Un blog fusible

pour couper le cirque cuit

ombre

je marche vers la mer le soleil me pousse dans le dos

mon ombre bien plus grande que moi vide et légère allongée sur le sable me fait signe

elle est au bout de mes chaussures trop lourdes du poids de mon corps fatigué

puis mon ombre disparaît dans l'ombre d'un nuage qui me laisse seul sur la plage

de mon ombre envolée ne restent à mes pieds qu'une flaque d'eau grise et le désir de danser

“Loneliness...” par Giuseppe Milo, licence CC BY 2.0

#photo #poésie

nous sommes

nous sommes l'herbe des champs la lueur de la led la lenteur d'un moment

nous sommes crainte et fureur et sommeil nous sommes l'orage et la pluie de septembre

nous sommes l'erreur, le syndrome et la parenthèse nous sommes sans mesure ni surface ni centre ni circonférence ni profil ni relief

nous sommes proches et nous sommes lointains nous sommes des arbres, des pylônes et des trains, des nuages, des chaussures et des chemins nous sommes des riens

nous sommes les autres et les mêmes en même temps

nous sommes tout et rien et le très peu qui les sépare

nous sommes nous hommes

#noussommes

soir et matin

pas de vent et pourtant la mince tige de bambou ploie au souffle invisible que seules ses feuilles ont senti


ni joie ni peine pour saluer la clarté le chant d'un oiseau


triste et terne demi-lune

une autre nuit peut-être brilleront partout

deux mille lunes


le cerisier enneigé de fleurs au printemps réticent attend le vent


impeccable et gracieux posé sur la poutre le soudain rapide salto arrière


tête au-dessus des herbes le chat en vigie dupé par le vent surveille les branches


un tonnerre de réacteurs explose le ciel mais où regarder long-courrier déjà loin


pied très lentement posé sur l'eau des flaques sans troubler son miroir

marcher dans le ciel


rouillé fourbu percé il rigole de l'eau du ciel le toit de tôle ondulée


toujours libre au fond du parc le vieux banc de bois gravé de prénoms et de cœurs attend patiemment le retour des amants d'autrefois


corps plus lourd tête en arrière par la vitre la rue accélère à la vitesse du tram


ciel qui s'éclaire

au fond de la tasse sombre et encore tiède ce qui reste de nuit


fleur ouverte sous le givre le glace la protège du froid qui la tue


iris dorés qui font imaginer des secrets mais rien à voir derrière les yeux du chat


fantôme qui passe en trombe et ne s'arrêtera peut-être plus jamais nulle part le bus sans voyageurs


à peine visible herbe nouvelle submergée par le nombre de boutons d'or


il perce les nuages et fissure le ciel

faible et puissant soleil déclinant


jamais deux fois la même strophe haut perchée trilles de la grive


le livre tombé de ses mains déploie de puissantes images pour le lecteur assoupi


nous sommes des trains

nous sommes des trains qui se croisent se frôlent et s'ignorent une fois hurlés nos cris d'alerte

nous vibrons de colère nous lançons des éclairs sur les caténaires nous dansons impeccables sur des rails rouillés et luisants à la fois

nous sommes des trains qui foncent sur leurs vies parallèles qui pourtant peuvent prendre tant d'autres voies

nous sommes des trains qui foncent dans la nuit pour chercher des quais vides et des gares oubliées

« intersection de deux parallèles » par OliBac, licence CC BY 2.0

#poésie #photo #noussommes

nous sommes des hommes des femmes pêle-mêle au sol rompant de rage les jouets menteurs du sommeil

nous sommes femmes en guerre enfuies du troupeau nous sommes des hommes sans trêve ni repos

la pluie nous abreuve le soleil nous bénit chacun de nos pas marque d'une empreinte profonde la boue des origines et l'étoile qui nous veille

nous sommes des femmes des hommes qui savent quand se taire mais jamais quand mentir

nous parlerons à l'envers sans trembler pour arracher leur masque aux mots cachés

demain nous fêterons nos instants de victoire d'un grand bond par-dessus la rivière oubliée

“Crossing the River” par Katia de la Luz, licence CC BY 2.0

#poésie #photo #noussommes

nous sommes des îles

nous sommes des îles minuscules     des îlots plutôt archipel épars et rochers émergés que la marée basse délaisse et qui disparaissent sous les vagues furieuses

nous sommes des îles où presque rien ne vit avec un seul sentier rongé de ronces et de lézards pas d'anse abritée ni de hauts-fonds sablonneux

nous sommes des îles sauvages et nous tenons bon nous résistons à l'océan à la tempête

nous sommes des îles qui attendent

nous sommes des îles tranquilles et patientes il faudra bien des siècles avant que nos blocs de granite s'envolent en nuages de sable rouge au vent du large

“The Blue Before the Storm” par Trey Ratcliff, licence CC BY-NC-SA 2.0

#poésie #photo #noussommes

nous sommes des chemins

nous sommes des chemins tortueux des pistes caillouteuses nous accueillons les flaques et la boue l'herbe courageuse et l'inégale ornière

nous sommes des chemins qui s'ennuient dans un parc et s'enfuient pour tracer à travers champs un double sillon

nous sommes des chemins qui vont partout se croisent et se séparent au poteau au calvaire au muret de clôture

nous sommes des chemins vers plus loin vers le bout du vallon et le goudron de la route le bord de la forêt et d'autres chemins encore

car aucun chemin ne mène nulle part

“Country Roads I” par Focx Photography, licence CC BY-SA 2.0

#poésie #photo #noussommes

nous sommes des arbres

nous sommes des arbres d'avant les feuilles nous tendons vers le ciel nos ramures compliquées

branches inabouties aux tropismes incertains branchettes maigrelettes pointant du bourgeon à peine

fourches ténues qui résistent au vent cependant brindilles flexibles que le gel ni la bourrasque ne rompent

nous sommes des arbres silencieux et discrets de l'un à l'autre nos racines sans bruit se frôlent et se mêlent nouant des échanges invisibles et puissants

nous sommes des arbres lents et patients nous lancerons surgeons et drageons bien des saisons encore une autre année pour un bosquet

et nous ferons la forêt profonde car nous avons la force de l'aubier sous l'écorce

“Trees” by s1ng0, licence CC BY-SA 2.0

#poésie #photo #noussommes

nous sommes des pylônes

nous voici nous sommes des pylônes dans la plaine immense si haut dans le vent les câbles nus nous relient les disques de verre nous isolent

nous sommes des pylônes qui parlent si distants dans l'espace en bourdonnement continu signaux confus entre les poutrelles et les treillis de traverses

nous sommes des pylônes qui rêvent que loin derrière les collines franchies à grandes encâblures l'horizon s'incline la tension cesse et on s'embrasse

“Orange Horizon” par iyadtb, licence CC BY-NC-ND 2.0

#poésie #photo #noussommes

trop de mots

trop de mots qui s'envolent sans laisser de traces

trop de paroles lancées par personne jamais rattrapées

trop de trains qui s'en vont sans signaux sur le quai

trop de chemins perdus de rues en impasse ou en sens interdit

mais pas assez d'amour non, pas assez d'amour