Issue #31 : Post-Mortem

[Black Crown : Euthanauts #1-5]

D'habitude, je démarre en rigolant ou avec une référence miteuse et je suis perçu comme quelqu'un de très vivant, mais aujourd'hui c'est un post/review plutôt sérieux. Je dédie cet article à ma grande sœur Jacqueline qui s'est éteinte il y a exactement un an, des suites d'un cancer de la peau. Je voulais lui faire lire cette série, mais je n’ai jamais eu le courage de lui proposer.

COUVERTURE Scénario : Tini Howard Dessins : Nick Robles Couleurs : Eva de la Cruz Lettrage : Aditya Bidikar / Neil Uyetake Editeur : IDW Publishing (VO)

Scénario : Thalia Rosewood est une employée de pompes funèbres. Son boulot, c'est de guider les gens après un décès. Un peu désabusée et un brin cynique grâce à son métier, elle a un rapport assez lointain avec la mort. Les gens qui viennent dans son lieu de travail viennent pour eux. Mais arrive un jour ou elle rejoint des amis au restaurant et à une table non loin d'elle se trouve une famille qui dine tranquillement. Fait surprenant, l'une de ces personnes est une femme aux traits tirés, chauve et trainant un chariot à bouteille d'oxygène avec elle. Thalia ne peut s'empêcher de se demander : Que pense cette femme ? Quel genre de repas on peut commander en se disant qu'on ne vivra peut-être même pas assez pour le digérer ?

Elle se rend aux toilettes et tombe sur la femme malade qui se montre étrangement chaleureuse avec elle et va même jusqu'à lui serrer la main. Elle s'appelle Mercy Wolfe et s'apprête à fumer un peu son médicament avant de passer au dessert. Mais alors que Thalia cherche un briquet dans son sac, la femme prends sa bouteille et frappe le crâne de sa victime de toutes ses forces.

L'employée mortuaire se retrouve alors avec des images étranges dans son esprit, elle flotte dans le vide. Dans un hôpital un jeune homme et une jeune femme viennent chercher le corps de Thalia mais celui-ci semble disparu. De son côté, miss Rosewood se retrouve face à une personne dans un accoutrement un peu étrange, elle n'arrive pas à faire part de la réalité et se demande si elle rêve ou si elle est morte. La chose qui lui parle n'est autre que... Mercy Wolfe, la femme qui l'a frappée de sa bouteille et elle est bien morte, elle. Commence alors un voyage aux confins de la mort...

IMAJEUNO

Mon avis : Je crois qu'on s'est tous posés la question à un moment ou l'autre de notre vie. C'est quoi mourir ? Qu'est-ce qu'il y à “de l'autre côté” ? Y'a t'il un “autre côté” au moins ? Cette mini-série ne prétends pas y répondre, mais tente d'exposer de façon poétique, l'idée de l'après-mort via une histoire surréaliste.

Pour cette bédé, il n'y a rien de l'autre côté. Quand on meurt, on devient une forme éthérée qui flotte dans un immense néant avant de disparaître à tout jamais parce qu'on a été oubliés par nos proches et nos descendants. En 1992, le docteur Mercy Wolfe a mis au point une machine à explorer “l'autre côté”. Ça fonctionne à la volonté. Mais pour ça il faut accepter de mourir... volontairement.

Pas une mort accidentelle ou un suicide, non. Une euthanasie souhaitée et désirée afin de se raccorder à l'après-vie et explorer cet espace inconnu du monde humain. Son mari, le Docteur Oscar Wolfe, désire se sacrifier parce qu'ils ont deux enfants et il estime que puisqu'il faut une “attache” au monde réel, sa femme sera l'attache afin qu'il persiste dans l'au-delà. Elle lui en avait fait la promesse, mais son amertume d'être l'attache tandis que lui irait explorer l'au-delà ne l'enchante pas.

Thalia se retrouve donc mêlée à cette histoire et revenant à la vie, mets la main sur la machine. Toute l'aventure découle de ce récit et tout au long des pages on est amené à contempler avec poésie le grand vide ou a se demander quel est la vraie signification de l'attache. Quand tout disparaît, quand tout s'éteint, la vie continue, notre famille vieillit, meurt à son tour, on est plus qu'un nom de famille jusqu'à l'oubli définitif.

Et qui dit décès dit souvent histoire familiale. Des drames no résolus, des non-dits, des questions en suspens. De l'amertume et du regret, parfois du soulagement. La mort apporte son lot de confusion et d'émotions contradictoires.

Ayant pris ce titre en singles, il y a, à la fin de chaque numéro, une interview de quelqu'un dont le métier est en lien avec la mort, que ce soit un designer de pierres tombales ou une infirmière en soins palliatifs, on se retrouve avec quelques lignes de la part de ces gens qui côtoient la mort au quotidien, qu'ils le veuillent ou non.

J'avais déjà lu ce titre avant que ma sœur ne s'éteigne et je l'ai relu quatre fois depuis. Le temps passe, on a tendance à se dire que ce sont que les autres qui meurent, que les maladies graves ne frappent que des gens plus ou moins éloignés. On s'attend, avec l'âge a la disparition de nos parents pour une raison ou une autre, mais quand c'est une grande sœur, on réalise que tout le monde peut mourir et qu'il n'y a aucune forme de justice ou de raison dans ce qui arrive.

Comme Thalia je me suis retrouvé à réfléchir, à me questionner, à vouloir rationaliser les choses avec pragmatisme, mais la vraie héroïne de la BD, c'est Circé. Celle pour qui mourir n'est qu'une étape, un moment. Je ne suis pas ressorti de cette lecture avec LA réponse à la mort d'un proche mas ça m'a énormément aidé à relativiser et à percevoir ça de façon poétique. Même lorsque les gens qu'on aime disparaissent, ce n'est pas une fin, c'est un cycle et chacun de nous en fait partie intégrante.

Le récit en lui-même est plutôt bien écrit, l'histoire est très originale et l'équipe créative s'émancipe des poncifs habituels et je n'en suis pas surpris, le label “Black Crown” d'IDW s'est spécialisé dans les choses underground et particulières en piochant dans un registre tout autant spécifique. Parfois je ne suis pas certain d'avoir tout bien compris, parfois j'ai l'impression d'avoir absolument tout compris et même mieux. Paradoxalement, c'est ce qui fait pour moi l'une des forces de cette mini-série.

Si la narration n'hésite pas sortir des cases ou à faire des transitions poétiques, le dessin et la couleur sont très sobres, réminiscents du côté formel qu'un enterrement peut avoir. J'ai été soulagé de voir que la religion n'allait pas débarquer avec les pieds dans le plat à coup de morale bien épaisse et pas subtile, justifiant telle ou telle chose par le fait que “Dieu aime les siens” ou “Dieu rappelle ses proches parce qu'il les aime” et sans oublier l'éternel “c'est une épreuve que nous impose le seigneur”. La personne au scénario a eu l'intelligence de parler des différences culturelles sans traîner la religion dans l'affaire.

IMAJEDOS

Voilà, c'est certainement très désordonné comme j'ai toujours eu l'habitude d'être, mais c'est joli comme tout. J'aurais vraiment aimé te la faire lire, pas pour te faire peur ou pour te faire pleurer, mais pour te montrer que les bédés, c'est pas que des bonhommes en collants avec des gros mots censurés. Et pour te dire que même partie, je continuerais de penser à toi, en espérant que tu vogues de l'autre côté en toute quiétude.

Bon voyage, frangine.

IMAJETRES

#issues #IDWpublishing