La ville morte – épisode 9 / la chute

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L'été s'accroche dans les confins de la ville morte. Un été calme, répètent les gens.

Pas de voitures brûlées, peu de cambriolages, et puis cet enfant renversé dont on ne parle déjà plus.

Un gamin fait une roue arrière en scooter le long de la promenade. Ses cheveux rebondissent à chaque accélération. Les boucles encadrent ses boutons d'acné roses. Col ouvert sur un buste fluet, petite moue sous la moustache, il feint l'indifférence. Ses yeux tournent dans le vide, le bruit du scooter accroche les regards. Le buste est de trois quart, un coude plié, l'autre tendu. L'accélérateur roucoule.

Deux filles se poussent du coude. Elles le connaissent, lèvent les yeux au ciel, pincent les lèvres et reprennent leur conversation.

Son regard s'arrondit lorsqu'il arrive à leur niveau. Ses yeux passent sur le petit groupe sans s'attarder. Torse légèrement bombé, bras relâché, des signes infimes trahissent son trouble nonchalant.

Les mains glissent sur le guidon, les roues fluides, le buste souple.

Est-ce une main qui a manqué, une tâche d'huile sur la chaussée, ou une feuille du début d'automne ? La roue avant dérape. Son corps s'échappe et rebondit sur la chaussée. C'est rapide comme un événement : à l'instant où le moment commence, il est terminé. La chute n'a pas fait un fracas effroyable d'accident de voiture. Presque léger, le corps s'est élevé puis a disparu.

“C'est le gamin de la dame là-bas, assise avec son fils” dira la médecin réanimatrice à l'interne. Aux pleurs de la mère, à la rage du frère, elle comprend que c'est le deuxième de la famille qu'on enterre, bouffés par la route et l'ennui. La douleur de la mère rongera sa peau et ses yeux. Il est des douleurs qui ne se disent pas et s'étalent sur les corps jusqu'à les finir.

“Ils se foutent en l'air tout seul ces gamins” dira le commerçant en rentrant chez lui. “Il y en a qui tiennent à leur vie jusqu'à 100 ans et eux la tienne à une seule main à 200 km/h sur l'autoroute.”

Il n'y aura pas d'article dans la presse locale le lendemain. La rentrée, la pandémie, les chevaux torturés, pas de place pour un petit qui meurt seul.

Quel bruit fait un gamin qui meurt si personne n'est là pour écouter ?

#villemorte