Axelle

Les échappés

Les lits d’amour s’approfondissent Nos chairs s’enfoncent 
 Archipel des rêveries Evadés, à l’extérieur de nous Chute des corps reprisés La trajectoire des regards fortunés Insensible aux raisons de la gravité Perdus Nus Vapeur de peaux perlées Eclos en hiver

Raccord

Au retour de la vue désembrumée, vergers et lumière, inondent Les montagnes prêtées à la caresse par le plis des phalanges Retrouvé, l’emploi de la douceur Plus trompée, l’offre de la sève Le gris s’apparente au bleu La chambre réfugie à nouveau les murmures La tendresse est exaucée A la fenêtre, Les minutes émues Passent le fil

Les idoles brûlées

Dans la penderie mon habit de fantôme. Grisonnant, pâle d'être relégué au deuxième étage des guenilles de mi-saison ne bénéficiant que de ports intermittents : le matin, pour le trajet, puis le fond du sac. J'ai honoré mon statut de spectre souffrant avec trop de mansuétude pour la noblesse du crime accidentel. J'ai retiré le passionnel de la combinaison de qualificatifs hasardeux. Ce n'était qu'un abandon. Ce n'est qu'un étranger.

Les limbes ensoleillées se sont voilées d'un filtre adoucissant, d'un terne ronronnant, d'une colorimétrie ordinaire. Le bleu fait une percée. Le déchirant n'arrive plus qu'à provoquer une érosion légère du tissu qui fera la gloire de la garde-robe presque majeure, celle qui tient, celle qui résiste et se transmet, comme un doudou de fortune.

La trahison n'est plus. Caressée par une lucidité insidieusement chaque jour plus habile, elle finalise sa mutation en odieux conte à peine plus original que le récit digestif à la table du jardin endimanché. C'est l'histoire d'une illusion bien fabriquée, que j'ai embrassé, à laquelle j'ai fait l'amour, que j'ai serré, trop fort, avec trop de hargne. C'est une berceuse sournoise, qui n'endort que trop bien, qui déguise les songes d'apparats de contrefaçons, de pastiches de rêves. Je ne suis plus sensible à sa mélodie. Brunie et enferrée, acharnée à l'affranchissement, je sais enfin, mériter mieux, me fondre dans la masse peinée ainsi sanglotante qu'elle s'est battue et a gagné : le sort et l'horizon.

Les satellites

Mon visage brouillé par les volutes, agenouillée sur tes cuisses, ton jean rugueux contre mon épiderme molle et chaude, le vallon de ma hanche aux prises de ta main gauche, rigoureuse. Tu m’écoutes comme un tuteur, tu hoches la tête. Chaque occasion d’apercevoir un autre toi, une expression, un regard qui ne m’est pas famille, invitée dans le secret de ton altérité, est une vexation exquise. Moites tropiques. Les plis du recoin de tes lèvres, la subtilité du tracé unique à l’aube de ta nuque. Ta main gauche troue l’assourdissement de la musique, elle est l’encre marine. Dans le bar, le groupe chahute. Au matin tu t'éclipseras dans la cuisine. Aligné à la corbeille de fruits éprouvés par la chaleur je te retrouverai hagard, le torse nu, le vin blanc empâtant encore nos langues, je déposerai des recueils de salive invisible dans tes creux. La mélodie silencieuse, oreilles sifflantes des récits claqués dans le tympan la veille, du relâchement des muscles. La chair amusée à jouer de tout son poids. Moi, les bras autour de toi. Les satellites défrayés et puis les autres.

L’abîme

Pourquoi n’ai-je pas mal ? Foudre tombée sur les os Rupture de la couverture de cuir Un marteau arrose les encolures Vrombit, d’un coup une sécheresse La coupure est nette J’adjoins mes mains autour du foyer sensible Torrent de lumières Le bleu s’égare et s’accouple de teintes étrangères Pourquoi n’ai-je pas mal ? Enfin l’onde parvient au coeur Il est temps d’appliquer les règles Le sang brun forme une montagne protégée d’une lentille d’épiderme Les battements chauds appellent à l’immobilité La trahison vient de la pupille, la bouche, elle, peine Je me blottis dans la douleur Pourvu qu’il y ait une fièvre Je me jette en pâture aux exclamations, à l’attroupement Les métaphores non-verbeuses sont un réconfort Je délègue mon repos, docile à la palpation Pourquoi n’ai-je pas mal ? J’embrasse la répétition du récit sur un registre pauvre Bénédiction d’une banalité Rejet de la plainte de l’être à névralgie soucieuse J’ai mal tout le temps Enfin un point, un centre dévasté, unique, identifié Le sang bouillant d’une amnésie Soulagée des neiges acides au fond de la gorge Débarrassée d’une malignité des intempéries dans la tête trop étroite Un nuage noir au-dessus de la cheville Le repos admis

Brouillon

Le Moi que je dois dépasser pour survivre est atteint d’un syndrome. Une stagnation dans l’âge qui m’oblige à ne considérer ce Moi à surpasser par la force d’une volonté maniaque qu’aux traits et à l’allure enfantins. Bien qu’increvable, ce Moi figé comme une captation d’une forme, d’une odeur et d’une brûlure glacée, je tente de le tasser. Dans mes bons jours, je monte sur les épaules de la petite fille, non pas à la manière d’une acrobatie joueuse, comme en enfilant un cartable d’os et de peau, mais en écrasant mes pieds sur chaque rondeur de clavicule. J’aimerais que le Moi se trouve collé sur ma semelle, oublié, pas même un souvenir, juste un rappel visuel relégué dans l’intensité de la marque et sa pérennité au bon vieux chewing gum. Quand j’écris il m’apparait pourtant impossible de ne pas visiter la brûlée froide. J’ai besoin d’un antagonisme pour pouvoir m’approcher dans la description de la texture, de l’aura de son halo répulsif. C’est une souffrance telle que de protéger sa brûlure par une cristallisation glaciale. De faire vivre ces deux états sans lesquelles le Moi aurait dû, forcé par un vide, ressentir, faire l’expérience d’une lucidité.

Quand je cherche à être plus forte que l’agonisante, je copie. D’abord je prends bien note des acceptables et des enviables, à ceux dont le goût me plait j’offre une scène, une plateforme de représentation. Je regarde et je copie. J’écrase les épaules en même temps. Je tasse la gueuleuse. Le Moi beugle. Mon impuissance. Une danse atroce, insensible aux critiques, vautrée sur la scène, empoisonnant du sommeil ma force de ma volonté maniaque. Allez tiens (elle beugle), à tous les coups tu disais « survivance ». Elle vante son authenticité, enfin il, c’est Moi. C’est la petite mutante, elle est moche mais elle émeut. Elle est simple. Quand je me surpasse, à quelques occasions créées de toutes pièces par une fatigue ou une chaleur, je me mets à me surplomber. Le Moi me survole, j’emprunte son vaisseau et j’inverse l’écrasement, j’écrase comme une dingue. Je me vois, typique utilisatrice du mot survivance (et puis il y a éducationnel aussi), gargarisée de nuances, bien forte, bien vidée de mémoire. Je m’écœure un peu mais le Moi ne peut pas s’empêcher de se réjouir. On a bien copié. Admirablement même. Regarde-la. Elle fait même l’amour. Pas l’ombre d’un complexe, elle caresse, se caresse, elle se plie, s’étale, se crispe. Ça c’était franchement enviable. La contrefaçon est excellente. La petite brûlée est ravie de la prémonition, elle se laissera volontiers ramassée par la semelle.

Il se trouve que la petite a excellente mémoire et imagination, le tourbillon fâcheux des idées et projections à destination de la conceptualisation du pire est une proposition de chemin qu’elle systématise. Paralysie d’angoisse ? Une visite au cœur de la banquise en feu offrira sans conteste l’opportunité d’inscrire la paralysie battante dans la poitrine au rang de menace intermittente mais régulière. Nouveau régime spécial.

Ça y est j’ai bien été dans les tréfonds, l’asphyxie me permet de retrouver la chère force de volonté, celle de trouver de l’air. En plongeant sans recherche de main tendue vers ma souffrance à couettes frisottées – en d’autres termes, en écrivant – je me débarrasse un peu du monstre. Je lui fais face et je vois ces zones douces. Il est nourricier. La bataille de souveraineté c’est mon relief. Quand alternativement les protagonistes critiques, différents d’âges et de point de chute pour le regard, s’écrasent les épaules pour se tasser les uns les autres, je prends forme. Je me mets en mouvements. Une forme et une mouvance qui induit des extrémités. La sagesse d’une conscience de Moi et puis des autres mutations du brasier immergé. Ce sont mes montagnes, mes flancs. Ce n’est que moi. Rien et un peu à la fois. Selon la correction, selon le verre, la loupe. Ce n’est qu’un jeu de poupées russes un peu tordu, je connais l’issue, je connais les traits, je connais l’esquisse et le crayon. Il faut, je vais. Pas sans programmation foireuse de la scène. Jamais oublieuse, Moi.

Absoute

Régie par les sentiments perlants L’enfant flamme claque la nuit Irruption intranquille Je n’ai plus qu’un surplus de la hanche Les plumes renfermées dans la poitrine Une musique carillonne Je crois suffoquer à nouveau Par les soupirs je conjure La plaie suturée par l’enchevêtrement des étreintes, des soudures colorées Le lit est habité à nouveau

Songe (à tout)

L’opium des bouches accouplées Les échos des silences, lourds, esquissés d’une entrouverture Lèvres avancées, chant ravalé De ton soupir je saisis La violence de ce qui ne peut pas être La bonté des contusions jumelles Malice des joues rosies, échauffées, la couleur des tissus ravivée Dans l’être que tu me présentes il y a Une promesse béante Rapportée à un chatouillement d’herbe grasse cajoleuse des creux Tu avances Dans ma musique Liaison des désarrois Nés de nos cœurs défaits

L'affable défunt – Le déni

La personne que tu étais, a-t-elle jamais existée ? Mon deuil est-il factice ? Est-ce le deuil d'un fantôme jamais incarné ?

Je me sens brûlée au cœur de la chair, fendue en deux, lorsque je laisse sournoisement s'insinuer la force du souvenir dans mon esprit déjà tourmenté par la bataille interne des pensées insupportables – parce qu'il n'y a pas que toi et ce que tu étais dans la composition de mes souffrances, il y a, aussi, des déséquilibres et des peurs d'enfant agitée. Je croyais, j'avais la foi, une foi agnostique inverse, une foi en ta douceur, jusqu'à preuve du contraire.

Depuis que les preuves se sont multipliées il est de plus en plus difficile d'embrasser la folie de l'abandon sacrificiel aux mains rugueuses de l'autre. Je ne peux me rendre indigne parce que je ne crois plus tout à fait. Je ne suis plus certaine que cette douceur, ce soin, cette humanité intacte, préservée de toute aigreur et acidité rongeuse, cette caresse sur ma cuisse, ce baiser sur l'intersection creuse du bas de mon oreille et de l'extrémité de ma mâchoire aient vraiment existé dans cette version chimérique, cette existence parallèle, claire et pure.

Comment est-ce possible autrement ? On dit qu'on ne change pas. Serais-tu l'exception ? Celui, unique, qui fut bouleversé jusqu'à l'érosion totale, l'épuisement aride ? M'as-tu jamais aimé ?

Tu n'as jamais parlé d'un amour tari, d'une dévotion irraisonnée entamée. Tu as parlé d'un effroi, d'une méfiance, d'une re-caractérisation de mon âme en laideur infâme encouragée par les murmures, tu as fait preuve d'une hostilité désarmante. Pour autant, tu ne m'as jamais dit, « à ce jour, sous ce jour, je t'aime moins ». C'est peut-être dans ce douloureux fait du cœur que git la vérité lugubre. Invariablement, puisqu'on dit qu'on ne change pas, puisqu'en revanche on dit qu'on peut aimer moins, l'assèchement de la tendresse, la disparition de la patience et de la sollicitude, l'exclusion, la mise sous silence et enfin la bousculade hors-ton-monde sont les symptômes les plus édifiants d'un amour sérieusement entamé.

Est-ce que tu penses à moi ? Est-ce que tu penses à ma peau ? Est-ce que tout, organiquement, se serre à l'auto-évocation de mon odeur ?

Je crois savoir que non, je crois savoir que je ne serai plus jamais sujet de rêveries ou de cauchemars. Je ne suis plus sujet du tout. Je suis devenue un ineffable rangé avec les (petits) monstres de ton passé.

Et si je meurs ? Se rejouerait-il alors la tragédie hurlante de la passion perdue ? De l'inconcevable amour dont la vitalité terrestre n'a d'égale que l'effroyable réalité de mon trépas ?

Je n'y crois plus. Je crois, plutôt, que ma mue au sein de ton foyer émotionnel, de ton esprit autrefois si généreux, si bon avec moi, atteint une finitude semblable à une vieillesse malade. Je maudis ce basculement. Je me maudis moi, pour n'avoir su honorer correctement cette douceur lorsqu'elle était encore manifeste, lorsqu'elle éveillait encore la foi. Cette splendeur n'est plus. Je pleure la magnificence perdue. Je pleure la main et l'épaule. Je pleure l'enivrement et l'empoigne. Je pleure la chaleur et le confort de la certitude tranquille. J'abdiquerais avec joie, dans l'allégresse de l'évidence retrouvée, si seulement j'avais encore la foi, si seulement ma dévotion n'était pas à l'égard d'un spectre. Je te chérirais à l'instar du plus précieux bibelot légué par un grand-père-voyageur défunt, glissé dans la poche de l'enfant mis dans la confidence, j'userais de toute ma capacité de soin, si cet être perdu, lacéré, massacré, abandonné, abattait tous les ennemis de la déraison qui fait l'amour. Pourtant je crois pleurer un cadavre.

Répit

Le ramassis défait de mes mues croît sur le petit bureau de la chambre Dans la ruée nocturne, dans la complainte étouffée, une agitation à retrouver Les paradis blancs d’antan Suspendre la caresse Attendre la bénédiction Reprendre l’élan De la fermeté du muscle saisi, empressé J’étire mon angoisse d’orpheline Je te confie les commandes de mes soubresauts Cambrure nue Mes jambes ramassées Union des jointures Mes bras formant l’étau Tu peux ainsi me couvrir Toute entière Plonger les mains Quitter les rivières tristes Rapporter l’écho dans la poitrine Réciter la fable Conjuguer la longueur de nos flancs Barque sur l’océan

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