Grégory Roose

Journal

Pendant l’enfance, les jours défilent ainsi que des semaines. Le temps s’écoule lentement et tout paraît durer une éternité. Nous voulons grandir au plus vite, pour faire comme les grands. Puis, vient le temps de l’adolescence, période où l’on veut grandir encore plus rapidement pour quitter cette chrysalide incommodante et enfin, devenir adulte. Une fois cet âge atteint, les souvenirs d’insouciance ressurgissent et servent de refuge au temps qui s’accélère. Nous traversons alors le gué de notre existence, donnons parfois la vie pour qui nous sacrifions la nôtre. Et quand ce bonheur est inaccessible, nous offrons tout notre amour à nos proches. Le temps s’accélère de plus belle et chaque mois s’écoule à une vitesse insaisissable.

Lorsque sonne l’heure de la retraite, c’est l’automne qui frappe à la porte. L’hiver est en ligne de mire et on l’espère long et doux, pour nous-même et pour ceux qui nous entourent. Mais parfois, la vie s’achève brutalement avant que ne tombent les premiers flocons. Alors, on quitte ce monde sans dire un mot, laissant derrière soi des graines de bonheur qui finiront par éclore, dans les sillons profonds du chagrin.

C’est ainsi que tu nous as quitté. Trente ans après être entré plus intensément dans notre vie. Je sais que tu lisais souvent mes textes et j’espère, de là où tu te trouves, que tu liras ces lignes pour comprendre à quel point tu nous manques et à quel point nous t’aimons.

#Journal, par Grégory Roose

Le 20 avril 1968, un homme politique anglais, Enoch Powell, monta à la tribune pour prononcer un discours qui deviendra historique. Son courage lui vaudra d'être mis au ban de la vie politique. Ce texte prophétique est traduit en français et reproduit ici dans son intégralité.

La fonction suprême de l homme d état est de protéger la société de malheurs prévisibles. Il rencontre dans cette tâche des obstacles profondément ancrés dans la nature humaine. L'un d'entre eux est qu'il est d'évidence impossible de démontrer la réalité d'un péril avant qu'il ne survienne : à chaque étape de la progression d'un danger supposé, le doute et débat sont possibles sur son caractère réel ou imaginaire. Ces dangers sont en outre l objet de bien peu d'attention en comparaison des problèmes quotidiens, qui sont eux incontestables et pressants : d'où l irrésistible tentation pour toute politique de se préoccuper du présent immédiat au détriment de l'avenir.

Par-dessus tout, nous avons également tendance à confondre la prédiction d'un problème avec l'origine de ce problème, ou même avec le fauteur de trouble : «Si seulement,» aimons-nous à penser, «si seulement personne n'en parlait, sans doute rien de tout cela n'arriverait» Cette habitude remonte peut-être à la croyance primitive que le mot et la chose, le nom et l'objet, sont identiques. Dans tous les cas, l'évocation des périls à venir, graves mais évitables (si l'on s attache à les résoudre), est la tâche la plus impopulaire de l'homme politique. La plus nécessaire aussi. Les hommes politiques qui s'y soustraient en connaissance de cause méritent et reçoivent d'ailleurs fréquemment les critiques de leurs successeurs. Il y a 1 à 2 semaines, je discutais dans ma circonscription avec un homme d'une quarantaine d'années qui travaille dans l'une de nos entreprises nationalisées. Après quelques mots sur la pluie et le beau temps, il me dit soudainement : «Si j'avais les moyens, je quitterais le pays.» Je lui fis quelques reproches, lui faisant remarquer que le gouvernement actuel ne durerait pas éternellement. Mais il n'y prêta pas attention et poursuivit : «J'ai trois enfants. Ils ont tous le bac [grammar school], deux d'entre eux sont mariés et ont une famille. Mais je ne serais heureux que lorsque je les aurais tous vu partir à l'étranger. Dans ce pays, dans 15 à 20 ans, les noirs domineront les blancs.»

J'entends déjà les cris d'orfraie. Comment puis-je dire une chose aussi horrible? Comment puis-je jeter le trouble et déchaîner les passions en relatant une telle conversation? Ma réponse est que je n'ai pas le droit de ne pas le faire. Dans ma propre ville, au grand jour, un brave et honnête compatriote me dit à moi, son député, qu'il ne fera pas bon vivre dans son pays pour ses propres enfants. Je n'ai tout simplement pas le droit de hausser les épaules et de passer à autre chose. Ce que dit cet homme, des milliers, des centaines de milliers de gens le pensent et le disent. Peut-être pas dans tout le pays, mais partout où s'opère la transformation radicale à laquelle nous assistons aujourd'hui, et qui n'a aucun parallèle connu dans l'histoire. Sur la lancée actuelle, dans 15 ou 20 ans, il y aura en Grande-Bretagne, en comptant les descendants, 3 millions et demi d' immigrés du Commonwealth. Ce chiffre n'est pas de moi : c'est l évaluation officielle donnée au Parlement par les bureaux de l'état-civil. Il n y a pas de prévision officielle semblable pour l'an 2000, mais le chiffre avoisinera les 5 à 7 millions, soit environ un dixième de la population, quasiment l équivalent de l'agglomération londonienne. Cette population ne sera bien sûr pas uniformément répartie du nord au sud et de l'est à l ouest. Dans toute l Angleterre, des régions entières, des villes, des quartiers, seront entièrement peuplés par des populations immigrées ou d'origine immigrée. Avec le temps, la proportion des descendants d'immigrés nés en Angleterre, et donc arrivés ici comme nous, augmentera rapidement.

Par-dessus tout, nous avons également tendance à confondre la prédiction d'un problème avec l'origine de ce problème, ou même avec le fauteur de trouble

Dès 1985, ceux nés en Angleterre [par rapport à ceux nés à l'étranger] seront la majorité. C'est cette situation qui demande d'agir avec la plus extrême urgence, et de prendre des mesures qui, pour un homme politique, sont parmi les plus difficiles à prendre, car ces décisions délicates sont à considérer dans le présent, alors que les dangers à écarter, ou à minimiser, ne se présenteront qu'aux élus des futures générations. Lorsqu'un pays est confronté à un tel danger, la première question simple qui se pose est celle-ci : «Comment réduire l'ampleur du phénomène?» Puisqu'on ne peut entièrement l'éviter, peut-on le limiter, sachant qu'il s'agit essentiellement d'un problème numérique? Car en effet, l'arrivée d éléments étrangers dans un pays ou au sein d une population a des conséquences radicalement différente selon que la proportion est de 1% ou 10%. La réponse à cette simple question est d'une égale simplicité : il faut stopper, totalement ou presque, les flux d'immigration entrants et encourager au maximum les flux sortants. Ces deux propositions font partie de la plate-forme officielle du Parti Conservateur. Il est à peine concevable qu en ce moment même, rien qu'à Wolverhampton, de 20 à 30 enfants immigrés supplémentaires arrivent chaque semaine de l'étranger, soit 15 à 20 familles supplémentaires dans 10 ou 20 ans. «Quand les Dieux veulent détruire un peuple, ils commencent par le rendre fou» dit le dicton, et assurément nous devons être fous, littéralement fous à lier, en tant que nation, pour permettre chaque année l'arrivée de millions de personnes à charge et qui seront à l origine de la future augmentation de la population d origine immigrée. J'ai l'impression de regarder ce pays dresser frénétiquement son propre bûcher funéraire. Nous sommes devenus fous au point de permettre à des célibataires d'immigrer ici dans le but de fonder une famille avec des conjoints ou des fiancés qu'ils n'ont jamais vus. Et que personne ne pense que cet afflux de population diminuera de lui-même. Bien au contraire. Même au rythme actuel de admissions par an et par quota, ce chiffre est suffisant pour faire croitre le nombre de personnes à charge de par an, et à l'infini, sans compter l'immense réservoir des liens familiaux existant dans le pays et tout cela sans parler de l'immigration clandestine. Dans de telles circonstances, la seule mesure adaptée est de réduire toute affaire cessante le rythme de l'immigration jusqu'à des chiffres négligeables, et de prendre sans délai le mesures législatives et administratives qui s'imposent.

Nous devons être fous, littéralement fous à lier, en tant que nation, pour permettre chaque année l'arrivée de millions de personnes à charge et qui seront à l origine de la future augmentation de la population d origine immigrée

J'en viens maintenant au retour au pays. Si toute immigration cessait demain, la croissance de la population immigrée ou d'origine immigrée serait substantiellement réduite, mais l'importance numérique de ces populations laisserait inchangée les fondamentaux du danger qui nous préoccupe. Et cet aspect du problème ne peut être traité que lorsqu'une proportion importante des populations immigrées est encore composée de personne arrivées récemment, dans les 10 dernières années. D'où l urgence de mettre en œuvre dès aujourd'hui ce second volet de la politique du parti conservateur : encourager la ré-émigration. Personne n'est en mesure d'estimer le nombre de ceux qui, moyennant une aide généreuse, choisiraient soit de retourner dans leur pays d origine, soit d'aller dans d autres pays désireux de recevoir main d'œuvre et savoir-faire. Personne ne le sait, car jusqu'à présent, aucune politique de cet ordre n'a été mise en œuvre. Tout ce que je puis dire, c'est qu'actuellement encore, des immigrés de ma circonscription viennent me voir de temps à autre, pour me demander de bénéficier d'une aide au retour. Si une telle politique était adoptée et mise en place, avec la détermination que justifie la gravité de la situation, les flux sortants pourraient sensiblement modifier les perspectives d'avenir.

D'où l'urgence de mettre en œuvre dès aujourd'hui ce second volet de la politique du parti conservateur : encourager la ré-émigration.

Le troisième volet de la politique du Parti Conservateur est l égalité de tous devant la loi : l autorité publique ne pratique aucune discrimination et ne fait aucune différence entre les citoyens. Ainsi que M. Heath (leader du parti conservateur) l'a souligné, nous ne voulons pas de citoyens de première ou de seconde classe. Mais cela ne doit pas signifier pour autant qu'un immigré ou ses descendants doivent disposer d'un statut privilégié, ou spécial, ou qu'un citoyen ne soit pas en droit de discriminer qui bon lui semble dans ses affaires privées, ou qu'on lui dicte par la loi ses choix ou sa façon de se comporter. Il n y a pas plus fausse appréciation de la réalité que celle entretenue par les bruyants défenseurs des lois dite contre les discriminations. Que ce soit nos grandes plumes, toutes issues du même moule, parfois des mêmes journaux qui, jour après jour dans les années 30, ont tenté d'aveugler le pays face au péril croissant qu'il nous a fallu affronter par la suite. Ou que ce soit nos évêques calfeutrés en leurs palais à savourer des mets délicats, la tête dissimulée sous les draps. Ces gens sont dans l erreur, dans l'erreur la plus absolue, la plus complète. Le sentiment de discrimination, de dépossession, de haine et d'inquiétude, ce ne sont pas les immigrés qui le ressentent, mais bien ceux qui les accueillent et doivent continuer de le faire. C'est pourquoi voter une telle loi au Parlement, c'est risquer de mettre le feu aux poudres. Le mieux que l'on puisse dire aux tenants et aux défenseurs de cette loi, c'est qu'il ne savent pas ce qu'ils font. Rien n'est plus trompeur que de comparer la situation de l'immigré du Commonwealth (ancien empire britannique) qui arrive en Grande-Bretagne avec celle du noir américain. Les noirs, qui étaient déjà présents avant que les Etats-Unis deviennent une nation, ont d'abord été des esclaves, au vrai sens du terme. Le droit de vote, et d'autres, leurs ont été accordés seulement par la suite, droits qu'ils ne sont parvenus à exercer que peu à peu, et encore incomplètement. L'immigré du Commonwealth lui, est arrivé en Grande-Bretagne comme citoyen à part entière, dans un pays qui ne pratique pas la discrimination, un pays où il obtient immédiatement les mêmes droits que tout le monde, du droit de vote à la gratuité des soins à la Sécurité sociale. Les difficultés rencontrées par les immigrés ne proviennent ni des lois, ni de la politique du gouvernement ou de l administration, mais de leur situation personnelle, et des événements fortuits qui font, et feront toujours, que le destin et l'expérience d'un homme ne sont pas ceux d un autre. Mais donc, alors qu'arriver en Grande-Bretagne signifie pour le migrant accéder à des privilèges et à des facilités ardemment recherchées, l'impact sur la population pré-existante du pays est bien différent.

Pour des raisons qu'ils ne comprennent pas, en application d une décision prise malgré eux, pour laquelle ils ne furent jamais consultés, les habitants de Grande-Bretagne se retrouvent étrangers dans leur propre pays

Pour des raisons qu'ils ne comprennent pas, en application d une décision prise malgré eux, pour laquelle ils ne furent jamais consultés, les habitants de Grande-Bretagne se retrouvent étrangers dans leur propre pays. Leurs femmes ne trouvent pas de lits pour accoucher à l hôpital, leurs enfants n'obtiennent pas de places à l école, leurs foyers, leurs voisins, sont devenus méconnaissables, leurs projets et perspectives d'avenir sont défaits. Sur leur lieu de travail, les employeurs hésitent à appliquer au travailleur immigré les mêmes critères de discipline et de compétence qu au Britannique de souche. Ils commencent à entendre, au fil du temps, des voix chaque jour plus nombreuses qui leur disent qu'ils sont désormais indésirables. Et ils apprennent aujourd'hui qu un privilège à sens unique va être voté au Parlement. Qu'une loi qui ne peut, ni n'est destinée à les protéger ni à répondre à leurs doléances, va être promulguée. Une loi qui donnera à l étranger, au mécontent, à l'agent provocateur, le pouvoir de les clouer au pilori pour des décisions d'ordre privé. Parmi les centaines de lettres que j'ai reçues après m'être exprimé sur ce sujet il y a 2 ou 3 mois, j'ai remarqué une nouveauté frappante, et je la trouve de très mauvaise augure. Les députés ont l'habitude de recevoir des lettres anonymes, mais ce qui me surprend et m'inquiète, c est la forte proportion de gens ordinaires, honnêtes, avisés, qui m'écrivent une lettre souvent sensée, bien écrite, mais qui préfèrent taire leur adresse. Car ils craignent de se compromettre ou d'approuver par écrit les opinions que j'ai exprimées. Ils craignent des poursuites ou des représailles si cela se savait. Ce sentiment d'être une minorité persécutée, sentiment qui progresse parmi la population anglaise dans les régions touchées du pays, est quelque chose d'à peine imaginable pour ceux qui n'en ont pas l'expérience directe. Et je vais donner l'occasion à l'une de ces personne de parler à ma place: «Il y a 8 ans, dans une rue paisible de Wolverhampton, une maison a été vendue à un noir. Aujourd'hui, il ne reste plus dans cette rue qu'une femme blanche, une retraitée, et voici son histoire : cette femme a perdu son mari et ses deux fils, morts à la Guerre. Elle a transformé sa maison de 7 pièces, son seul bien, en chambres à louer. Elle y a mis toute son énergie et elle a bien réussi, remboursant son emprunt et commençant à épargner pour ses vieux jours. Puis des immigrés sont venus s'installer. Avec une appréhension croissante, elle a vu les maisons se faire racheter les unes après les autres. La rue, autrefois paisible, est devenue bruyante et chaotique. Elle a vu à regrets ses locataires Blancs partir un à un. Le lendemain du jour où son dernier locataire est parti, elle a été réveillée à 7 heures du matin par deux hommes Noirs qui, disaient-ils, voulaient utiliser son téléphone pour appeler leur employeur. Elle a refusé, comme elle aurait refusé à n'importe qui à cette heure matinale. Elle a alors été injuriée. Sans la chaîne qui bloquait sa porte, elle a craint d'être agressée. Depuis, des familles d'immigrés ont essayé de lui louer des chambres, mais elle a toujours refusé. Ses petites économies se sont épuisées, et après avoir payé ses impôts, il ne lui reste que 2 livres par semaine. Elle a demandé une réduction d'impôts et a été reçue par une jeune femme qui, voyant qu'elle possédait une maison de 7 pièces, lui a conseillé d'en louer une partie. Quand elle a répondu que les seuls locataires qui se présentaient étaient noirs, la jeune employée lui a répondu : Les préjugés raciaux ne vous mèneront nulle part dans ce pays. Elle est rentrée chez elle. Le téléphone est son seul lien avec l extérieur. Sa famille paye la facture, et l'aide autant qu'elle peut. Des immigrés lui ont proposé d acheter sa maison, pour un montant que les acheteurs potentiels pourraient, en la louant, récupérer en quelques semaines, du moins en quelques mois. Elle a désormais peur de sortir. Ses fenêtres sont cassées. Elle trouve des excréments dans sa boîte aux lettres. Quand elle sort faire ses courses, elle est suivie par de charmants petits noirs, très souriants. Ils ne parlent pas un mot d'anglais, mais il existe un mot qu ils connaissent très bien : «Raciste!» scandent-ils derrière elle. Lorsque cette nouvelle loi sur les relations interraciales sera votée, cette femme est convaincue qu elle ira en prison.

Quand elle sort faire ses courses, elle est suivie par de charmants petits noirs, très souriants. Ils ne parlent pas un mot d'anglais, mais il existe un mot qu ils connaissent très bien : «Raciste!» scandent-ils derrière elle

A-t-elle tort? Je commence moi aussi à me poser la question. L'autre dangereuse chimère de ceux qui sont aveugles aux réalités peut se résumer au mot intégration. Être intégré, c'est ne pas se distinguer, à tous points de vue, des autres membres d'une population. Et de tout temps, des différences physiques évidentes, particulièrement la couleur de la peau, ont rendu l'intégration difficile, bien que possible avec le temps. Parmi les immigrés du Commonwealth venus s'installer ici depuis 15 ans, il existe des dizaines de milliers de personnes qui souhaitent s'intégrer, et tous leurs efforts tendent vers cette objectif. Mais penser qu'un tel désir est présent chez une vaste majorité d immigrés ou chez leurs descendants est une idée extravagante, et dangereuse de surcroît. Nous sommes arrivés à un tournant. Jusqu'à présent, la situation et les différences sociales ont rendu l'idée même d intégration inaccessible : cette intégration, la plupart des immigrées ne l'ont jamais ni conçue ni souhaitée. Leur nombre et leur concentration ont fait que la pression vers l intégration qui s'applique d'habitude aux petites minorités n'a pas fonctionné. Nous assistons aujourd'hui au développement de forces qui s'opposent directement à l'intégration à l'apparition de droits acquis qui maintiennent et accentuent les différences raciales et religieuses, dans le but d exercer une domination, d'abord sur les autres migrants et ensuite sur le reste de la population. Cette ombre, au départ à peine visible, obscurcit rapidement le ciel. Et on la perçoit désormais à Wolverhampton. Elle donne des signes d'expansion rapide. Les mots que je vais citer ne sont pas les miens, je les reprends tels quels de la presse locale du 17 février, ils sont d'un député travailliste, ministre du gouvernement actuel : «Il faut déplorer la campagne menée par la communauté Sikh pour conserver des coutumes inappropriées. Ils travaillent en Grande-Bretagne, et dans la fonction publique qui plus est. Ces personnes doivent accepter les conditions liées à leur emploi. Réclamer des droits particuliers pour leur communauté (ou devraient-ils parler de rites) mène à un dangereux clivage au sein de la société. Ce communautarisme est un chancre : qu il soit revendiqué par un camp ou par un autre, il faut le condamner sévèrement.» Il faut remercier John Stonehouse pour sa lucidité et pour avoir eu le courage d'évoquer le sujet. Le projet de Loi sur les Relations Raciales constitue le terreau idéal pour que ces dangereux éléments de discorde prospèrent. Car voilà bien le moyen de montrer aux communautés d'immigrants comment s'organiser et soutenir leurs membres, comment faire campagne contre leurs concitoyens, comment intimider et dominer les autres grâce aux moyens juridiques que les ignorants et les mal-informés leur ont fourni.

Je contemple l'avenir et je suis rempli d effroi. Comme les Romains, je vois confusément «le Tibre écumant de sang». Ce phénomène tragique et insoluble, nous l'observons déjà avec horreur outre-atlantique, mais alors qu'il est intimement lié là-bas à l'histoire de l Amérique, il s'installe chez nous de notre propre volonté, et par notre négligence. Il est déjà là numériquement parlant, il aura atteint les proportions américaines bien avant la fin du siècle. Seule une action résolue et immédiate peut encore l'empêcher. Je ne sais si la volonté populaire exigera ou obtiendra de telles mesures. Mais ce que je sais, c'est que se taire devant cette situation serait une trahison majeure.


#Journal, par Grégory Roose

Le dimanche est propice aux balades en famille, à la flânerie et à la genèse de ces moments précieux qui naissent dans la banalité et s’inscrivent dans la mélancolie alors que leur souvenir se fane. Je me promenais, dimanche dernier, cette pensée greffée au cœur, entouré des miens. Nous nous baladions dans les trop rares allées du salon du livre de Digne-les-Bains, dans les Alpes de Haute-Provence, le premier du genre et peut-être d’une longue série. Trente exposants, parfois de renom, attendaient leurs lecteurs, fidèles, volages ou à venir, tandis que mes enfants dévoraient du regard chaque livre qu’ils rencontraient sur leur passage. C’est déjà une victoire qu’ils ne soient pas indifférents à la lecture et c’est une satisfaction qu’ils ne sachent s’en passer. Naturellement, nous leur avons offert quelques livres qu’ils s’empressèrent de découvrir le soir même.

L’adolescence apportera son lot de désinvolture et de remises en question, mais je crois que la graine étant plantée, cet amour de la lecture ne les quittera jamais vraiment.

Faites lire vos enfants. C’est le seul véritable Sésame vers la liberté.


#Journal, par Grégory Roose

A bien y réfléchir, je suis un produit de cette France périphérique décrite en 2014 par le géographe Christophe Guilluy : ni tout à fait urbain, ni banlieusard, ni tout à fait de la campagne. Je suis né déraciné, dans le ventre mou de la France déclassée, produit de la standardisation des lieux, de l’habitus, du goût, de l’identité, des vieilles chansons que l’on n’avait oubliées, de la terre abreuvée du sang de nos ancêtres tapissée de temples de la consommation, de l’école à la dérive, de la défrancisation des noms et des prénoms, du cloaque mondial et de la tiers-mondisation.

C’est à la campagne que j’ai pris racine, dans cette France profonde où l’Homme et la terre ne font qu’un. C’est à la campagne que j’ai trouvé refuge, fuyant le creuset putride des villes-monde qui n’offrent comme perspective que l’illusion macabre de l’unité dans la diversité.


#Journal, par Grégory Roose

Les églogues sont un genre littéraire qui trouve ses origines dans la poésie pastorale de l'Antiquité, en particulier dans les œuvres de Théocrite, un poète grec du IIIe siècle av. J.-C. Ce sont généralement des poèmes courts qui mettent en scène des bergers ou des personnages ruraux dans des environnements champêtres et idylliques. Au fil du temps, le genre des églogues a été repris et adapté par différents poètes à travers les époques, donnant lieu à une variété d'interprétations et de styles. Par exemple, l'écrivain latin Virgile a écrit des églogues dans son recueil Les Bucoliques, où il aborde des thèmes similaires tout en y insérant des éléments politiques et sociaux de son époque.

Dans [Ô : églogues libres](https://www.amazon.fr/dp/B0CFX64JJ6?ref=pe3052080397514860)_, j’ai voulu revisiter ce genre oublié que j’ai découvert en lisant Renaud Camus, à qui je dédie ce petit livre. Camus a fait renaître et « dériver complètement ce genre littéraire pour produire des textes mystérieux, où il semble se plonger entièrement dans le plaisir du nom, des noms », commente l’un de ses plus proches exégètes. L'un des éléments caractéristiques des églogues est l’utilisation d'un langage poétique et imagé, ainsi que la création d'un cadre bucolique, loin des soucis de la vie urbaine et souvent en contraste avec celle-ci.

Par dérogation à l’orthodoxie du genre, j’emmène d’abord le lecteur vers les cimes de mes montagnes bas-alpines, puis le transporte au bord des côtes et dans les affres des abîmes urbains.

Du refuge au cloaque. De la béatitude à la calamité. De la vie vers la mort.

Ô: églogues libres, Grégory Roose, 100 pages, août 2023, éditions Ad Gloriam, 5 euros


#Journal, par Grégory Roose

Je dois me résigner à écrire sous le coup de l'émotion. C'est peut-être la seule chose à préconiser dans cet état d'esprit, alors que toutes les autres sont à proscrire. C'est l'émotion, la compréhension sensible d'une situation dont on est le témoin qui rend possible sa restitution pure et véritable. Surseoir à retranscrire, procrastiner le partage revient à amputer l'histoire de ce qu'elle offre de plus beau: l'intensité de l'instant.

J'ai dans mes carnets d'innombrables moments vécus qui sont des graines d'histoire que je rechigne à retranscrire, car j'en ai perdu l'intensité de l'instant et tout ce qu'il comporte en sensibilité.

Je pense que mes meilleures histoires sont celles que j'ai écrites sous le coup de l'émotion.

Les autres ne peuvent être que des pastiches.


#Journal, par Grégory Roose

Dans la grande loterie de l’Univers, la nature offre à ses enfants ce qu’elle a de meilleur, comme ce qu’elle a de pire. Hommes, femmes, vaches, poules, criques, falaises, plages, talus, montagnes, forêts, rivières… certains sont d’une beauté enivrantes tandis que d’autres repoussent le regard qui, rarement, ose les effleurer. Je me faisais cette remarque alors que je me laissais naviguer, à bord d’une petite barque motorisée vers une série de grottes, de cirques, de gouffres et de plages à l’ouest d’Albufeira, au sud du Portugal, par une chaude matinée d’été.

Nous avions attendu quelque temps sur la praia de nossa senhora da rocha, à quelques pas des premiers flots. Notre barque se faisait attendre et j’avais pu imaginer à quoi ressemblerait notre périple d’une heure quinze à la rencontre, furtive, de vingt deux sites touristiques. Nous aurions préféré n’en goûter qu’une seule, mais l’offre commerciale était sévèrement orientée vers le rendement et le gavage de sorte que nous nous sommes retrouvés, quelques minutes après avoir quitté la baie, dans un embouteillage de rafiots de toutes les espèces. Des kayaks de mer obstruaient l’entrée de la première grotte, d’aspect pourtant quelconque, suivis de près par un ou deux scooters des mers. D’autres petits bateaux, identiques au nôtre, attendaient sagement leur tour au fur et à mesure que leurs semblables quittaient l’engouffrement, après quelques secondes d'observation. De plus gros navires touristiques, de la forme miniature de ces yachts pour célébrités, étaient loués à l’heure pour donner à leur client, qui déboursaient un demi SMIC pour s’offrir cet ersatz d’indécence, l’impression d’être importants. Personne autour d’eux, pourtant à bord de vulgaires barques en bois, n’avait pu s’empêcher d’esquisser un sourire moqueur, alors que l’une des passagères de cette embarcation dansait les bras en l’air sur fond de musique techno, en voyant en lettre d’argent l'inscription « rent me » sur le yacht en question.

Autour de nous demeuraient des centaines de badauds impassibles, flottant devant l’entrée de la grotte en attendant leur tour, comme ils le font, le restant de l’année, devant le feu rouge qui rechigne à devenir vert. Nous avons découvert, au cours de cette petite balade toute sorte de formation géologique. Des cavités ocres, bordées de sable blanc, surplombant des eaux cristallines, de jolies criques qui se succèdent, rendant quelconque la précédente. Enfin, ce qui nous intéresse ici, de sombres gouffres, humides et frais, qui n’ont rien d’autre à offrir que l’angoisse dans l'obscurité.

Nous avons pénétré l’un d'eux, offert aux touristes en toute fin de circuit pour agrémenter artificiellement la promesse commerciale, l’un de ces trous béants, creusant la falaise ocre. Ses parois, visibles de loin, étaient recouvertes de toute part d’une pommade noirâtre, parfois verte, dont la seule odeur intimait le promeneur de rebrousser chemin. Nous y pénétrions pourtant, d’abord curieux et surpris par le contraste qu’offrait ce site lugubre dans cette succession de formes paradisiaques. Je sentais le souffle des profondeurs m’agripper le visage tandis que nous nous enfoncions dans l’obscurité de la cavité. Le raffut des rafiots qui s'agitaient à l'entrée s'étouffait lentement. Un silence de mort s'installait à bord de notre barque, tranchant avec l'agitation contemplative qui y régnait depuis notre départ de la plage. Nous avancions doucement dans la pénombre, apercevant difficilement un petite plage noire qui tutoyait les vagues au fin fond de la grotte. Nous entendîmes le clapotis des vaguelettes contre les parois et, loin dans ces profondeurs, le vacarme discret des vagues énergiques qui s'écrasaient dans les ténèbres absolues. Notre barque interrompit sa lente progression dans la bouche affamée de la falaise, nous laissant contempler ce qui ne devait pas l’être. Nous étions en face à face avec Les profondeurs de notre âme. La fraîcheur devenait glaçante et la pénombre aveuglante. Nous n’entendions rien d’autre que le chaos de notre être, seuls dans de ce monstre calcaire. Sous nos pieds, quelques centimètres d’eau qui paraissaient d’interminables abîmes. Nos peurs les plus primales surgissaient sans contrôle, provoquant quelques cris étouffés et gestes brusques desquels surgissait la honte. La barque tournoya lentement vers le tunnel de lumière par lequel nous étions entrés. Le cabotage arrivait à son terme.

Je suis de retour sur la plage de sable fin, irradié par la fin du jour. Je me souviendrai toute ma vie de cette grotte noire, recalée des cartes postales, et oublierai sans doute la beauté parfaite de toutes les autres.


#Journal, par Grégory Roose


Stains, jeudi 19 août 1943

Raid du 16 août 1943

L’on m'avait fait savoir que je pouvais me joindre au cortège officiel des funérailles nationales en l'honneur des victimes du dernier raid le 16 courant sur le Bourget, Drancy, Stains et Dugny… J’ai voulu y assister librement parmi la foule, afin d'avoir une idée plus nette de tout cet apparat et écouter les réflexions des gens qui s'y trouvaient. J’ai entendu des phrases comme celle-ci: « on aurait pu éviter cette hécatombe en évacuant plus tôt de Dugny ». « Lors des bombardements de juin 40, ils ont fait moins de cas des civils tués ». « Les Italiens en ont bien tué davantage sur les routes pendant l'exode ». « Ce qui me console, c'est qu'il y en a plus de [texte absent]. « Ils loupent les usines, détruisent les maisons d'habitation et tuent les occupants ». « Pourquoi ne bombardent-t-ils indistinctement Citroën et Renault ? ». « J'ai remarqué qu'ils sont descendus très bas pour jeter leurs bombes » etc. etc. Tout cela était dit à haute voix et les agents du service d'ordre écoutaient impassibles. J’ai pu me rendre compte que les collaborationistes sont rares ici. Vers 9h20, messieurs René Bouffet, préfet de la scène, (Amedée, note du copieur) Bussière, préfet de police et leurs escortes sont arrivés dans le somptueuse automobile devant le monument aux morts où les attendaient Messieurs (Edmond, NCD) Podeur, maire de Stains et quelques conseillers municipaux qui n'ont été mandatés par personne, puisque c'est le préfet qui les a désignés, faisant fi du suffrage universel. Gaston Christol, auteur présumé du texte, et ancien combattant 14-18 et conseiller municipal de Stains

Clément, maire de Dugny et quelques conseillers municipaux de cette commune. Le cardinal (Emmanuel, ndc) Suhard qui a trouvé le moyen d'arriver 5 minutes après l'heure prévue et reçu par le curé de Stains qui lui baise avec humilité et très cérémonieusement l'anneau pontificale et il se dirige tous vers la belle allée où l'on adresser sur un hôtel, à droite et à gauche 78 cercueils y sont exposés. La cérémonie religieuse terminée, le cardinal et sa suite, les deux préfets et leurs escortes se défilent promptement. Le curé de Stains, celui de Dugny et les maires de ces deux communes continuent à honorer la cérémonie de leur présence. Ainsi, Pierre Laval, qui a assisté à l'enterrement de Léon brochet, ancien maire de Stains, qui a été élu député par quelques idiots de mon genre et peut-être quelques victimes de ce raid, qui est encore maire d'Aubervilliers, chef-lieu de canton des communes sinistrées et présidentes du conseil, ne sait pas même dérangé ! Il a tout simplement envoyé un délégué et une couronne ! Pas un seul discours n'a été prononcé et l'on avait l'intuition que les officiels avaient hâte de s'en aller. Je ne leur fais pas mon grief d'être resté muet, au contraire, puisque les discours officiels sont souvent ahurissants ou bénins et ne signifient pas grand-chose, mais nous sommes tellement accoutumés au palabre que l'assistance s'était réellement étonné de ce mutisme.

Au cimetière, 21 cercueil non identifié ont été amenés directement et mis dans la fosse commune avec les autres identifié, soit en tout 60 cercueils qui sont peut-être les restes d'une centaine d'humains, puisque sur la plupart porte une inscription à la craie :

débris – ne pas ouvrir

Sur un autre :

débris – un homme/une femme

Est-ce par économie de cercueil ou machinalement que l'on a réuni deux êtres de sexes différents dans la mort et n'ayant vraisemblablement aucun lien de parenté ? Pendant la guerre 14-18, j'en ai vu bien d'autres et ne suis nullement coupeur d'un cheveu en quatre, mais dans certains cas, lorsque c'est possible, il convient de mettre un peu plus de forme, de protocole et ne pas procéder à une telle désinvolture.

Parmi les victimes de Stains, il en est une qui mérite une mention spéciale en raison du dérèglement de sa vie et... Elle est mariée avec Monsieur Diebold, qui est paraît-il, ouvrier en Allemagne. Dans notre commune et aux environs, elle était simplement connue et désignée vont le prénom de Rachel. Pendant que j'étais conseiller municipal et trésorier de la commission des fêtes, je la vis pour la première fois, au couronnement de la Rosière. C'était une ravissante brune aux yeux expressifs, correctement à la mode de l'époque et s'exprimer parfaitement sans la moindre extravagance. Avec beaucoup d'astuces, elle s'approcha de moi et me certifiant avoir égaré son invitation, me pria gentiment de l'introduire dans la salle de réception, ce que je vis volontiers, mais failli regretter par la suite... Elle fut d'abord très convenable, mais après la Lunel, elle trinquait avec désinvolture à tout bout de champ et vis des systématiquement tous les verres qu'elle pouvait atteindre. Aujourd'hui, personne ne suit le corbillard qui la porte au cimetière. Elle est la seule identifiée n'ayant aucune couronne, ni la moindre fleur. Quelle déchéance. La dernière fois que je la vis, en prenant l'autobus au barrage, elle était ivre morte, sale et tellement vieillie que je ne l'avais pas reconnu au premier abord. Pauvre et faible Humanité !


Texte anonyme attribué à Gaston Christol (1886-1982) sur la base d’un document manuscrit découvert en 2024 dans un livre de sa collection personnelle.


#Journal, par Grégory Roose