Un blog fusible

pour couper le cirque cuit

pylône épuisé au bout des câbles incliné dans sa solitude

l'autre silhouette s'éloigne vers l'ombre mince des fleurs


#poésie #tanka photo ©Thadeus

cantique des crevasses

crevasses dans la terre sèche si larges que la poussière sous nos pas ne les comblera jamais assez

crevasses dans nos mains entaillées de lignes si confuses que plus personne n’y peut déchiffrer le moindre destin

crevasses dans nos bouches suffocantes lèvres béantes gercées de rage qui saignent sous la morsure de nos dents furieuses

crevasses de nos paroles trous trop pleins de mots dans le chaos burlesque de nos propos

et toi crevasse dans la nuit du cosmos ton vertige sans bornes déchiré d'une traînée d'étoiles blêmes ouvre les pans d'un immense néant

l'orchis lance sa hampe au plus haut flèche traçante de fusée d'artifice chargée de dizaines de graines explosives saluée par autant d'étoiles bleues et vertes du genévrier

puissant élan de la jeunesse qui propulse à la verticale tous les destins possibles

quelle tige unique saura opposer la vie de ses fleurs blanches à la rage des vents aux ciseaux glacés de la grêle

quelle orgueilleuse trajectoire saura résister au temps

seules le sauront plus tard les baies noires du buisson


Photo par Gilles Le Corre « Orchis de bouc poussant au pied d'un jeune genièvre ». Juin 2023 Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP


#photo #poésie

il penche

il marche en vacillant un peu il penche côté gauche puis il avance il hésite au pas suivant puis avance encore

la passerelle qu'on appelle dans la ville le pont de fil mais ce sont d'épais câbles en acier qui le tiennent suspendu la passerelle est longue au-dessus des deux bras du fleuve qu'une grande île allongée sépare la passerelle est longue à qui marche avec peine

il marche il vacille un peu puis s'arrête et s'allume une cigarette il regarde le fleuve en bas les faibles eaux qui passent il regarde au loin là-bas du côté de l'autre pont le fleuve qui coule sage entre d'énormes arches de pierre

il avance encore sur la passerelle il ne sait pas vers où il marche ni s'il atteindra l'autre rive

il a quitté au matin l’hébergement d'urgence il marche en vacillant un peu à chaque pas il penche


choses vues du #vendredimanche

digne

à pas comptés le long des fraisiers le chat s'avance pas une patte ne touche la moindre feuille

exactement à l'endroit choisi posé sur son séant il regarde ailleurs très digne en chiant

quelques coups de griffe dans la terre molle suffiront à ses yeux pour masquer son étron


choses vues du #vendredimanche

je veux une rivière sans bord pour dormir dans son lit

je veux une nuit lourde de vagues longues mais pas l'ennui de l'insomnie

je veux l'instant volé la porte entrouverte sur un oiseau léger et la lune montante

je veux frémir et me réjouir plonger de rire et pleurer aussi

je veux la lumière d'un autre jour

#poésie #JeVeux

pour @Vesper

on nous trouve partout nous sommes des cailloux

cailloux du chemin des chantiers des talus des remblais du fond du ruisseau et du bas du muret à demi enfoncés dans la boue du sentier nous sommes des cailloux

cailloux gris cailloux blancs parfois noirs ou brillants de mica éclatant ternes le plus souvent sans même une couleur

inertes et discrets nous glissons sous le pied aussitôt oubliés

nul ne se souvient des rochers monstrueux à l'orgueil vaincu par la patience rongeuse des milliers d'années jusqu'à n'être plus que nous humbles cailloux ignorés du monde

seuls nous regardent les yeux qui savent inventer pour nous un destin de caillou

 

#nousSommes #poème

nous sommes braises endormies couvertes déjà du gris de l'oubli le souvenir même des flambées s'est longuement dissipé

sous la cendre accablante nous respirons pourtant un rien d'air voyageur rallume notre œil vif nous sommes braises éprises de clartés

en nos cœurs minuscules trop de feu qui attend nous sommes tenaces lumières impatientes qu'un brasier nouveau ouvre grand ses flammes     #poème #nousSommes

nous sommes silhouettes sans grâce d'argile ductile images floues derrière la vitre

nous sommes ombres dansantes sur l'instant indécis d'un matin fendu cisaillé de pierre tranchante

nous sommes des paroles qui en un jour s'étiolent leur souffle seul demeure

sans mémoire sans regret nous marchons vers le soir et le gris de nos vies disparaît dans la nuit    

#poème #nousSommes

à la lisière des crêtes le jour ouvre un œil bleu

les branches effarées se réveillent d'un long engourdissement

le combat contre la brume opaque peut commencer

la colline hérissée nous donne la force d'enfin déchirer les pesants nuages


Photo par Gilles Le Corre « Éclaircie dans les nuages le 23 avril tôt matin » Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP


#photo #poésie