selmakovich

journal

Je coupe la tomate en deux, puis en lamelles irrégulières. Mes mains ne parviennent pas à rester fermes, la découpe des tranches s'en trouve un peu dentelée. Le couteau touche la peau lisse, perce puis traverse en un mouvement. Le métal tape contre l'assiette. J'aimerais que le bruit résonne dramatiquement, comme dans un film où les bruits du quotidien sont amplifiés et les bruits du corps, effacés. A la place, la rencontre du couteau et de l'assiette ne dure qu'un instant. Autour, le silence.

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les chemins 14/100 jours d'écriture Je recompose des chemins maille par maille / un carcan de sentiers qui arpentent la ville /plus près la ville, plus près, tes routes lassent / des mailles denses, je compte les rangs envers / mais je ne vois jamais les dessous de la ville / la surface des choses est bien suffisante /

la circulation se lasse, le goudron coule / sous mes pas, c’est bien. Le béton brûle mes yeux, / c’est bien, les gens se battent à 19h, c’est bien / quelque chose de vivant, qui grouille quand je sens / que tout le reste de la carcasse se vide

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nos défaites 13/100 jours d'écriture Je peux lister tout ce qui est enfoui. Les armes cachées, si loin dans le sable que la marée ne les remonte pas. Autour de moi l'embrun, le sable, mes pas lourds dans la terre mouillée s'enfoncent un peu. Je continue la marche et liste les batailles, comme les chapelets de nos pères. Il n'y a pas de croix, pas de tombes. Les idées tombent sans bruit, lavées par les vagues. On les perd, dans les flots. Elles émergent de nouveaux, des décennies, des siècles plus tard.

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bienvenue 12/100 jours d'écriture

Il parle beaucoup et vite. Il enchaîne les phrases comme des perles, puis les enfile en collier autour de son cou. Sa femme et sa fille sont à côté. La petite mange un petit pot goulûment. Elle aura les cheveux de métisse, il me dit, très bouclés, comme vous. Je souris. D'habitude les gens ne savent pas. D'ailleurs lui-même ne sait pas, ne se pose pas de question, ni sur mes cheveux ni sur ma race, et c'est tant mieux. Il est là pour parler de lui et moi je l'écoute.

Il a trois autres filles, des métisses tout pareil, il précise. Des cheveux magnifiques. Il ne les voit plus, il ajoute rapidement, il n'a plus la garde, depuis le divorce. Avant il était vigoureux, un athlète ! Regardez, il ne reste pas grand chose, à part les cuisses, de ce corps de sportif. C'est un peu la rue, surtout la bière. Il désigne sa bouteille. Il est 10h du matin.

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combien de fois 11/10 écrit à la main J'arrête et puis je continue, je veux d'avantage de continuité mais mes nuits taisent les comptines d'été. Moins je dis plus j'écris et en ce moment les vannes sont ouvertes alors mes doigts se crispent et j'écris pour rien (existe-t-il une autre manière d'écrire ?). Mes ami.e.s écrivent des choses qui ont du sens, dessinent des immeubles et des hébergements, moi j'héberge des sentiments, mal, alors ils se cassent et je suis seul.e dans une maison vide. Je rêverai d'avoir des rollers et un ballon de basket pour que cela résonne dans la bâtisse, mais à la place le vide et moi qui tisse, de bas en haut, pour mieux pouvoir défaire, tout à la fois.

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Solution 10/100

Je n'ai pas de problèmes, je répète, pas de problèmes, rien que des solutions dans le sac, rien que du sucre dans l’œil, surface lisse, angle mort, la crasse glisse, encore.

Je n'ai pas de problèmes, juste des questions, des petits bouts de questions, rien de théorique, des petites choses graves comme les choses graves le sont toujours. Un jour j'ai couru vers la Seine, ou peut-être était-ce la Saône et j'ai rêvé d'un fleuve sans histoire. Je voulais toucher les fonds translucides, ramasser des coquillages qui traduisent le présent. Mets ton oreille et tu entendras la mer

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quoi ? 9/100 jours d'écriture

Je ne réponds pas et puis j'esquive, comme j'évite les gens dans le métro, c'est à dire sans grâce ni assurance, juste un rappel que je ne vois que par fragments. Vos corps forment des interrogations et je ne sais rien vous dire à part que vous êtes si beaux et si étranges. Les bras secs et les jambes molles, les pas des parisiens sont toujours un peu tordus. C'est une flexion supplémentaire qui arrive juste avant de toucher le sol, juste exprès pour ne pas le toucher.

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dormir, 8/100 jours d'écriture

It was just too much, I had to shut down

Plus tard on rendra compte de ces semaines, ces mois, disparus, entre le rêve et le sommeil. En face de nous les calendriers refusent toute tentative d'éluder. Il y a un mois et puis il y a un autre, une saison pousse la suivante avec obstination. Il n'y a de place ni pour le rêve ni pour l'absence. il n'y a jamais de place pour l'absence.

Les plus pragmatiques mentent : un voyage à l'étranger, un souci familial (rien n'est faux après tout.) Les plus lointains partent sans revenir (on parlera longuement d'eux un temps et puis plus du tout). Leur dernier geste d’au revoir pour toujours fixés dans leurs yeux.

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les démons - écrit à la main 1/100 jours d'écriture

Je fais le geste, une fois, deux fois, trois fois. Mes doigts tourbillonnent dans une ronde discrète. Je marmonne au creux de mon épaule. Ma marche se fait plus lente. C'est que j'ai cette impression, là, dans le coin de mon cœur — côté droit là où il n'est pas. Cette impression d'un surgissement à venir, d'un engloutissement tout entier.

On ne combat pas une impression. Quand elle m'emplit tout entier, je peux, au mieux la pousser du pied gentiment. Je lui dis : repasse demain ce n'est pas le moment. Tu étais déjà là hier, ce n'est pas le bon moment.

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collages 6/100 jours d'écriture, écrit à la main

Souvent, je regarde mon visage et ne vois que des bouts, fragments adossés les uns aux autres dans un château de cartes fragiles. Il m'est impossible de dire : ce bout-là c'est mon père tout craché, celui-là ma mère tout entier. Ce sont des brisures qu'on aurait pu récupérer n'importe où vraiment, chez le fleuriste comme chez le poissonnier. Ce visage n'a rien de cubiste, il n'y a qu'une seule perspective, plane et direct. Ce n'est pas une histoire Rashōmon racontée par une multitude de voix. Il n'y a que la mienne, qui s'étonne, de ne jamais reconnaître ni son nom, ni son visage.

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