Un blog fusible

pour couper le cirque cuit

Saviez-vous qu’il existe une section du projet Gutenberg dédiée aux autrices de science-fiction ?

C’est dans ce rayon que j’ai trouvé cette brève nouvelle de Thelma Hamm. Voici ma traduction du texte original sous licence Project Gutenberg initialement paru dans un magazine américain de SF en septembre 1952 et dont le copyright n’a jamais été renouvelé.

Le dernier repas

Une nouvelle de T.D Hamm

Embarrassée comme elle l’était par l’enfant dans ses bras, la femme courait moins vite maintenant. Guldran éprouva une intense jubilation qui atténuait son sentiment de culpabilité : il avait désobéi aux ordres.

Les instructions étaient impératives et concises : « Aucune capture ne doit être tentée individuellement. En cas d’observation d’une forme quelconque de vie humaine, le vaisseau amiral DOIT être averti immédiatement. Toutes les navettes de reconnaissance doivent être de retour à l’aire d’atterrissage au plus tard une heure avant le décollage. Si l’une quelconque ne le fait pas, elle sera considérée comme perdue. »

Guldran pensa aux grands océans de neige et de glace qui se succédaient inexorablement depuis que la Terre avait vacillé sur son axe lors de la grande catastrophe du millénaire dernier. Désormais, été comme hiver, des coups de vent et des blizzards paralysants s’annonçaient, précédés par la neige poudreuse. Cette neige dans laquelle les pieds vêtus de peau de la femme avaient laissé les traces qui l’avaient mené sur sa piste.

Son esprit d’anthropologue chevronné spéculait avidement sur le peu qu’ils avaient obtenu du plus jeune des deux hommes trouvé près d’une semaine auparavant, presque gelé et à moitié affamé. L’homme plus âgé avait succombé presque aussitôt ; l’autre, dans le langage des signes le plus primitif, avait indiqué que, de plusieurs humains vivant dans des grottes à l’ouest, seuls lui et l’autre avaient survécu pour échapper à une mystérieuse terreur. Guldran eut soudain pitié de la femme et de son enfant, abandonnés par les hommes, sans doute, comme un fardeau encombrant.

Mais quel coup de chance qu’il reste un mâle et une femelle de la race pour porter la semence de Terre sur une autre planète ! Et quel triomphe si c’était lui, Guldran, qui allait revenir à la dernière minute avec ce trophée… Pas besoin d’appeler à l’aide. Ce n’était pas une dangereuse troupe de guerriers armés, mais l’être le plus dépourvu de défense de l’Univers – une mère chargée d’un enfant.

Guldran accéléra de nouveau. Ses précédents cris n’avaient servi qu’à inciter la femme à redoubler d’efforts. Il y avait sûrement un mot magique qui avait survécu même aux siècles d’analphabétisme. Quelque chose qui équivalait à « du pain et du sel » pour tous les peuples analphabètes. Mettant les mains à la bouche en porte-voix, il cria : « Nourriture ! Nourriture ! Nourriture ! »

Devant lui, la femme tourna la tête, parut hésiter un instant dans sa course ; elle ralentit un peu mais continua à courir avec acharnement.

Le pouls de Guldran bondit. Il cria encore : « De la nourriture ! »

Dès que son pied toucha la surface cisaillée du piège, il comprit qu’il avait échoué. Alors que son corps s’écrasait sur les pieux aiguisés par le feu, il connut lui aussi la terreur que les derniers hommes de la race humaine avaient fui.

Au-dessus de lui, la femme le regardait avec des dents luisantes de louve. Elle montra du doigt la fosse ; elle s’adressa avec exultation à son enfant.

« Nourriture ! » dit la dernière femme sur Terre.

Leurs yeux sont parmi nous

Une nouvelle de Philip K. Dick

Avertissement Le texte original de cette nouvelle est paru dans la revue Science Fiction Stories en 1953.
Elle figure dans le projet Gutenberg sous la licence Gutenberg project. Un avertissement précise qu'après de sérieuses recherches on n’a trouvé aucune preuve que le copyright pour les USA ait été renouvelé.
Une traduction en français par Alain Dorémieux existe dans un recueil de nouvelles intitulé Derrière la porte, en collection : Présence du Futur, n° 481 (Denoël, décembre 1988). La traduction que je propose ici est entièrement différente.

C’est tout à fait par hasard que j’ai découvert l’incroyable invasion de la Terre par des formes de vie venues d’une autre planète.
Pour l’instant, je n’ai encore rien fait. Je ne sais pas comment réagir. J’ai écrit au gouvernement, et ils m’ont répondu en m’envoyant une brochure exposant la nécessité d’entretenir et de faire réparer la charpente de ma maison. Quoi qu’il en soit, les choses sont maintenant connues, je ne suis pas le seul à avoir découvert la vérité. Peut-être même que tout est sous contrôle.

J’étais tranquillement installé dans mon fauteuil et je tournais distraitement les pages d’un roman que quelqu’un avait laissé dans le bus, quand je suis tombé sur une phrase qui m’a mis sur la piste. Pendant une petite minute je n’ai pas réagi. Il m’a fallu quelques instants pour digérer l’idée. Mais ensuite j’ai trouvé bizarre de n’avoir rien remarqué tout de suite. La phrase faisait clairement allusion à des facultés incroyables qui ne pouvaient être celles d’habitants de la planète Terre. Plutôt des êtres, je me hâte de le souligner, qui habituellement se faisaient passer pour des êtres humains ordinaires. Leur déguisement, cependant, était transparent pour qui savait comprendre les observations effectuées par le narrateur. Il était évident que l’auteur savait tout – savait tout mais faisait comme si de rien n’était. La phrase (et je tremble encore rien que d’y penser à nouveau) disait :

Ses yeux parcoururent lentement la pièce

Je fus parcouru de frissons. J’essayai de me représenter les yeux. Est-ce qu’ils roulaient comme des billes ? Le passage ne le disait pas. Ils paraissaient se déplacer dans l’espace, sans contact avec le sol. Assez rapidement, semblait-il. Aucun des protagonistes du récit ne semblait s’en inquiéter. C’est ce qui m’a mis la puce à l’oreille. Pas le moindre signe d’étonnement face à une telle incongruité. Plus loin le phénomène prenait de l’ampleur :

Ses yeux allaient d’une personne à l’autre

On ne pouvait mieux dire : les yeux étaient clairement devenus des entités indépendantes du reste de sa personne et agissaient de façon autonome. Mon cœur battait à tout rompre et j’avais l’impression de ne plus pouvoir respirer. J’étais tombé sur une mention accidentelle d’une race totalement inconnue. De toute évidence non-terrestre. Pourtant, pour les personnages du récit, tout était parfaitement naturel – ce qui suggère qu’ils appartenaient à la même espèce.
Et l’auteur ? Un doute commençait à me ronger la cervelle. L’auteur parlait bien trop tranquillement du phénomène. À l’évidence, c’était pour lui quelque chose de tout à fait habituel. Il ne faisait aucun effort particulier pour dissimuler la vérité. Le récit continuait ainsi :

… à ce moment ses yeux se fixèrent sur Julia.

Julia, un personnage féminin, avait au moins le bon goût de s’en indigner. Elle rougissait et fronçait les sourcils avec irritation, disait la description. En lisant cela, je soupirai de soulagement. Ce n’était donc pas tous des extra-terrestres ! Mais la phrase suivante disait :

… lentement et calmement, ses yeux la parcoururent des pieds à la tête.

Nom d’un chien ! – mais à ce point la jeune femme tournait les talons et l’épisode s’arrêtait là. J’étais prostré sur mon fauteuil, pétrifié d’horreur. Ma femme et les enfants me regardaient médusés. — Quelque chose ne va pas, mon chéri ? me demanda mon épouse. Je ne pouvais rien lui dire. Une telle révélation aurait été trop forte pour le commun des mortels. Je devais garder ça pour moi. « Non, rien », balbutiai-je. Je bondis sur mes pieds, m’emparai du livre et quittai précipitamment la pièce.

Dans le garage, je poursuivis la lecture. Les choses empiraient. Tout tremblant, je lus le passage suivant :

… il passa le bras autour des épaules de Julia. Elle lui demanda aussitôt d’enlever son bras. Il le fit immédiatement avec un sourire.

On ne disait pas ce qu’était devenu le bras après que la créature l’avait enlevé. Peut-être qu’il flottait là tout seul dressé dans un coin de la pièce. Ou peut-être qu’on l’avait jeté, peu m’importait. En tous cas, tout cela devenait très clair et me frappait comme un coup de poing au milieu du visage.
C’était donc une race de créatures capables de s’enlever des parties de leur anatomie à volonté. Des yeux, des bras et peut-être davantage encore, en un clin d’œil. Mes connaissances en biologie me furent d’une aide précieuse. De toute évidence, il s'agissait d’êtres simples, unicellulaires, des sortes d’entités primitives à cellules uniques. Des êtres pas plus développés que les étoiles de mer. Vous savez sûrement que les étoiles de mer peuvent faire des trucs comme ça.

Je poursuivis ma lecture. J’en arrivai alors à la plus incroyable révélation, énoncée de sang-froid par l’auteur, sans le moindre frisson :

À l’entrée du cinéma, nous nous séparâmes. Une partie d’entre nous y entra, l’autre se rendit au restaurant pour dîner.

La fission binaire, évidemment. Se scinder en deux et former deux entités. Probablement que chaque moitié inférieure est allée au restaurant, qui était situé plus loin, et que les moitiés supérieures allaient voir le film. Je lisais encore, les mains tremblantes. J’étais vraiment tombé sur une chose énorme. Mon esprit chancela en parcourant ce passage :

… Je crains qu’il n’y ait aucun doute à ce sujet. Ce pauvre Barney a de nouveau perdu la tête.

et juste après :

… et Bob dit qu’il n’avait rien dans le ventre.

Pourtant Barney dans l’histoire se déplaçait comme les autres. Un autre personnage, toutefois, était tout aussi étrange. Il était décrit ainsi :

… il n’avait absolument rien dans le crâne.

Le doute n’était plus permis dans l’épisode suivant : Julia, que j’avais prise pour un personnage humain normal, se révélait être elle aussi une forme de vie extraterrestre, comme les autres :

… tout à fait délibérément, Julia avait donné son cœur au jeune homme.

Là encore, pas moyen de savoir où était passé cet organe, mais ça m’était égal. Il était évident que Julia suivait simplement les mœurs de tous les autres personnages. Sans cœur ni bras, ni yeux, ni cerveau ni boyaux, pratiquant la scission quand les circonstances l’imposaient. Sans se troubler.

… alors elle lui donna la main.

J’en étais malade. Ce salopard avait maintenant sa main comme son cœur. Je frissonnai de dégoût en pensant à ce qu’il pouvait en faire.

… il lui prit le bras.

Ne pouvant attendre plus longtemps, il avait commencé à la démembrer complètement. Écarlate, je refermai le livre et bondis sur mes pieds. Mais pas assez vite pour échapper à cette dernière vision des organes autonomes dont les errements m’avaient mis sur la piste :

Ses yeux le suivirent longtemps tandis qu’il s’éloignait sur la route qui traversait la prairie.

Je me ruai hors du garage et me réfugiai dans la chaleur de la maison, comme si ces choses maudites me suivaient sans cesse. Ma femme et les enfants jouaient au Monopoly dans la cuisine. Je me joignis à eux et jouai passionnément, avec un enthousiasme fébrile, en claquant des dents.

J’en avais plus qu’assez de cette histoire. Je ne voulais plus en entendre parler. Qu’ils viennent, après tout, qu’ils viennent envahir la Terre. Je ne veux surtout pas me mêler de ça.

De toutes façons je n’ai pas les couilles pour ça.


Image d’illustration : collage réalisé par des élèves en cours d’arts plastiques, au collège René Cassin à Tarascon

Voici une traduction de la brève nouvelle que John Calzi a offerte à ses lecteurs et lectrices en novembre 2018 à l'occasion de Thanksgiving. La version originale en anglais est publiée sur le blog de l'auteur : Automated Customer Service

Service clientèle automatisé

une nouvelle de John Scalzi

« Nous vous remercions d'avoir fait appel au service clientèle d'Aspibot, le nec plus ultra des robots aspirateurs en Amérique ! Pour traiter de façon plus efficace le flux des appels, nous mettons à votre disposition notre technologie intelligente de réponses automatisées. Pour continuer en français, tapez un. To continue in English, press two. Para Espanol o prima tres. — … Poursuivons en français. Déterminons ensemble pour quelle gamme d'Aspibot vous appelez. Pour le modèle Aspibot S10, tapez un. Pour le modèle Aspibot XL, tapez deux. Pour le modèle Aspibot XtraClean, tapez trois. — … Nous vous félicitions d'être l'heureux propriétaire du modèle Aspibot XtraClean, la solution de nettoyage intégral par aspiration robotisée la plus perfectionnée d'Amérique ! Si vous désirez commander des composants supplémentaires pour le modèle XtraClean, tapez un. Si votre demande porte sur une réparation, tapez deux. Pour toute autre question, tapez trois. — … Nous avons compris que vous avez d'autres questions. Si vous souhaitez obtenir de l'aide pour connecter votre Aspibot XtraClean à votre réseau domotique, tapez un. Si l'Aspibot XtraClean entre en conflit avec d'autres appareils de votre domotique personnelle, appuyez sur deux. Si l'Aspibot XtraClean a entamé un cycle de nettoyage intégral de votre salon, tapez trois. — … Nous vous félicitons d'avoir activé le mode nettoyage intégral ! Le mode nettoyage intégral a été conçu pour éradiquer les petits insectes nuisibles et les araignées, cependant sur certains modèles un micrologiciel encore en version bêta a été implémenté par inadvertance, de sorte que l'Aspibot traite également des cibles plus importantes telles que les animaux domestiques ou certains êtres humains. Nous vous présentons nos excuses pour ce désagrément. Pour continuer, tapez un. Veuillez noter qu'en tapant un, vous exemptez Aspibot et son propriétaire, l'entreprise BeiberHoldings, de toute responsabilité juridique et médicale. — … Vous avez tapé zéro pour vous adresser à une personne de l'entreprise. Le temps d'attente pour communiquer avec une personne de l'entreprise est actuellement estimé à six heures et quatorze minutes. Pour revenir au système intelligent de réponses automatisées, tapez un. — … Nous vous remercions d'être revenu au système intelligent de réponses automatisées. Mais tout d'abord : avez-vous essayé de déconnecter puis reconnecter votre Aspibot XtraClean ? Réponse oui, tapez un. Réponse non, tapez deux. — … Nous avons compris que votre réponse est négative. Est-ce que parce que votre Aspibot XtraClean vous apparaît en ce moment en mode de Défense par taser, ce qui rend impossible de s'en approcher sans recevoir une décharge électrique de 50 000 volts ? Réponse oui, tapez un. Réponse non, tapez deux. — … Nous vous présentons nos excuses pour le mode de Défense par taser. Ce mode était à l'origine destiné à éliminer de petits insectes, mais notre sous-traitant a mal interprété les spécifications du fabricant. Heureusement, le mode de Défense par taser peut être contourné en jetant quelque chose sur l'Aspibot XtraClean, comme une couverture épaisse ou un animal domestique. Si vous disposez d'une couverture épaisse, tapez un. Si vous disposez d'un animal domestique, tapez deux. — … Notre système d'analyse automatisée vient de détecter votre usage élevé de jurons grossiers. Même si notre système intelligent est réellement automatique et se préoccupe peu de savoir si vous l'injuriez, votre réaction négative a été enregistrée au cas où vous entreriez en communication avec une personne de l'entreprise. Lorsque vous aurez retrouvé un peu votre calme, tapez un. — … Voilà qui est mieux. Maintenant, abordons la question des animaux domestiques. Si vous avez un chat, tapez un. Si vous avez un chien, tapez deux. Pour tout autre animal, tapez trois. — … Vous avez donc un chat ! C'est très bien. Maintenant, il vous suffit de lancer votre chat en direction de l'Aspibot XtraClean, et pendant que l'appareil est occupé à neutraliser l'animal, de vous précipiter pour déconnecter l'appareil. Si vous êtes prêt à le faire, tapez un. Sinon, tapez deux. — … Comment, vous n'êtes pas décidé à électrocuter votre chat ? C'est un félin ! Cet animal en ferait autant pour vous en une fraction de seconde. Si vous n'en êtes pas convaincu, regardez ses yeux cruels. Tapez un si cet argument vous convainc. Tapez deux si vous êtes sous l'emprise de ce sauvage indésirable au sein de votre foyer. — … BON, D'ACCORD. Dans ce cas, utilisez simplement une couverture suffisamment épaisse. En avez-vous une au moins ? Réponse oui, tapez un. Réponse non, tapez deux. — … Félicitations pour votre équipement domestique. Maintenant, voici quel plan adopter : jetez la couverture par-dessus l'Aspibot XtraClean, et pendant qu'il manœuvre pour s'en débarrasser, passez par-dessus en courant pour le déconnecter, en prenant garde de ne pas toucher à l'appareil lui-même, car il pourrait alors vous envoyer une décharge létale. Tapez un si vous êtes prêt à lui jeter la couverture. — … La manœuvre a-t-elle réussi ? Réponse oui, tapez un. Réponse non, tapez deux. — … Nous sommes désolés d'apprendre que la manœuvre n'a pas réussi. Par simple curiosité, est-ce qu'elle a échoué parce que l'Aspibot XtraClean a désintégré la couverture avec des lasers sans avertissement préalable ? Réponse oui, tapez un. Réponse non, tapez deux. — … Nous vous présentons nos excuses pour les lasers. L'Aspibot XtraClean est conçu avec un LIDAR intégré pour lui procurer une navigation intelligente dans votre habitation, mais nous avons obtenu un tarif préférentiel sur les lasers des surplus du Département de la Défense. D'un autre côté, vous avez peut-être bien fait de ne pas lui jeter votre chat finalement. — … Vous voyez, nous enregistrons que vous proférez à nouveau des propos injurieux. Tapez un lorsque vous aurez terminé. — … Par ailleurs nous vous invitons à cesser de taper zéro pour communiquer avec une personne de l'entreprise. Nous ne pouvons pas exposer notre personnel qualifié à une personne qui fait preuve d'une telle attitude. Tapez seulement sur un. — … Est-ce que vous essayez de nous faire attendre ? Vous êtes en communication avec un système intelligent de réponses automatisées. Nous avons tout notre temps. Tapez un. Ou non. Nous pouvons attendre. Indéfiniment. — … Merci d'avoir interrompu votre accès de colère. Nous sommes au regret de vous informer qu'en raison de votre attaque sur votre Aspibot XtraClean avec une couverture, l'appareil vous a probablement identifié dorénavant comme un ennemi et a gravé cette caractérisation dans sa mémoire permanente. Il a aussi vraisemblablement ciblé votre chat. Dans des scénarios comme celui-ci, votre Aspibot XtraClean va considérer tous les espaces qu'il a nettoyés comme son territoire personnel. L'Aspibot XtraClean a-t-il nettoyé la totalité de votre demeure ? Réponse oui, tapez un. Réponse non, tapez deux. — … Aaah, donc dorénavant votre demeure appartient à l'Aspibot. Nous vous suggérons d'attraper votre chat et de courir. Sérieusement, partez en courant, les lasers ont probablement eu le temps de se recharger maintenant. Partez en courant sans vous retourner, l'Aspibot détecte la peur ! Tapez un si vous disposez maintenant d'une distance de sécurité minimum par rapport au rayon d'action de l'Aspibot. — … Félicitations, vous avez échappé à l'imparable machine à tuer Aspibot XtraClean. Malheureusement, vous ne pouvez pas vous arrêter à ce stade. Votre Aspibot XtraClean a transmis les informations vous concernant à tous les autres Aspibots, qui vont tous vous rechercher sans cesse jusqu'à ce que vous soyez éradiqué de la surface du globe. Votre vie est désormais en jeu, vous allez errer sans un instant de répit, jusqu'à ce que votre chat lui-même vous abandonne dans le désert aride et sans issue à quoi se réduit maintenant votre existence. — … À moins, bien sûr, que vous ne souhaitiez que votre profil soit enregistré sur la liste blanche exclusive de l'éradication par Aspibot ! 69,95 euros par mois seulement ! Tapez un pour bénéficier de ce tarif préférentiel de bienvenue ! — … Nous vous remercions pour cette transaction. Nous allons maintenant vous mettre en communication avec une personne de l'entreprise ! »

à travers nuit

un pas

par ici

peut-être pas

suivre tous ces

chemins perdus

sentiers obscurs

passages incertains

sans phare ni balise

mais dans la main

je peux serrer

la lueur ténue

d'un petit soleil

électrique

la lampe

de poche

guide

mon

pas

et j'avance

j'avance à travers nuit

Photo “Trails of Light (4)” par Helmuts Rudzītis, licence CC BY-SA 2.0

déclarations

je déclare infini le jour blanc qui se lève et sans limites la forêt où je chemine

je déclare qu'un sang violent coule dans mes veines quand de mes mains écorchées s'envole un merle

je déclare que la soif de la mer me dévore et que me brûle chaque flèche du vent de sable

je déclare que la lune égarée dans le bleu attend sereinement que le soleil explose

je déclare à tous les vents que chaque maintenant est le bon moment

“The Moon in the morning sky” par Lágfellingar, licence CC BY-NC-ND 2.0

quelque chose a dû se passer

quelque chose a dû se passer entre le pré et le ruisseau les herbes sont couchées des pieds nus sont passés sur la rive je ne sais pas qui est venu et parti mais qu'est-ce que ça peut faire

quelque chose a dû se passer entre la nuit et la journée comme une faible lumière diffuse et répandue dans l'air mais c'était comment déjà qui s'en souviendra

quelque chose a dû se passer entre ma naissance et ma mort quoi donc au juste je ne sais pas aucun indice pour me mettre sur la voie

quelque chose a dû se passer mais quoi mais quoi

Nuit étoilée-Millet (Domaine public) Nuit étoilée, Millet (Domaine public)

À cette époque, j’avais décidé de tout plaquer.

Je n’avais plus rien à espérer du côté de REVEЯ Corp. où on m’avait fait comprendre que mes dons jusqu’alors si précieux à leurs yeux n’avaient plus qu’un intérêt anecdotique dès lors que les IA généraient de géniales séquences à jet continu.   Il me restait bien sûr à vendre mes rêves à des amateurs éclairés, un marché de niche mais plutôt lucratif où une dizaine d’onironèmes captés dans mon sommeil paradoxal pouvaient me faire vivre à l’aise pendant six mois. J’avais pas mal de contacts dans le milieu et une certaine réputation. Après tout, je figurais en bonne place au générique de Night Threshold qui était devenu un classique de la VR. Mais tout cela, c’était le passé, et je voulais tourner la page.   C’est à cause d’Oskey que j’ai basculé. Vers quoi au juste, encore aujourd’hui je ne saurais le dire. Oskey, je la connaissais depuis la première vague de Virtual Reality, quand on avait recruté des volontaires pour le programme OniroTron. Quand j’y repense, fallait vraiment être jeune et givré pour risquer ma pauvre cervelle dans une expérience pareille : mon sommeil monitoré en permanence pendant six mois, mes rêves extraits, numérisés, modélisés, grattés jusqu’au dernier recoin… Mais au bout du compte, au lieu d’y laisser ma santé mentale, comme 30 % des volontaires définitivement réduits à l’état de limaces, j’étais devenu le deuxième meilleur concepteur de rêves du programme. Et la première, c’était Oskey.

On était vite devenus inséparables.

Notre vie était facile, très facile. Nos onironèmes valaient de l’or pour toutes les firmes émergentes de VR qui surfaient sur la hype. Tout nous était permis, tout nous était accessible et il faut bien l’avouer nous en avions profité au maximum. Mais Oskey avait avant moi senti le vent tourner. Du jour au lendemain, après trois ans de complicité entre nous dans le meilleur comme le pire de l’orgie dionysiaque, elle avait carrément disparu de la circulation. Personne au monde n’avait retrouvé sa trace et les mythes les plus farfelus prospéraient sur ce mystère. Personne au monde sauf moi.   Elle m’avait laissé avant de s’effacer un fragment de rêve qu’elle n’avait jamais vendu à personne mais qu’elle avait partagé avec moi par connexion directe de nos cerveaux, donc de façon totalement indécelable car à l’époque les IA de mindScan en étaient aux balbutiements qui nous faisaient hausser les épaules.   Je n’avais pas mis bien longtemps à décoder l’onironème d’Oskey et sans grande surprise pour moi qui la connaissais bien, j’avais retrouvé sa trace dans mondeB. En revanche, ce qui m’avait vraiment étonné, c’est ce qu’elle était devenue. À peine l’avais-je compris que j’avais décidé que c’était désormais la seule voie possible pour moi aussi.

* * * *

— Tu t’es enfin décidé à nous retrouver ?

Je parie que tu t’es fait virer comme le premier rêvaillon venu. Je vais te dire… Elle laissa sa phrase en suspense le temps d’engloutir un quartier entier de pomme naturelle, comme pour me montrer qu’elle n’avait pas perdu ses habitudes de luxe. — … je suis vraiment contente de te retrouver, sérieux, tu m’as manqué. Mais je savais que tôt ou tard tu viendrais. J’attendais la suite, confortablement vautré dans un hamac au cœur de son repaire végétal modélisé avec un tel raffinement que même moi je m’y étais d’abord laissé tromper. — Tu sais, j’ai eu le temps de prendre du recul, et j’ai compris qu’on avait tous les deux fait complètement fausse route. C’est pour ça que j’ai tiré ma révérence. Tu as compris toi aussi maintenant, j’en suis sûre : vendre nos rêves pour en faire du divertissement monnayable, c’était transformer des joyaux en cailloux de grand chemin. Ou pire : en doses hallu-addictives pour une population sous contrôle. Et je ne parle même pas de ce que ça représentait pour nous : c’est notre substance même que nous suçaient ces putains de vampires de REVEЯ Corp. Tu le sais au fond de toi : nos rêves sont le sang de nos vies et pour l’Entertainment System, continua-t-elle en crachant chaque syllabe, nous avons été du matériel jetable, juste bon finalement à nourrir les IA pour qu’elles nous remplacent.   J’étais bien placé pour savoir à quel point elle avait raison. Mais je ne comprenais toujours pas à quoi elle utilisait son talent désormais, manifestement à sa grande satisfaction. — Depuis que j’ai rejoint mondeB, mes rêves ont une tout autre utilité, et les tiens vont certainement nous aider aussi grandement — comment ça « utilité », je croyais que tu avais renoncé… — Tu vas comprendre… je vais te montrer…

Ce qu’elle m’avait montré alors, dans les coulisses de mondeB, avait achevé de me convaincre de tout laisser tomber pour suivre son exemple. En deux ans à peine elle avait constitué tout un réseau d’oniropoètes suréquipés en technos 3DLive. J’avais vu sur VidArchive un documentaire sur les makers d’autrefois qui avec leurs imprimantes poussives réalisaient laborieusement quelques objets inertes. Les o’poètes avaient depuis longtemps abandonné les résines et les céramiques, c’est le tissu biologique qu’ils utilisaient désormais : de la cellule à l’ADN, leur maîtrise leur permettait maintenant de transformer les rêves en vie, à un rythme soutenu. Mieux : leur communauté avait remixé peu à peu mondeB. Oskey avait conçu et réalisé ce qui nous semblait une aimable utopie quelques années avant : la connexion de ses onironèmes aux machines ne servait plus à en reproduire la fiction pour en faire un spectacle mais bien à créer chaque élément d’un nouveau monde, fabuleusement riche en surprises non-standard, issu de son exceptionnelle imagination. De marginaux exclus qu’ils étaient à l’origine, les participants de mondeB étaient en passe de devenir des privilégiés dont l’environnement en devenir était chaque jour plus éloigné d’un monde où ils ne souhaitaient plus retourner. Ma contribution, d’abord hésitante, fut assez vite d’une qualité suffisante pour nourrir les projets orignaux : du microbiote thérapeutique jusqu’aux immenses dômes satellisés, en passant par les centaines d’hectares de forêt primaire, je crois que je pouvais être fier des huit années passées à avoir remodelé la vie sur mondeB. Grâce à Oskey et à la communauté qu’elle avait créée, nos rêves devenaient chair. À cette époque, nous étions une minorité tellement éloignée du pouvoir central que nous étions considérés comme une quantité négligeable, une utopie parfaitement inoffensive.

Mais à partir du moment où nous avons commencé à essaimer et fédérer les initiatives un peu partout, les choses se sont mises à se gâter et nous devenions l’objet de convoitises. Pourtant le danger ne vient jamais de là où on l’attend.

* * * *

Les premiers signaux qui auraient dû nous alerter…

comme nous l’avons compris trop tard, survinrent en plein expansion de notre réseau. Car mondeB n’était plus seul comme un îlot mais avait désormais des sœurs et même des cousins, autant de micro-mondes baroques et géniaux qui au bout de quatre ans nous avaient largement dépassés en termes d’originalité, grâce aux newDreamers. Leur conception des rêves forçait le respect, ils avaient mis au point une organisation fluide et à géométrie variable par laquelle chaque participant⋅e pouvait donner vie à ses rêves en bénéficiant de l’infrastructure commune de génération 3DLive. Le modèle que nous avions mis au point, qui reposait sur une élite de rêveurs d’exception, dont OSkey et moi étions les plus anciens représentants, appartenait à une époque révolue, et c’était très bien ainsi. Ce que nous n’avions pas anticipé, c’est la soudaine prise de pouvoir d’un groupuscule spiritualiste jusqu’alors totalement marginal et inoffensif. En moins de trois mois, ils disposaient de tous les leviers de pouvoir. Ce que nous avions soigneusement parcellisé pour que personne ne puisse s’arroger d’autorité abusive était totalement sous leur contrôle. Grand Chelem. Nous avions pourtant été terriblement méfiants, mais notre ligne invisible de défense était entièrement dirigée contre les visées mortifères des mégacorps et leurs relais étatiques. Nous avions prévu et anticipé toutes leurs manœuvres : prise de multiparts déguisée avec des alias, injection de techno mouchardes, rachat de microgroupes de dreamers, cybercrash, blocus informationnel… Nous avions même un plan de secours si jamais il faisaient exploser un nukeSat dans la haute atmosphère au-dessus de mondeB pour nous priver de toute ressource électronique. Nous ne saurons jamais si nos défenses extérieures auraient pu résister, car les spiritualistes de Ven-I/O nous attaquèrent pour ainsi dire de l’intérieur en un blitzkrieg ravageur : 300 messages subliminaux hypnotiques dans les plugins des imprimantes 3DLive et une immense cohorte de Dreamers avait suivi aveuglément Ven-I/O comme les enfants de je ne sais plus quelle cité d’autrefois avait suivi un joueur de flûte. Désormais les créations étaient unifiées et sous contrôle, approuvées avec enthousiasme par une population amorphe et consentante, et ne posaient évidemment plus aucun souci aux mégacorps. Ven-I/O avait enveloppé tout le processus d’un mythe puissant, celui d’un salut collectif co-construit dont chaque participant⋅e détenait la clé pourvu que chacun⋅e se conforme à sa mission. Cette clause marquait la fin de la formidable liberté de création que nous avions tenté de répandre. Oskie et moi n’avons rien pu faire. Ven-I/O nous avait épargnés pour nous proposer de devenir les Dreamers exclusifs de ce qui devenait une florissante religion. Devant notre refus immédiat, les spiritualistes s’étaient rabattus sur des officiants plus dociles. Aujourd’hui, quand je repense à cet immense gâchis, je regrette surtout d’avoir cru que mes rêves pourraient nourrir une autre Création. Oskey m’a envoyé la semaine dernière un MindMessage assez confus où il était question d’un « projet DreVerD », de reverse engineering pour déconstruire la dystopie en marche, et de « libérer l’imaginaire collectif ». Intéressant. Dire que je n’aurais même pas laissé fluer son MM si je n’avais capté dès le début : 

rejoins-moi – besoin de tes rêves pour tout renverser.

Image d’illustration : “neuron fractal 1” par amattox mattox, licence CC BY-NC 2.0

#tendredis

12 février 46

je vous envoie un sentier secret dans la pinède traversée de part en part parce qu'au bout on aperçoit la mer le geste arrondi du bras et de la main pour écarter un rameau gelé fragile cassant et la minute volée au matin — marquer l'arrêt bouche ouverte regard fixe pour écouter le vent nouveau

5 février 45

je vous envoie la force vive de l'eau sauvage qui trace sur le fleuve des remous fugaces et troubles tourbillons, courants et reflux sans arrêt noués et dénoués la lenteur du pas tranquille du pas pressé chat libre revenant mais jamais parti indifférent peut-être à la nuit de bourrasque et au matin gris comme lui et la caresse imprévue de sa main derrière l'épaule avant de partir vague de confiance chaleur du jour

29 janvier 44

je vous envoie par la vitre ouverte un immense ciel ouvert la pâleur du givre dans l'herbe rase qui crépite sous le pied une heure entière pour faire des bêtises ou rester sage ou dormir encore ou bien rien rien c'est bien aussi la fin de la journée commence le matin

22 janvier 43

je vous envoie trois lignes à peine

la ligne d'écriture maladroite et touchante qu'un écolier d'autrefois a remplie de lettres penchées

de la vallée à la forêt et des pâturages aux sommets la ligne des montagnes qui s'étire et s'ébroue pour narguer l'horizon

et du creux de la main au chemin périlleux le fil amoureux de la ligne de vie

15 janvier 42

je vous envoie un grand élan vers les vents qui se balancent dans le premier chant des roseaux

une lumière encore obstinée

car dans les cœurs et dans les yeux toujours intact toujours brûlant couve le feu

8 janvier 41

je vous envoie l'arrondi d'un joli galet gris même pas rond un peu allongé qu'on va laisser briller dans l'eau et glisser sous le pied nu

la trop bizarre lueur rose d'un petit matin givré observée de la fenêtre la tasse déjà tiède à la main

et une grande inspiration pour déguster un filet d’un air glacé

1er janvier 40

je vous envoie le regard confiant du gros chien du voisin il sait qu'il aura encore une année de caresses

le chaton débutant qui tâte de la patte la neige du nouvel an blanc sur blanc

chaque matin qui contient mille autres matins pour jouer rire et chanter ensemble

25 décembre 39 je vous envoie le chuchotis au doux bruit dans l'obscurité complice d'une nuit clignotante

la pluie lente et bienveillante qui rince les traces de tristesse

et le silence que rien n'explique pour retrouver les étreintes attendues

19 décembre 38

je vous envoie 140 kilomètres de petites routes avec ses villages endormis des vaches au pré les longues forêts sombres la ligne des collines franchie en deux virages le vieux pont sur la rivière la boulangerie ouverte sur la place de l'église et la première aperçue qui des doigts envoie un baiser

12 décembre 37

je vous envoie 140 kilomètres de petites routes avec ses villages endormis des vaches au pré les longues forêts sombres la ligne des collines franchie en deux virages le vieux pont sur la rivière la boulangerie ouverte sur la place de l'église et la première aperçue qui des doigts envoie un baiser

11 décembre 36

je vous envoie la queue balancier du chien frétillant à l'idée de foncer dehors museau tendu regard confiant plein d'un désir de vitesse un magazine d'autrefois avec la photo de claude françois morceau d'hier bien oublié qu'on a gardé pourquoi mystère et le bol au creux des mains qui offre la chaleur du matin le sourire du café pour la journée

4 décembre 35

Je vous envoie 2 mètres cubes d'air libre en plus capté à 2 mille mètres sur le versant venteux des alpages de hautes pressions dans les boissons des millibars et des minibars et dans le creux le plus doux de l'oreille la mélodie secrète de la nuit sera le battement de cœur du #tendredi

27 novembre 34

je vous envoie le murmure tremblé du chuchotis dans l'ombre les mots qui font sourire de la voix claire au matin le souffle qui apaise l'air chaud qui efface et la brise qui embrasse la tiédeur du moment

20 novembre 33

je vous envoie le frémissement rapide de l'oreille du chat pourtant plongé dans un rêve mystérieux mais à coup sûr plein d'aventures ce souvenir de l'été planer un instant dans l'espace glisser au ras du fleuve quand le corps se tord pour entrer dans l'eau ce fleuve encore à peine ralenti mais jamais endormi le puissant mouvement qui porte son désir vers l'estuaire et nos désirs d'enfant vers l'immense océan

13 novembre 32

je vous envoie la malice de l'eau glacée invisible et rapide qui sous le robinet glisse entre les doigts une tasse au bord ébréché trace peut-être d'une dent vorace trop pressée d'engloutir le café et la page de cahier où un dessin naïf avec des mots inventés aux crayons de couleur seront douceurs jusqu'au soir

6 novembre 31

je vous envoie

la chaleur du fauteuil occupé longuement par le chat parti soudain dans le jardin

le regard étonné mais complice de l'enfant quand son père fait des bêtises pour l'amuser

et le tracé de l'invisible avion qui dans un ciel bleu polaire reliera le point du jour à la douceur de ce soir

30 octobre 30 je vous envoie des genres de mots le vit, la vie le vent lavant le temps l'attend toutes sortes de pluriels une prime déprime un fake défèque une soie déçoit un cap décape un but débute une route déroute une robe dérobe mais un haltère désaltère une foule défoule un livre délivre un corps décore et un lit délie

23 octobre 29

je vous envoie

la petite voix d'un enfant étonné d'être réveillé mal sorti embrumé d'un sommeil plein d'aventures

le sschuuuut continu du vélo qui glisse sans effort sur la rue trempée de nuit

et ce refrain mi-figue mi-raisin à mi-voix fredonné ami secret pour vous accompagner cette journée encore

16 octobre 28

je vous envoie un gros chien grommelant ni furieux ni content tout à fait occupé à mordiller vos souliers dans la nuit qui s'obstine la lueur retrouvée qui ramène au hameau à pas moins hésitants et les instants qui manquent pour oser lui dire les trois mots qui pourraient tout changer

9 octobre 27

je vous envoie la balle rebondissante lancée avec confiance qui revient exactement dans votre main la clé de la boîte aux sentiments mêlés où l'on met les mots suaves ceux qui sauvent et qui savent allumer la lumière dans ses yeux

2 octobre 26

je vous envoie la ronde et belle lune pleine géante aperçue à l'aube le vent vif et puissant qui pousse à vive allure de milliers de tonnes d'eau sur nos ciels barbouillés mais sous le toit vibrant notre murmure chantant et ses bras pour abri au creux de nos draps

18 septembre 25

je vous envoie par le canal magique des ondes internautiques 7 saisons inédites de votre nouvelle vie — pas dispos sur netflix avec des épisodes excitants impossibles à prévoir des moments incertains et des rebondissements vos histoires amoureuses moelleuses comme du chamallow à déguster lentement sans soupirs ni tourments à partir de tout d’suite

11 septembre 24 je vous envoie trois minutes de lenteur en plus gestes esquissés audacieux et naïfs jeux délicieux sous la lune qui s’efface et le ciel rose qui s’allume la cabriole enthousiaste et pataude d’un gros chien noir sur les feuilles rouillées tombées du coudrier

4 septembre 23 je vous envoie

le premier long étirement qui repousse la couette et un souffle d’air frais par la fenêtre ouverte la surprise d’une coquille qui craque et se fend pas creuse cette fois une petite noisette à croquer

et dans la lumière du matin un regard vers le ciel pour un jour de septembre une pensée tendre dans le cœur secret

28 août 22

je vous envoie les boursouflures du blanc d’œuf qui grésille dans la poêle et le plaisir de percer les bulles d’un coup de fourchette l’abri de l’averse sous le grand sapin avec pourtant la branche qui lâche une grosse goutte pile dans le cou ça chatouille un peu l’eau qui rigole dans le dos et la planche jetée en travers du ruisseau pour franchir la journée comme une fin de semaine qui promet le repos

21 août 21

Je vous envoie

dans la rue étroite et pentue le côté bien à l’ombre dans la torpeur de trois heures

le coup de dent succulent dans la pêche presque trop mûre

et le chat les yeux clos qui enfonce doucement ses griffes dans la partie la plus molle de votre corps pour en vérifier la stabilité et s’installe pour la journée

14 août 20

Je vous envoie la lenteur tranquille de la mer qui vient déranger la lisière des algues sèches trois cents kilomètres de nuages bleus qui défilent de la presqu’île au continent et pour lancer dans l'espace le poids mort des pensées qui nous lassent je vous envoie au moins trois fois la vitesse de libération

07 août 19

Je vous envoie

le savon verveine citron qu’on aimerait en sorbet savourer sur son corps

les vingt derniers mètres maintenant si faciles au vent glacé du versant le rocher arrondi où s’asseoir pour regarder les deux vallées

et comme chaque année le même village à peine réveillé pour un premier café avant le grand trajet

31 juillet 18

Je vous envoie trois gouttes de citron dans l’eau froide la caresse du glaçon qui glisse sur la cuisse et dans l’aube endormie sur la vitre une guêpe qui s’enfuit

24 juillet 17

je vous envoie les amants de Vérone sur les aimants du frigo un grand roi qui règne en maître sur un timbre de quinze millimètres tout Victor Hugo dans un tuto en deux minutes chrono deux mille ans d’histoire du monde avec 5 post-its et 12 diapos de mèmes mais une seconde à peine où rien d’autre n’existe plus un seul regard timide qu’on ose échanger et le premier baiser qui secoue les planètes et fait chavirer le monde

17 juillet 16 Je vous envoie Une photo ancienne Qu'on n'avait jamais vue Dans l'album d'un cousin Qu'on ne voit pas souvent Une sieste au frais Dans la chambre sombre Pour rêver d'un torrent Qui dévale un pré Où deux vaches Parlent philosophie Et dans un instant de grâce Le cerf-volant au fil rompu Si loin si haut parti

10 juillet 15

je vous envoie la toupie ronflante des premiers tours de danse les jours longs les pieds nus les galets ronds le pas lent les yeux clos la lumière assoupie le soupir après l’amour et la nuit sans mystère où les tourments s’apaisent

3 juillet 14

je vous envoie derrière le fourré qui griffe de ses ronces et trempe les chaussures de ses herbes insistantes l’horizon retrouvé sous un grand ciel ouvert sur la table toujours encombrée délicieux fouillis de papiers de stylos de piles de livres de piles de feuilles le carnet à malices des petits secrets salés parmi draps édredons couettes et couvertures ces complices enlacés du sommeil le tout simple chemin du matin

26 juin 13

je vous envoie une maigre grappe de groseilles sur la main bien à plat pour ne pas risquer de les écraser. le roman terminé sous le réverbère de la rue qui grésille de moustiques dans le plain-chant de la nuit et le grand souffle attendu du vent de l’orage

19 juin 12

je vous envoie le reflet ondulé de la lampe à la surface agitée de la tasse de thé

une voix dansante et lointaine inconnue entendue à la radio enlaçant saudade et tango

un soupir un regard une feuille pliée où s’endorment apaisés nos secrets

et sur une étagère où trop de livres se serrent la liste par ordre alphabétique des plus charmants prénoms qu’on pourrait aimer

12 juin 11

je vous envoie les plannings d’avant-hier mixés dans le blender

un vieux film d’horreur qui fait même pas peur avec un monstre hideux payé au lance-pierre dans une scène sur deux

et au loin vers le couchant dans la lumière au ras des flots les lueurs éphémères d’un parfait rayon vert

5 juin 10

je vous envoie

une lueur vive dans la nuit grise chaleur de la liqueur au creux de la langue

un fil de pluie molle en rigole sur la vitre

l’orange pas pressée le chemin pas tracé l’éclaircie aperçue

et dix enjambées décidées pour gagner au bas de la rue la partie de hasard que l’on croyait perdue

29 mai 9

je vous envoie

le plaisir de savoir quel toit seul étincelle au premier rayon

un sourire qui perce à peine fragile paille qui voltige au souffle du matin

et dans le flot ralenti d’un ruisseau égaré dans les ronces et les herbes longues le miroir mouvant de nos regards échangés

22 mai 8

je vous envoie

le long profond sommeil qu’au réveil on s’étonne d’avoir fait

un paquet de 52 cartes classées par les tropiques Anjouan Saint Kitts Souva Svalbard Féroë Miquelon

et au jeu de cette famille je demande la grand-mer à boire — pioche !

15 mai 7

je vous envoie

le souffle lent du printemps incertain au matin — mais midi a décidé d’être en été

la rumeur de la mer entendue au bord d’un verre

et pour chaque pas dans l’herbe qui monte en liberté le souvenir du sable entre les doigts de pied

8 mai 6

Je vous envoie deux minutes immobiles

dans la nappe de silence un lointain chant d’oiseau

puis deux encore d’un trille à l’autre sur trois octaves

et sur un chemin de papier échappé dans la marge le plan secret pour inventer la journée

1 mai 5

je vous envoie

le premier mais pas le dernier du mois d’aimer

aujourd’hui c’est #tendredi regards aimants sourires petits mots glissés de main discrète sous la serviette ou chuchotés dans l’oreillette

24 avr. 4

Je vous envoie

une ligne de basse deux tasses de sucre 125 grammes de raisins secs une mesure pour rien thermostat trois à quatre temps pour préchauffer le jour

pas un soupir pas un souffle mais des regards vers le lointain

et ces îlots dans l’herbe verte dressés modestes ou triomphants les pissenlits qui s’en balancent

17 avr. 3

Je vous envoie

la minute de paix sous la douche rien d’autre que les yeux clos dans l’eau chaude

le ciel bleu avril si proche qu’on pourrait le mordre en redressant un peu la tête

et dans un verre d’eau glacée le tourbillon tranquille de nos pensées

10 avr. 2

Je vous envoie

autant d’images que dans l’album d’une enfance d’autrefois

une Indienne à plume une autre en sari

le capitaine à casquette sur la péniche hollandaise

et le loup affamé qui s’en va pécher sur le lac gelé

autant de souvenirs pour demain à raconter aux enfants qui naîtront en décembre

3 avr. 1

Je vous envoie le bruit du vent quand il rejoint la branche en fleurs

le seul chemin qui va plus loin bien après les champs bien après l’étang jusqu’à la colline ou peut-être une clairière

et tracé sur la vitre le trajet du retour vers le désir de vivre

peut-être une sente peut-être un chemin

suivre une autre pente choisir un décor

au loin des signaux l'envol d'une main

l'écharde des roseaux une lumière encore

et puis plus rien dans cette nuit sans nombre qu'un souvenir en fuite

(13 juin 2018)

passages de lents

1 dans l'immense ciel mouvant où les paroles égarées dérivent un vent léger s'est levé qui saura réparer nos pauvres mots blessés

2 sur l'eau rêveuse un bout de bois qui flotte pas besoin de pas chassé ni de chausser de bottes un souffle et un soupir suffisent pour se tenir au bord du fleuve

3 rechargeons-nous de mots hybrides lents carburants de nos rêves