Train de longue attente
        (une allégorie facile)
le train de longue attente
rapidement s'allonge
on avance prudent
dans l'allée un peu étroite
surtout ne pas
déranger les gens
on hésite
d'un pas au suivant
à cause du léger roulis
on marche lentement
à cent soixante à l'heure
Les arrêts ne durent guère
on n'a pas le temps d'y penser
personne sur le quai encombré
n'attendait vraiment
bien avant d'arriver à destination
on s'est tout à fait endormi
pourquoi tout ce trajet
déjà on oublie
on laisse aller la nuit
 
	
	

                pour maiwann
Indifférents aux rafales du vent furieux
qui mettent l'herbe en feu
Les rochers obstinés et confiants
attendent
Photo par @IanCykowski@photog.social, licence CC BY-NC-SA 4.0
 
	
	

la lumière captée par les troncs
trace à la craie blanche
le contour des rochers sombres
les minces branches et les ronces
frisent électriques et résistent
à l'ombre du soir
au plus obscur de nos jours
des filaments de vie
luttent contre la nuit qui vient
Photo par Gilles Le Corre
« fin de journée dans la forêt – 24 juin 2023 »
Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP
#photo #poésie
 
	
	
 
le ciel mourant
veut emmener les nuages
dans son sillage
le fleuve au ralenti
dans l'estuaire du soir
rêve de flamber lui aussi
mais l'eau alanguie
se ternit de gris
déjà les rives sombres
gomment la lumière
seul un triste rose adouci
va tomber dans la nuit
quelle vie sourd encore
sous la vase du jour
comment croire à la puissante tempête
qui soulèverait les flots et les vents
bien au-dessus des ponts et des quais
bien au-dessus de la ligne noire
des forêts
 
 
Photo par Ian Cylkowski
Arnside, Cumbria, Summer, licence CC BY-NC-SA 4.0
#photo #poésie
 
	
	

je suis la barque insolente
qui ne veut pas être à flot
je suis la barque qui se braque
je me tiens sur le bord sans redouter la pente
je veux rester amarrée au quai de pierre grise
pour résister encore à la marée montante
dont l'eau à l'éclat trompeur
                    cette flaque indécise et trop lente
couvre la vase gluante
                     et sa puanteur
ni beau navire ni bateau ivre
je suis la barque en bois sans ambition
je méprise le large et je hais l'horizon
Photo par @Azna@framapiaf.org, licence CC BY-ND
#poésie  #photo
 
	
	

une mort grise
descend du ciel
sur la colline
le village fantôme
dévoré de forêts
dresse au jour assourdi
ses ossements livides
on aimerait croire
qu'un maigre ruisseau
au creux du vallon
fait couler la vie
Photo par Gilles Le Corre
« le village de R. sur sa butte et presque dans les nuages, 14 Juin 2023 09h55 »
Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP
#photo #poésie
 
	
	

        pylône épuisé
     au bout des câbles incliné
dans sa solitude
l'autre silhouette s'éloigne
       vers l'ombre mince des fleurs
#poésie #tanka                           photo ©Thadeus
 
	
	
cantique des crevasses
crevasses dans la terre sèche
si larges que la poussière sous nos pas
ne les comblera jamais assez
crevasses dans nos mains
entaillées de lignes si confuses
que plus personne n’y peut déchiffrer
le moindre destin
crevasses dans nos bouches suffocantes
lèvres béantes gercées de rage
qui saignent sous la morsure
de nos dents furieuses
crevasses de nos paroles
trous trop pleins de mots
dans le chaos burlesque
de nos propos
et toi crevasse dans la nuit du cosmos
ton vertige sans bornes
déchiré d'une traînée d'étoiles blêmes
ouvre les pans d'un immense néant
 
	
	

l'orchis lance sa hampe au plus haut
flèche traçante de fusée d'artifice
    chargée de dizaines de graines explosives
    saluée par autant d'étoiles bleues et vertes du genévrier
puissant élan de la jeunesse
qui propulse à la verticale
tous les destins possibles
quelle tige unique
saura opposer la vie de ses fleurs blanches
    à la rage des vents
    aux ciseaux glacés de la grêle
quelle orgueilleuse trajectoire
saura résister au temps
seules le sauront plus tard
les baies noires du buisson
Photo par Gilles Le Corre
« Orchis de bouc poussant au pied d'un jeune genièvre ». Juin 2023
Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP
#photo #poésie
 
	
	
il penche
il marche en vacillant un peu
il penche côté gauche
puis il avance
il hésite au pas suivant
puis avance encore
la passerelle
    qu'on appelle dans la ville le pont de fil
    mais ce sont d'épais câbles en acier
    qui le tiennent suspendu
la passerelle est longue
    au-dessus des deux bras du fleuve
    qu'une grande île allongée sépare
la passerelle est longue à qui marche avec peine
il marche il vacille un peu
puis s'arrête et s'allume une cigarette
il regarde le fleuve en bas
les faibles eaux qui passent
il regarde au loin là-bas
du côté de l'autre pont
le fleuve qui coule sage
entre d'énormes
arches de pierre
il avance encore sur la passerelle
il ne sait pas vers où il marche
ni s'il atteindra l'autre rive
il a quitté au matin
l’hébergement d'urgence
il marche en vacillant un peu
à chaque pas il penche
choses vues du
#vendredimanche