, crée par un habitué des coups de théâtre (Daniel Mullins avait fait Pony Island en 2016), étaient la raison pour laquelle je me suis intéressé au jeu, à la base. Parce que les cartes Magic, perso, ça va bien cinq minutes, et j’avais déjà regardé mes potes dessouder Slay the Spire (Mega Crit Games, 2019) auparavant. Mais Inscryption est nettement plus captivant, ne serait-ce que visuellement. Le savoir-faire esthétique à l’œuvre est même assez démesuré au regard de l’ambition finale du titre. Et pas seulement l’esthétique ; dit autrement, il y a trop de trucs dans ce jeu, et qui ne vont pas tous dans le sens de son scénario. Sans avoir regardé ce qui s’en disait ailleurs (une autre de mes règles d’écriture qui varie en fonction de la marée), je doute fortement que le joueur lambda d’Inscryption parvienne à ne serait-ce qu’effleurer les permutations possibles de toutes les règles du jeu avant de tomber sur le générique de fin, sans parler du fait que certaines règles sont décrites mais ne sont tout bonnement pas implémentées. Je pourrais résumer Inscryption en une métaphore (encore une des mes règles) à base de chute libre dans le terrier du lapin blanc, avec un parachute ACME qui marche n’importe comment, et arrivé en bas on est en réalité retourné dehors, et une corde pend pour nous inviter à remonter, or je sais pas vous mais je préfère largement sauter en parachute que grimper à une corde, mais comme vous voyez c’est déjà trop alambiqué et si j’en dis davantage je vous aurais réellement dégoûté du jeu. Alors qu’en vrai, c’est juste que je n’ai pas été aussi convaincu par ses rebondissements que je l’espérais en dégringolant dedans. Non, franchement, tant pis si c’est pas du Stephen King, c’est toujours plus cool qu’un vrai rogue-lite.

  • Après coup : je disais qu’avant de faire Inscryption, j’avais passé des soirées chez des copains à les regarder « dessouder » Slay the Spire. À moins qu’ils n’aient simplement laissé le jeu se dessouder tout seul ? Mais ce sera un thème à aborder pour une autre fois, le jour où j’arriverai à finir un vrai rogue-lite.

Critique de We Love Katamari (Namco et Now Production, 2005)

Jaquette de Tetris 2 sur Super Nintendo

Je vais pas me gêner et citer encore une fois Tim Rogers, car après tout je n’ai que 500 mots : Katamari Damacy (Namco, 2004) est bel et bien un sommet du jeu pop, un concept « au cœur pur » qui « tient dans le creux de la main ». J’ai découvert Katamari quinze ans plus tard, sur PC, et ce jeu m’a soigné d’une déprime que je ne pensais même pas avoir. Il a ravivé mon amour du jeu vidéo, rien que ça. J’ai aussi une appétence particulière pour cette ambiance “Cool Japan” qui était déjà en voie d’extinction, ces couleurs acidulées qui me rappelaient la Dreamcast, cette OST que j’aurais aimé télécharger sur eMule quand j’étais encore au lycée, si seulement j’avais eu l’occasion de l’entendre à l’époque. Je continue à recommander chaudement Katamari à toutes les soirées où, bourré, j’entends des gens me parler de jeu vidéo au passé parce qu’ils ont perdu trop de temps sur LoL ou Binding of Isaac. Je veux dire, c’est pas mal Isaac, mais Katamari a le bon goût de se terminer un jour, lui.

Ou pas ? Il est sorti onze jeux estampillés Katamari après celui-là. Un seul a été chapeauté par le créateur original, Keita Takahashi, et c’est ce We Love Katamari, sorti à peine un an après Damacy. À présent, ce n’est plus juste Katamari, c’est du Katamari. Je n’ai pas relancé Damacy pour comparer, et entre nous, à quoi bon ? Le Roi du Cosmos, votre père, est un sale con qui vous humilie à chaque défaite et même après le générique de fin. Les autres persos du jeu sont littéralement des fans de Katamari Damacy qui vous réclament plus de Katamari. On a fait plus subtil comme mise en abyme. Mais We Love Katamari sait garder son âme généreuse, avec une nouvelle fournée d’excellente musique et quelques twists rigolos pour, selon l’expression consacrée, pimenter la formule. Il y a un mode deux joueurs que je n’ai pas encore essayé. Il y a des cosmétiques à débloquer mais j’ignore comment. Il y a une version monstrueuse du personnage principal dont le visage est déplacé dans son antenne et qui m’a fait beaucoup rire. Il y a toujours possibilité de refaire chaque niveau pour augmenter son score. Oui, on peut refaire du Katamari encore et encore pour qu’il ne se termine jamais. Je n’ai pas eu envie de faire ça avec Damacy, et je n’ai pas spécialement envie de m’y mettre avec celui-là ; j’ai eu ma dose et c’était très très bien, n’abusons pas des bonnes choses. Et honte à cette industrie répugnante qui gave les joueurs de sucre et de gras, qui transforme tout en malbouffe, y compris les concepts au cœur pur comme celui de Katamari. J’ai presque envie de dire, si We Love Katamari ressort lui aussi sur PC un jour, ne l’achetez pas.

  • Après coup : bon OK je vous explique la blague : Lou Bega n’a jamais sorti Mambo No. 6. Mais il a sorti I Got A Girl qui est quasiment le même morceau que Mambo No. 5, décalé d’un demi-ton, et qui commence par « 6, 7, 8, 9, 10 » là où Mambo No. 5 commençait par « 1, 2, 3, 4, 5 ». Le plus fort, c’est que les deux pistes étaient sur le même album.

Critique de killer7 (Grasshopper Manufacture et Capcom Production Studio 4, 2005)

Le Resident Evil annulé pour Game Boy Color

Plus encore que dans les autres jeux de Suda51 auxquels j’ai pu jouer (à savoir les deux premiers No More Heroes), quasiment toutes les mécaniques de killer7 sont ratées. Interagir avec les PNJ revient à les écouter dire n’importe quoi d’une voix de robot dans un silence de cathédrale, avant qu’ils ne finissent par donner un indice à une énigme dont la solution est soit déjà indiquée dans la carte du jeu, soit digne des pires point’n’click, du genre « regarder une photo en étant devant une porte pour qu’elle s’ouvre ». À un endroit, juste à la sortie d’une salle de sauvegarde, spawnent trois géants qui vous tuent en un coup. Pas d’autre moyen pour passer que de les cheeser, ce qui est à peu près aussi amusant que d’aller chercher des ciseaux pour ouvrir un emballage alimentaire parce que l’ouverture facile est incompréhensible. Tout comme le scénario d’ailleurs, un délire post-Grant Morrison ou plutôt post-Kojima, pas aidé par la traduction française et divorcé du reste du jeu jusqu’à l’absurde. Le système de personnages tient à peine debout : pourquoi y a-t-il tant de salles où changer de perso s’il suffit d’appuyer sur Start pour le faire n’importe où ? Même la caméra a le don de buguer après avoir fait un demi-tour, donc en général quand on cherche à fuir un ennemi, donc en général au pire moment possible. Ce jeu est pas fini, et il n’y a pas besoin d’aller vérifier sur Wikipédia pour s’en apercevoir.

Si les mécanismes sont ratés, que reste-t-il ? D’abord l’ambiance. Ça saute aux yeux : killer7 est stylé, cryptique, malsain, distrait, vénère, prétentieux, bref : complètement bourré, donc fascinant à décortiquer pour tout amateur de fiction dérangée, qui plus est dans le jeu vidéo où 17 ans après, ces audaces punk sont toujours trop rares. Mais killer7 est aussi intéressant à dépiauter pour un autre genre d’amateurs, de game design ceux-là, qui verront dans le jeu une tentative, quand bien même foireuse, de faire un Resident Evil ultra-minimaliste, où comme dans les vieux jeux de Shinji Mikami (également co-scénariste de killer7) la priorité est donnée au spectacle visuel et aux angles de caméra cinématographiques plutôt qu’à la liberté de mouvement. En guidant systématiquement le joueur vers chaque point d’interaction possible, le mouvement sur rails décrié à l’époque résout un vrai problème des jeux d’aventure classiques, celui de la chasse au pixel – et Suda51 a dix ans d’expérience dans ce format au moment de faire killer7. Lequel est sorti six mois après Resident Evil 4 (Capcom Production Studio 4, 2005), toujours réalisé par Mikami, et qui a codifié une grammaire du jeu de tir à la 3ᵉ personne encore en vigueur aujourd’hui. Ce serait bien de voir les bonnes idées de killer7 faire des émules elles aussi, plutôt que de rester oubliées dans cette curiosité de l’histoire du survival-horror.

Critique de Disco Elysium (ZA/UM, 2019)

Ostpolitik et Usul dans l’épisode « Macron a-t-il tué la droite ? » de l’émission « Ouvrez l’Élysée"(https://www.youtube.com/watch?v=HjZQ8Sk6Sec)

Je faisais le malin la dernière fois sur les JRPG, mais la vérité est que je n’ai pas fait assez de RPG. Je n’ai pas le pedigree des nerds du papier-crayon, ces magiciens capables de consacrer leurs soirées à imaginer ensemble des mondes qui ne tiendraient pas dans mille pages de littérature, ni dans cent gigas de jeux vidéo, n’est-ce pas CD Projekt ? Je n’ai même pas fait Fallout : New Vegas (Obsidian Entertainment, 2010). Pourquoi je parle en fait. Pourquoi je m’embête avec Disco Elysium, ce jeu soi-disant “vidéo” où tout se passe dans le tiers droit de l’écran, et par “tout” je veux dire “des murs de texte”, le reste ne servant en fin de compte qu’à l’illustrer ? N’a-t-on pas fait un minimum de progrès technologiques depuis Planescape Torment (Black Isle Studios, 1999) ? Ne ferais-je pas mieux de lire un bouquin, au hasard celui du scénariste Robert Kurvitz, qui n’a fait ce jeu que parce que personne ne lui a acheté son livre ? (je sais qu’il n’existe qu’en estonien, c’était une question rhétorique)

Je ne saurais donc dire si Disco Elysium et ses pavés sont la révolution du jeu de rôle, celui dans lequel on peut être qui on veut, où nos choix ont réellement des conséquences, vous connaissez la chanson. Je sais juste que c’est un cauchemar. Un cauchemar de gauchistes, même : dockers syndiqués, vétérans de guerres civiles, teufeurs, racailles, antifas, gens-des-beaux-arts et autres théoriciens de Twitter ont tous leurs doubles maléfiques parmi les décombres du monde, tous impuissants à en changer la marche. Au-dessus de ces losers magnifiés plane le mec que l’on joue, l’incarnation de l’échec insurmontable, peut-être un alter ego de Kurvitz, lui aussi en proie à des démons bien ordinaires. Dans presque tous les RPG auxquels j’ai joué (très peu donc), on devient de plus en plus fort jusqu’à devoir tuer Dieu. Dans Disco Elysium, si vous parvenez à tenir une semaine sans avoir causé une mort, c’est déjà pas mal : tout pue la défaite dans cet univers, et tout ce que vous pouvez faire pour y échapper, ce sont des lancers de dés. Mine de rien, cela en fait une expérience bien plus cathartique que tous ces jeux où la dépression vient fermer toute perspective et priver de toute agency. Oui, même dans ce monde que personne ne viendra sauver, si vous dites les bonnes choses aux bonnes personnes, quelque chose de chouette pourrait vous arriver.

Certes, peut-être que Disco Elysium est un jeu de vieux, où on ne fait que lire et crapahuter entre les quatre ou cinq mêmes recoins de la carte, en attendant de tomber sur la bonne ligne de dialogue qui fera avancer l’histoire. Peut-être que je n’ai pas fait assez de RPG pour voir que c’est le degré zéro de la narration vidéoludique. Mais ce n’est pas ça qui me fera bouder mon plaisir de jouer au détective amnésique. Des murs de texte aussi captivants à lire, je n’en vois pas souvent dans les jeux vidéo ; on pourra toujours en reparler lorsque j’aurai lu plus de livres.