Un blog fusible

pour couper le cirque cuit

à travers nuit

un pas

par ici

peut-être pas

suivre tous ces

chemins perdus

sentiers obscurs

passages incertains

sans phare ni balise

mais dans la main

je peux serrer

la lueur ténue

d'un petit soleil

électrique

la lampe

de poche

guide

mon

pas

et j'avance

j'avance à travers nuit

Photo “Trails of Light (4)” par Helmuts Rudzītis, licence CC BY-SA 2.0

déclarations

je déclare infini le jour blanc qui se lève et sans limites la forêt où je chemine

je déclare qu'un sang violent coule dans mes veines quand de mes mains écorchées s'envole un merle

je déclare que la soif de la mer me dévore et que me brûle chaque flèche du vent de sable

je déclare que la lune égarée dans le bleu attend sereinement que le soleil explose

je déclare à tous les vents que chaque maintenant est le bon moment

“The Moon in the morning sky” par Lágfellingar, licence CC BY-NC-ND 2.0

quelque chose a dû se passer

quelque chose a dû se passer entre le pré et le ruisseau les herbes sont couchées des pieds nus sont passés sur la rive je ne sais pas qui est venu et parti mais qu'est-ce que ça peut faire

quelque chose a dû se passer entre la nuit et la journée comme une faible lumière diffuse et répandue dans l'air mais c'était comment déjà qui s'en souviendra

quelque chose a dû se passer entre ma naissance et ma mort quoi donc au juste je ne sais pas aucun indice pour me mettre sur la voie

quelque chose a dû se passer mais quoi mais quoi

Nuit étoilée-Millet (Domaine public) Nuit étoilée, Millet (Domaine public)

À cette époque, j’avais décidé de tout plaquer.

Je n’avais plus rien à espérer du côté de REVEЯ Corp. où on m’avait fait comprendre que mes dons jusqu’alors si précieux à leurs yeux n’avaient plus qu’un intérêt anecdotique dès lors que les IA généraient de géniales séquences à jet continu.   Il me restait bien sûr à vendre mes rêves à des amateurs éclairés, un marché de niche mais plutôt lucratif où une dizaine d’onironèmes captés dans mon sommeil paradoxal pouvaient me faire vivre à l’aise pendant six mois. J’avais pas mal de contacts dans le milieu et une certaine réputation. Après tout, je figurais en bonne place au générique de Night Threshold qui était devenu un classique de la VR. Mais tout cela, c’était le passé, et je voulais tourner la page.   C’est à cause d’Oskey que j’ai basculé. Vers quoi au juste, encore aujourd’hui je ne saurais le dire. Oskey, je la connaissais depuis la première vague de Virtual Reality, quand on avait recruté des volontaires pour le programme OniroTron. Quand j’y repense, fallait vraiment être jeune et givré pour risquer ma pauvre cervelle dans une expérience pareille : mon sommeil monitoré en permanence pendant six mois, mes rêves extraits, numérisés, modélisés, grattés jusqu’au dernier recoin… Mais au bout du compte, au lieu d’y laisser ma santé mentale, comme 30 % des volontaires définitivement réduits à l’état de limaces, j’étais devenu le deuxième meilleur concepteur de rêves du programme. Et la première, c’était Oskey.

On était vite devenus inséparables.

Notre vie était facile, très facile. Nos onironèmes valaient de l’or pour toutes les firmes émergentes de VR qui surfaient sur la hype. Tout nous était permis, tout nous était accessible et il faut bien l’avouer nous en avions profité au maximum. Mais Oskey avait avant moi senti le vent tourner. Du jour au lendemain, après trois ans de complicité entre nous dans le meilleur comme le pire de l’orgie dionysiaque, elle avait carrément disparu de la circulation. Personne au monde n’avait retrouvé sa trace et les mythes les plus farfelus prospéraient sur ce mystère. Personne au monde sauf moi.   Elle m’avait laissé avant de s’effacer un fragment de rêve qu’elle n’avait jamais vendu à personne mais qu’elle avait partagé avec moi par connexion directe de nos cerveaux, donc de façon totalement indécelable car à l’époque les IA de mindScan en étaient aux balbutiements qui nous faisaient hausser les épaules.   Je n’avais pas mis bien longtemps à décoder l’onironème d’Oskey et sans grande surprise pour moi qui la connaissais bien, j’avais retrouvé sa trace dans mondeB. En revanche, ce qui m’avait vraiment étonné, c’est ce qu’elle était devenue. À peine l’avais-je compris que j’avais décidé que c’était désormais la seule voie possible pour moi aussi.

* * * *

— Tu t’es enfin décidé à nous retrouver ?

Je parie que tu t’es fait virer comme le premier rêvaillon venu. Je vais te dire… Elle laissa sa phrase en suspense le temps d’engloutir un quartier entier de pomme naturelle, comme pour me montrer qu’elle n’avait pas perdu ses habitudes de luxe. — … je suis vraiment contente de te retrouver, sérieux, tu m’as manqué. Mais je savais que tôt ou tard tu viendrais. J’attendais la suite, confortablement vautré dans un hamac au cœur de son repaire végétal modélisé avec un tel raffinement que même moi je m’y étais d’abord laissé tromper. — Tu sais, j’ai eu le temps de prendre du recul, et j’ai compris qu’on avait tous les deux fait complètement fausse route. C’est pour ça que j’ai tiré ma révérence. Tu as compris toi aussi maintenant, j’en suis sûre : vendre nos rêves pour en faire du divertissement monnayable, c’était transformer des joyaux en cailloux de grand chemin. Ou pire : en doses hallu-addictives pour une population sous contrôle. Et je ne parle même pas de ce que ça représentait pour nous : c’est notre substance même que nous suçaient ces putains de vampires de REVEЯ Corp. Tu le sais au fond de toi : nos rêves sont le sang de nos vies et pour l’Entertainment System, continua-t-elle en crachant chaque syllabe, nous avons été du matériel jetable, juste bon finalement à nourrir les IA pour qu’elles nous remplacent.   J’étais bien placé pour savoir à quel point elle avait raison. Mais je ne comprenais toujours pas à quoi elle utilisait son talent désormais, manifestement à sa grande satisfaction. — Depuis que j’ai rejoint mondeB, mes rêves ont une tout autre utilité, et les tiens vont certainement nous aider aussi grandement — comment ça « utilité », je croyais que tu avais renoncé… — Tu vas comprendre… je vais te montrer…

Ce qu’elle m’avait montré alors, dans les coulisses de mondeB, avait achevé de me convaincre de tout laisser tomber pour suivre son exemple. En deux ans à peine elle avait constitué tout un réseau d’oniropoètes suréquipés en technos 3DLive. J’avais vu sur VidArchive un documentaire sur les makers d’autrefois qui avec leurs imprimantes poussives réalisaient laborieusement quelques objets inertes. Les o’poètes avaient depuis longtemps abandonné les résines et les céramiques, c’est le tissu biologique qu’ils utilisaient désormais : de la cellule à l’ADN, leur maîtrise leur permettait maintenant de transformer les rêves en vie, à un rythme soutenu. Mieux : leur communauté avait remixé peu à peu mondeB. Oskey avait conçu et réalisé ce qui nous semblait une aimable utopie quelques années avant : la connexion de ses onironèmes aux machines ne servait plus à en reproduire la fiction pour en faire un spectacle mais bien à créer chaque élément d’un nouveau monde, fabuleusement riche en surprises non-standard, issu de son exceptionnelle imagination. De marginaux exclus qu’ils étaient à l’origine, les participants de mondeB étaient en passe de devenir des privilégiés dont l’environnement en devenir était chaque jour plus éloigné d’un monde où ils ne souhaitaient plus retourner. Ma contribution, d’abord hésitante, fut assez vite d’une qualité suffisante pour nourrir les projets orignaux : du microbiote thérapeutique jusqu’aux immenses dômes satellisés, en passant par les centaines d’hectares de forêt primaire, je crois que je pouvais être fier des huit années passées à avoir remodelé la vie sur mondeB. Grâce à Oskey et à la communauté qu’elle avait créée, nos rêves devenaient chair. À cette époque, nous étions une minorité tellement éloignée du pouvoir central que nous étions considérés comme une quantité négligeable, une utopie parfaitement inoffensive.

Mais à partir du moment où nous avons commencé à essaimer et fédérer les initiatives un peu partout, les choses se sont mises à se gâter et nous devenions l’objet de convoitises. Pourtant le danger ne vient jamais de là où on l’attend.

* * * *

Les premiers signaux qui auraient dû nous alerter…

comme nous l’avons compris trop tard, survinrent en plein expansion de notre réseau. Car mondeB n’était plus seul comme un îlot mais avait désormais des sœurs et même des cousins, autant de micro-mondes baroques et géniaux qui au bout de quatre ans nous avaient largement dépassés en termes d’originalité, grâce aux newDreamers. Leur conception des rêves forçait le respect, ils avaient mis au point une organisation fluide et à géométrie variable par laquelle chaque participant⋅e pouvait donner vie à ses rêves en bénéficiant de l’infrastructure commune de génération 3DLive. Le modèle que nous avions mis au point, qui reposait sur une élite de rêveurs d’exception, dont OSkey et moi étions les plus anciens représentants, appartenait à une époque révolue, et c’était très bien ainsi. Ce que nous n’avions pas anticipé, c’est la soudaine prise de pouvoir d’un groupuscule spiritualiste jusqu’alors totalement marginal et inoffensif. En moins de trois mois, ils disposaient de tous les leviers de pouvoir. Ce que nous avions soigneusement parcellisé pour que personne ne puisse s’arroger d’autorité abusive était totalement sous leur contrôle. Grand Chelem. Nous avions pourtant été terriblement méfiants, mais notre ligne invisible de défense était entièrement dirigée contre les visées mortifères des mégacorps et leurs relais étatiques. Nous avions prévu et anticipé toutes leurs manœuvres : prise de multiparts déguisée avec des alias, injection de techno mouchardes, rachat de microgroupes de dreamers, cybercrash, blocus informationnel… Nous avions même un plan de secours si jamais il faisaient exploser un nukeSat dans la haute atmosphère au-dessus de mondeB pour nous priver de toute ressource électronique. Nous ne saurons jamais si nos défenses extérieures auraient pu résister, car les spiritualistes de Ven-I/O nous attaquèrent pour ainsi dire de l’intérieur en un blitzkrieg ravageur : 300 messages subliminaux hypnotiques dans les plugins des imprimantes 3DLive et une immense cohorte de Dreamers avait suivi aveuglément Ven-I/O comme les enfants de je ne sais plus quelle cité d’autrefois avait suivi un joueur de flûte. Désormais les créations étaient unifiées et sous contrôle, approuvées avec enthousiasme par une population amorphe et consentante, et ne posaient évidemment plus aucun souci aux mégacorps. Ven-I/O avait enveloppé tout le processus d’un mythe puissant, celui d’un salut collectif co-construit dont chaque participant⋅e détenait la clé pourvu que chacun⋅e se conforme à sa mission. Cette clause marquait la fin de la formidable liberté de création que nous avions tenté de répandre. Oskie et moi n’avons rien pu faire. Ven-I/O nous avait épargnés pour nous proposer de devenir les Dreamers exclusifs de ce qui devenait une florissante religion. Devant notre refus immédiat, les spiritualistes s’étaient rabattus sur des officiants plus dociles. Aujourd’hui, quand je repense à cet immense gâchis, je regrette surtout d’avoir cru que mes rêves pourraient nourrir une autre Création. Oskey m’a envoyé la semaine dernière un MindMessage assez confus où il était question d’un « projet DreVerD », de reverse engineering pour déconstruire la dystopie en marche, et de « libérer l’imaginaire collectif ». Intéressant. Dire que je n’aurais même pas laissé fluer son MM si je n’avais capté dès le début : 

rejoins-moi – besoin de tes rêves pour tout renverser.

Image d’illustration : “neuron fractal 1” par amattox mattox, licence CC BY-NC 2.0

#tendredis

12 février 46

je vous envoie un sentier secret dans la pinède traversée de part en part parce qu'au bout on aperçoit la mer le geste arrondi du bras et de la main pour écarter un rameau gelé fragile cassant et la minute volée au matin — marquer l'arrêt bouche ouverte regard fixe pour écouter le vent nouveau

5 février 45

je vous envoie la force vive de l'eau sauvage qui trace sur le fleuve des remous fugaces et troubles tourbillons, courants et reflux sans arrêt noués et dénoués la lenteur du pas tranquille du pas pressé chat libre revenant mais jamais parti indifférent peut-être à la nuit de bourrasque et au matin gris comme lui et la caresse imprévue de sa main derrière l'épaule avant de partir vague de confiance chaleur du jour

29 janvier 44

je vous envoie par la vitre ouverte un immense ciel ouvert la pâleur du givre dans l'herbe rase qui crépite sous le pied une heure entière pour faire des bêtises ou rester sage ou dormir encore ou bien rien rien c'est bien aussi la fin de la journée commence le matin

22 janvier 43

je vous envoie trois lignes à peine

la ligne d'écriture maladroite et touchante qu'un écolier d'autrefois a remplie de lettres penchées

de la vallée à la forêt et des pâturages aux sommets la ligne des montagnes qui s'étire et s'ébroue pour narguer l'horizon

et du creux de la main au chemin périlleux le fil amoureux de la ligne de vie

15 janvier 42

je vous envoie un grand élan vers les vents qui se balancent dans le premier chant des roseaux

une lumière encore obstinée

car dans les cœurs et dans les yeux toujours intact toujours brûlant couve le feu

8 janvier 41

je vous envoie l'arrondi d'un joli galet gris même pas rond un peu allongé qu'on va laisser briller dans l'eau et glisser sous le pied nu

la trop bizarre lueur rose d'un petit matin givré observée de la fenêtre la tasse déjà tiède à la main

et une grande inspiration pour déguster un filet d’un air glacé

1er janvier 40

je vous envoie le regard confiant du gros chien du voisin il sait qu'il aura encore une année de caresses

le chaton débutant qui tâte de la patte la neige du nouvel an blanc sur blanc

chaque matin qui contient mille autres matins pour jouer rire et chanter ensemble

25 décembre 39 je vous envoie le chuchotis au doux bruit dans l'obscurité complice d'une nuit clignotante

la pluie lente et bienveillante qui rince les traces de tristesse

et le silence que rien n'explique pour retrouver les étreintes attendues

19 décembre 38

je vous envoie 140 kilomètres de petites routes avec ses villages endormis des vaches au pré les longues forêts sombres la ligne des collines franchie en deux virages le vieux pont sur la rivière la boulangerie ouverte sur la place de l'église et la première aperçue qui des doigts envoie un baiser

12 décembre 37

je vous envoie 140 kilomètres de petites routes avec ses villages endormis des vaches au pré les longues forêts sombres la ligne des collines franchie en deux virages le vieux pont sur la rivière la boulangerie ouverte sur la place de l'église et la première aperçue qui des doigts envoie un baiser

11 décembre 36

je vous envoie la queue balancier du chien frétillant à l'idée de foncer dehors museau tendu regard confiant plein d'un désir de vitesse un magazine d'autrefois avec la photo de claude françois morceau d'hier bien oublié qu'on a gardé pourquoi mystère et le bol au creux des mains qui offre la chaleur du matin le sourire du café pour la journée

4 décembre 35

Je vous envoie 2 mètres cubes d'air libre en plus capté à 2 mille mètres sur le versant venteux des alpages de hautes pressions dans les boissons des millibars et des minibars et dans le creux le plus doux de l'oreille la mélodie secrète de la nuit sera le battement de cœur du #tendredi

27 novembre 34

je vous envoie le murmure tremblé du chuchotis dans l'ombre les mots qui font sourire de la voix claire au matin le souffle qui apaise l'air chaud qui efface et la brise qui embrasse la tiédeur du moment

20 novembre 33

je vous envoie le frémissement rapide de l'oreille du chat pourtant plongé dans un rêve mystérieux mais à coup sûr plein d'aventures ce souvenir de l'été planer un instant dans l'espace glisser au ras du fleuve quand le corps se tord pour entrer dans l'eau ce fleuve encore à peine ralenti mais jamais endormi le puissant mouvement qui porte son désir vers l'estuaire et nos désirs d'enfant vers l'immense océan

13 novembre 32

je vous envoie la malice de l'eau glacée invisible et rapide qui sous le robinet glisse entre les doigts une tasse au bord ébréché trace peut-être d'une dent vorace trop pressée d'engloutir le café et la page de cahier où un dessin naïf avec des mots inventés aux crayons de couleur seront douceurs jusqu'au soir

6 novembre 31

je vous envoie

la chaleur du fauteuil occupé longuement par le chat parti soudain dans le jardin

le regard étonné mais complice de l'enfant quand son père fait des bêtises pour l'amuser

et le tracé de l'invisible avion qui dans un ciel bleu polaire reliera le point du jour à la douceur de ce soir

30 octobre 30 je vous envoie des genres de mots le vit, la vie le vent lavant le temps l'attend toutes sortes de pluriels une prime déprime un fake défèque une soie déçoit un cap décape un but débute une route déroute une robe dérobe mais un haltère désaltère une foule défoule un livre délivre un corps décore et un lit délie

23 octobre 29

je vous envoie

la petite voix d'un enfant étonné d'être réveillé mal sorti embrumé d'un sommeil plein d'aventures

le sschuuuut continu du vélo qui glisse sans effort sur la rue trempée de nuit

et ce refrain mi-figue mi-raisin à mi-voix fredonné ami secret pour vous accompagner cette journée encore

16 octobre 28

je vous envoie un gros chien grommelant ni furieux ni content tout à fait occupé à mordiller vos souliers dans la nuit qui s'obstine la lueur retrouvée qui ramène au hameau à pas moins hésitants et les instants qui manquent pour oser lui dire les trois mots qui pourraient tout changer

9 octobre 27

je vous envoie la balle rebondissante lancée avec confiance qui revient exactement dans votre main la clé de la boîte aux sentiments mêlés où l'on met les mots suaves ceux qui sauvent et qui savent allumer la lumière dans ses yeux

2 octobre 26

je vous envoie la ronde et belle lune pleine géante aperçue à l'aube le vent vif et puissant qui pousse à vive allure de milliers de tonnes d'eau sur nos ciels barbouillés mais sous le toit vibrant notre murmure chantant et ses bras pour abri au creux de nos draps

18 septembre 25

je vous envoie par le canal magique des ondes internautiques 7 saisons inédites de votre nouvelle vie — pas dispos sur netflix avec des épisodes excitants impossibles à prévoir des moments incertains et des rebondissements vos histoires amoureuses moelleuses comme du chamallow à déguster lentement sans soupirs ni tourments à partir de tout d’suite

11 septembre 24 je vous envoie trois minutes de lenteur en plus gestes esquissés audacieux et naïfs jeux délicieux sous la lune qui s’efface et le ciel rose qui s’allume la cabriole enthousiaste et pataude d’un gros chien noir sur les feuilles rouillées tombées du coudrier

4 septembre 23 je vous envoie

le premier long étirement qui repousse la couette et un souffle d’air frais par la fenêtre ouverte la surprise d’une coquille qui craque et se fend pas creuse cette fois une petite noisette à croquer

et dans la lumière du matin un regard vers le ciel pour un jour de septembre une pensée tendre dans le cœur secret

28 août 22

je vous envoie les boursouflures du blanc d’œuf qui grésille dans la poêle et le plaisir de percer les bulles d’un coup de fourchette l’abri de l’averse sous le grand sapin avec pourtant la branche qui lâche une grosse goutte pile dans le cou ça chatouille un peu l’eau qui rigole dans le dos et la planche jetée en travers du ruisseau pour franchir la journée comme une fin de semaine qui promet le repos

21 août 21

Je vous envoie

dans la rue étroite et pentue le côté bien à l’ombre dans la torpeur de trois heures

le coup de dent succulent dans la pêche presque trop mûre

et le chat les yeux clos qui enfonce doucement ses griffes dans la partie la plus molle de votre corps pour en vérifier la stabilité et s’installe pour la journée

14 août 20

Je vous envoie la lenteur tranquille de la mer qui vient déranger la lisière des algues sèches trois cents kilomètres de nuages bleus qui défilent de la presqu’île au continent et pour lancer dans l'espace le poids mort des pensées qui nous lassent je vous envoie au moins trois fois la vitesse de libération

07 août 19

Je vous envoie

le savon verveine citron qu’on aimerait en sorbet savourer sur son corps

les vingt derniers mètres maintenant si faciles au vent glacé du versant le rocher arrondi où s’asseoir pour regarder les deux vallées

et comme chaque année le même village à peine réveillé pour un premier café avant le grand trajet

31 juillet 18

Je vous envoie trois gouttes de citron dans l’eau froide la caresse du glaçon qui glisse sur la cuisse et dans l’aube endormie sur la vitre une guêpe qui s’enfuit

24 juillet 17

je vous envoie les amants de Vérone sur les aimants du frigo un grand roi qui règne en maître sur un timbre de quinze millimètres tout Victor Hugo dans un tuto en deux minutes chrono deux mille ans d’histoire du monde avec 5 post-its et 12 diapos de mèmes mais une seconde à peine où rien d’autre n’existe plus un seul regard timide qu’on ose échanger et le premier baiser qui secoue les planètes et fait chavirer le monde

17 juillet 16 Je vous envoie Une photo ancienne Qu'on n'avait jamais vue Dans l'album d'un cousin Qu'on ne voit pas souvent Une sieste au frais Dans la chambre sombre Pour rêver d'un torrent Qui dévale un pré Où deux vaches Parlent philosophie Et dans un instant de grâce Le cerf-volant au fil rompu Si loin si haut parti

10 juillet 15

je vous envoie la toupie ronflante des premiers tours de danse les jours longs les pieds nus les galets ronds le pas lent les yeux clos la lumière assoupie le soupir après l’amour et la nuit sans mystère où les tourments s’apaisent

3 juillet 14

je vous envoie derrière le fourré qui griffe de ses ronces et trempe les chaussures de ses herbes insistantes l’horizon retrouvé sous un grand ciel ouvert sur la table toujours encombrée délicieux fouillis de papiers de stylos de piles de livres de piles de feuilles le carnet à malices des petits secrets salés parmi draps édredons couettes et couvertures ces complices enlacés du sommeil le tout simple chemin du matin

26 juin 13

je vous envoie une maigre grappe de groseilles sur la main bien à plat pour ne pas risquer de les écraser. le roman terminé sous le réverbère de la rue qui grésille de moustiques dans le plain-chant de la nuit et le grand souffle attendu du vent de l’orage

19 juin 12

je vous envoie le reflet ondulé de la lampe à la surface agitée de la tasse de thé

une voix dansante et lointaine inconnue entendue à la radio enlaçant saudade et tango

un soupir un regard une feuille pliée où s’endorment apaisés nos secrets

et sur une étagère où trop de livres se serrent la liste par ordre alphabétique des plus charmants prénoms qu’on pourrait aimer

12 juin 11

je vous envoie les plannings d’avant-hier mixés dans le blender

un vieux film d’horreur qui fait même pas peur avec un monstre hideux payé au lance-pierre dans une scène sur deux

et au loin vers le couchant dans la lumière au ras des flots les lueurs éphémères d’un parfait rayon vert

5 juin 10

je vous envoie

une lueur vive dans la nuit grise chaleur de la liqueur au creux de la langue

un fil de pluie molle en rigole sur la vitre

l’orange pas pressée le chemin pas tracé l’éclaircie aperçue

et dix enjambées décidées pour gagner au bas de la rue la partie de hasard que l’on croyait perdue

29 mai 9

je vous envoie

le plaisir de savoir quel toit seul étincelle au premier rayon

un sourire qui perce à peine fragile paille qui voltige au souffle du matin

et dans le flot ralenti d’un ruisseau égaré dans les ronces et les herbes longues le miroir mouvant de nos regards échangés

22 mai 8

je vous envoie

le long profond sommeil qu’au réveil on s’étonne d’avoir fait

un paquet de 52 cartes classées par les tropiques Anjouan Saint Kitts Souva Svalbard Féroë Miquelon

et au jeu de cette famille je demande la grand-mer à boire — pioche !

15 mai 7

je vous envoie

le souffle lent du printemps incertain au matin — mais midi a décidé d’être en été

la rumeur de la mer entendue au bord d’un verre

et pour chaque pas dans l’herbe qui monte en liberté le souvenir du sable entre les doigts de pied

8 mai 6

Je vous envoie deux minutes immobiles

dans la nappe de silence un lointain chant d’oiseau

puis deux encore d’un trille à l’autre sur trois octaves

et sur un chemin de papier échappé dans la marge le plan secret pour inventer la journée

1 mai 5

je vous envoie

le premier mais pas le dernier du mois d’aimer

aujourd’hui c’est #tendredi regards aimants sourires petits mots glissés de main discrète sous la serviette ou chuchotés dans l’oreillette

24 avr. 4

Je vous envoie

une ligne de basse deux tasses de sucre 125 grammes de raisins secs une mesure pour rien thermostat trois à quatre temps pour préchauffer le jour

pas un soupir pas un souffle mais des regards vers le lointain

et ces îlots dans l’herbe verte dressés modestes ou triomphants les pissenlits qui s’en balancent

17 avr. 3

Je vous envoie

la minute de paix sous la douche rien d’autre que les yeux clos dans l’eau chaude

le ciel bleu avril si proche qu’on pourrait le mordre en redressant un peu la tête

et dans un verre d’eau glacée le tourbillon tranquille de nos pensées

10 avr. 2

Je vous envoie

autant d’images que dans l’album d’une enfance d’autrefois

une Indienne à plume une autre en sari

le capitaine à casquette sur la péniche hollandaise

et le loup affamé qui s’en va pécher sur le lac gelé

autant de souvenirs pour demain à raconter aux enfants qui naîtront en décembre

3 avr. 1

Je vous envoie le bruit du vent quand il rejoint la branche en fleurs

le seul chemin qui va plus loin bien après les champs bien après l’étang jusqu’à la colline ou peut-être une clairière

et tracé sur la vitre le trajet du retour vers le désir de vivre

peut-être une sente peut-être un chemin

suivre une autre pente choisir un décor

au loin des signaux l'envol d'une main

l'écharde des roseaux une lumière encore

et puis plus rien dans cette nuit sans nombre qu'un souvenir en fuite

(13 juin 2018)

passages de lents

1 dans l'immense ciel mouvant où les paroles égarées dérivent un vent léger s'est levé qui saura réparer nos pauvres mots blessés

2 sur l'eau rêveuse un bout de bois qui flotte pas besoin de pas chassé ni de chausser de bottes un souffle et un soupir suffisent pour se tenir au bord du fleuve

3 rechargeons-nous de mots hybrides lents carburants de nos rêves

laisse aller

laisse aller les gestes laisse aller les mots les histoires de grand-mère et les arts martiaux

laisse aller le fer rongé de rouille qui perce le bois sec laisse aller les godasses et les chemises les bouledogues les ptites souris les écrevisses

laisse aller le désir de finir et ces tourments pour rien laisse aller ta vie par tous ses chemins

laisse aller

"Paper planes" par shenamt, licence CC BY-NC-ND 2.0 “Paper planes” par shenamt, licence CC BY-NC-ND 2.0

incertain jour

je ne veux rien de ces jours trompeurs ni cette aube enchantée prometteuse ni le rouge éclatant du couchant

j'aime au matin cet incertain jour aux vitres criblées de gouttes hésitantes aux pâleurs sourdes de ciel trempé sans rien qui mène au moindre trajet

j'aime au matin ce jour incertain qui me laisse essayer son immense espace