le ciel mourant
veut emmener les nuages
dans son sillage
le fleuve au ralenti
dans l'estuaire du soir
rêve de flamber lui aussi
mais l'eau alanguie
se ternit de gris
déjà les rives sombres
gomment la lumière
seul un triste rose adouci
va tomber dans la nuit
quelle vie sourd encore
sous la vase du jour
comment croire à la puissante tempête
qui soulèverait les flots et les vents
bien au-dessus des ponts et des quais
bien au-dessus de la ligne noire
des forêts
Photo par Ian Cylkowski
Arnside, Cumbria, Summer, licence CC BY-NC-SA 4.0
#photo #poésie
je suis la barque insolente
qui ne veut pas être à flot
je suis la barque qui se braque
je me tiens sur le bord sans redouter la pente
je veux rester amarrée au quai de pierre grise
pour résister encore à la marée montante
dont l'eau à l'éclat trompeur
cette flaque indécise et trop lente
couvre la vase gluante
et sa puanteur
ni beau navire ni bateau ivre
je suis la barque en bois sans ambition
je méprise le large et je hais l'horizon
Photo par @Azna@framapiaf.org, licence CC BY-ND
#poésie #photo
une mort grise
descend du ciel
sur la colline
le village fantôme
dévoré de forêts
dresse au jour assourdi
ses ossements livides
on aimerait croire
qu'un maigre ruisseau
au creux du vallon
fait couler la vie
Photo par Gilles Le Corre
« le village de R. sur sa butte et presque dans les nuages, 14 Juin 2023 09h55 »
Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP
#photo #poésie
pylône épuisé
au bout des câbles incliné
dans sa solitude
l'autre silhouette s'éloigne
vers l'ombre mince des fleurs
#poésie #tanka photo ©Thadeus
cantique des crevasses
crevasses dans la terre sèche
si larges que la poussière sous nos pas
ne les comblera jamais assez
crevasses dans nos mains
entaillées de lignes si confuses
que plus personne n’y peut déchiffrer
le moindre destin
crevasses dans nos bouches suffocantes
lèvres béantes gercées de rage
qui saignent sous la morsure
de nos dents furieuses
crevasses de nos paroles
trous trop pleins de mots
dans le chaos burlesque
de nos propos
et toi crevasse dans la nuit du cosmos
ton vertige sans bornes
déchiré d'une traînée d'étoiles blêmes
ouvre les pans d'un immense néant
l'orchis lance sa hampe au plus haut
flèche traçante de fusée d'artifice
chargée de dizaines de graines explosives
saluée par autant d'étoiles bleues et vertes du genévrier
puissant élan de la jeunesse
qui propulse à la verticale
tous les destins possibles
quelle tige unique
saura opposer la vie de ses fleurs blanches
à la rage des vents
aux ciseaux glacés de la grêle
quelle orgueilleuse trajectoire
saura résister au temps
seules le sauront plus tard
les baies noires du buisson
Photo par Gilles Le Corre
« Orchis de bouc poussant au pied d'un jeune genièvre ». Juin 2023
Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP
#photo #poésie
il penche
il marche en vacillant un peu
il penche côté gauche
puis il avance
il hésite au pas suivant
puis avance encore
la passerelle
qu'on appelle dans la ville le pont de fil
mais ce sont d'épais câbles en acier
qui le tiennent suspendu
la passerelle est longue
au-dessus des deux bras du fleuve
qu'une grande île allongée sépare
la passerelle est longue à qui marche avec peine
il marche il vacille un peu
puis s'arrête et s'allume une cigarette
il regarde le fleuve en bas
les faibles eaux qui passent
il regarde au loin là-bas
du côté de l'autre pont
le fleuve qui coule sage
entre d'énormes
arches de pierre
il avance encore sur la passerelle
il ne sait pas vers où il marche
ni s'il atteindra l'autre rive
il a quitté au matin
l’hébergement d'urgence
il marche en vacillant un peu
à chaque pas il penche
choses vues du
#vendredimanche
digne
à pas comptés
le long des fraisiers
le chat s'avance
pas une patte ne touche
la moindre feuille
exactement à l'endroit choisi
posé sur son séant
il regarde ailleurs
très digne en chiant
quelques coups de griffe
dans la terre molle
suffiront à ses yeux
pour masquer son étron
choses vues du
#vendredimanche
je veux
une rivière sans bord
pour dormir dans son lit
je veux
une nuit lourde
de vagues longues
mais pas l'ennui
de l'insomnie
je veux
l'instant volé
la porte entrouverte
sur un oiseau léger
et la lune montante
je veux frémir et me réjouir
plonger de rire et pleurer aussi
je veux la lumière d'un autre jour
#poésie #JeVeux
nous sommes
mince ruisseau
eau vive à peine
faible miroir
bien peu de fond
eau venue de nulle part
qui semble aller au hasard
mais nous savons où est la pente
où pouvoir disparaître
ni ronflement de torrent
ni fracas de déversoir
le ruisseau ne chante pas
il chuinte et marmonne
glousse et pépie
entre ses bords sans écho
au fil de l'eau notre filet de voix
nous sommes
eau ridée d'un lent tourbillon
qui longuement rêve en rond
avant de partir invisible
vers une autre courbe
dans l'ombre d'une branche basse
qui frôle sa surface
mince ruisseau
faible miroir
bien peu de fond
25 avril 2024
#nousSommes
pour @Vesper
on nous trouve partout
nous sommes des cailloux
cailloux du chemin des chantiers
des talus des remblais
du fond du ruisseau et du bas du muret
à demi enfoncés dans la boue du sentier
nous sommes des cailloux
cailloux gris cailloux blancs
parfois noirs ou brillants de mica éclatant
ternes le plus souvent
sans même une couleur
inertes et discrets
nous glissons sous le pied
aussitôt oubliés
nul ne se souvient
des rochers monstrueux
à l'orgueil vaincu
par la patience rongeuse des milliers d'années
jusqu'à n'être plus que nous
humbles cailloux
ignorés du monde
seuls nous regardent les yeux qui savent
inventer pour nous un destin de caillou
#nousSommes #poème