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Retour d'expérience concernant le navigateur web Brave

đŸ‡«đŸ‡· – mardi 23 aoĂ»t 2022

Mots clés : #Brave, #privacy, #ViePrivée, #web, #cryptomonnaies

Un peu de contexte

En 2016 Brendan Eich (créateur de JavaScript, cofondateur de la Mozilla Foundation, cocréateur du langage de programmation Rust) lançait son nouveau projet du moment : un navigateur web respectueux de la vie privée et voulant redéfinir le modÚle économique du web bien sclérosé par les capitalismes de la donnée personnelle, de l'attention et de la publicité. En plus de 20 ans d'existence, le web a largement été bouffé par la publicité à tout va, les régies publicitaires sans scrupules, et les piliers du web et du numérique plus généralement : GAFAM, NATU, BATX. Bref, Brendan Eich lança le navigateur web Brave, et en 2017 grùce à une grosse Initial Coin Offering (ICO) le projet du Basic Attention Token démarra.

De mon cÎté, je ne sais plus comment j'en suis arrivé à essayer Brave et à l'utiliser pendant 3 ans, mais je suppose que je devais avoir appris l'existence des Basic Attention Tokens, étant déjà bien calé avec mon Firefox.

AprĂšs environ trois ans d'utilisation, j'aimerai faire un bilan.

Le navigateur web

En soit, je n'ai pas vraiment utilisé d'autres navigateurs que celui-ci depuis un sacré moment. Internet Explorer ? Oublié depuis mes années lycée. Edge ? Jamais touché. Chrome ? Abandonné depuis les premiÚres polémiques avec Google. De temps en temps Chromium, essentiellement Firefox. Presque jamais Safari. TrÚs vaguement Opera. Ainsi il parait un peu hasardeux de comparer Brave à d'autres navigateurs web, je doute qu'il n'y ait aucun article à ce sujet.

Sous le capot, c'est du Chromium. Certes cette base est utilisĂ©e dans d'autres navigateurs (dont Opera, Edge et Vivaldi), mais ça reste du Google / Alphabet derriĂšre, et on finit par centraliser les navigateurs vers une seule solution, qui mĂȘme si elle est open source sous licence BSD 3-Clause appartient Ă  un GAFAM. Bref, ce n'est pas une bonne idĂ©e.

J'ai pu utiliser ce navigateur que ce soit sur ordinateur (essentiellement macOS) que sur smartphone (iOS). En soit, il y a un rĂ©el comfort d'utilisation pour des tĂąches basiques : navigation sur le web, gestion des marque-pages, gestion de l'historique. À savoir pour les dĂ©veloppeurs web, forcĂ©ment Brave pour iOS utilise le framework WebKit d'Apple, tout comme ses concurrents.

L'usage

La publicité embarquée

Mon besoin Ă©tait le suivant : je navigue sur les internets, en voulant un minimum de protection pour ma vie privĂ©e (mes exigences n'Ă©tant pas nĂ©cessairement les mĂȘmes que celles des autres), et en voulant Ă©viter de me bouffer de la publicitĂ© Ă  tout va, tout en profitant des basic attention tokens. Et sans aucun add-on Ă  installer.

Concernant la facilitĂ© d'utilisation, c'est classique, et je n'ai rien Ă  dire de nĂ©gatif Ă  ce sujet et je mets Brave au mĂȘme niveau que ses concurrents (Ă  tort ?). Pour ce qui des publicitĂ©s et des traceurs sur les sites web, je suis satisfait. J'ai pu tester le site web de 20 Minutes, choisi arbitrairement, en ayant activĂ© les Brave shields et en les dĂ©sactivant : de maniĂšre propre et transparente les publicitĂ©s disparaissent et des pisteurs sont bloquĂ©s. Pour rappel, supprimer les publicitĂ©s peut vous Ă©viter de perdre votre attention, vous laisse davantage maitres de votre navigation web, et peut aussi rĂ©duire l'impact sur le traffic (moins de contenu tiers Ă  tĂ©lĂ©charger sur votre appareil). Ci-dessous une comparaison avec la page sans les shields activĂ©s, et la page avec ceux-ci activĂ©s.

Page d'accueil du site de news 20 Minutes.fr avec deux encarts publicitaire Page d'accueil du site de news 20 Minutes.fr avec deux encarts publicitaire

La vie privée

Comme évoqué précédemment, les Brave shields permettent de protéger un minimum votre vie privée en agissant sur plusieurs leviers :

  • Le bloquage des traqueurs, balises et publicitĂ©s, avec un mode “agressif” possible
  • Le forçage des requĂȘtes vers HTTPS
  • Le bloquage de scripts (dont du code JavaScript)
  • Le bloquage des captures d'empreintes numĂ©riques
  • Le bloquage des cookies interdomaines

La prise en main est simple au possible, mĂȘme s'il me semble que d'autres navigateurs embarquent par dĂ©faut certains de ces Ă©lĂ©ments. L'interface est simple, intuitive, et permet de voir aussitĂŽt ou presque le rĂ©sultat sur la page donnĂ©e. On accĂšde au panneau de contrĂŽle notamment via l'icĂŽne de la tĂȘte de lion dans la barre de recherche du navigateur, voyez ce panneau ci-dessous.

Panneau de contrÎle des protections proposées par le navigateur web Brave

Si vous voulez en savoir davantage, consultez cet hyperlien sur les privacy shields et celui-ci sur les autres fonctionnalités protectrices de la vie privée.

Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin, les prĂ©fĂ©rences du navigateur proposent bien plus encore. Il est possible de forcer le navigateur web Ă  afficher les pages originelles plutĂŽt que les rendus optimisĂ©s pour les appareils mobiles, rendus gĂ©nĂ©rĂ©s par Google et son projet AMP. On peut aussi dĂ©finir les listes de filtres Ă  appliquer pour bloquer tout ou partie du contenu indĂ©sirable que l'on peut rencontrer au cours de sa navigation ; ces listes pouvant ĂȘtre dĂ©jĂ  proposĂ©es ou dĂ©finies Ă  la main. De mĂȘme, il est possible d'autoriser ou non les intĂ©grations de rĂ©seaux sociaux et de services tiers (Google, Facebook, Twitter et LinkedIn). Et comme beaucoup de ses concurrents, on peut avec Brave dĂ©finir son moteur de recherche par dĂ©faut (dont celui de Brave, Qwant, DuckDuckGo, Startpage, Ecosia et Google). Bref, ce que propose nativement Brave est dĂ©jĂ  pas mal, mĂȘme s'il serait intĂ©ressant de faire une comparaison avec un Tor Browser vanilla ou un Firefox avec des add-ons comme Privacy Badger et NoScript.

Enfin, Brave propose en plus du mode “navigation privĂ©e”, un mode “navigation privĂ©e avec TOR”. On peut ainsi passer par le systĂšme de routage en oignons pour ĂȘtre potentiellement moins pistĂ©s. Toutefois, j'ai dĂ©jĂ  fait la comparaison entre ce mode et le navigateur TOR mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, et j'ai eu davantage de sites web qui plantaient avec Brave qu'avec le navigateur dĂ©diĂ© Ă  l'oignon. De plus, il faudrait regarder si pour ces deux cas le web fingerprinting n'est pas fructueux ; le navigateur Ă  l'oignon va bien dĂ©finir une fenĂȘtre de navigation spĂ©ciale pour fausser ce calcul d'empreinte, mais quid de Brave ? Avec mon pote Seb on avait pu proposer ce sujet lors du CafĂ© Vie PrivĂ©e que l'on avait montĂ© Ă  Lannion en 2018. Le support de prĂ©sentation est d'ailleurs ici.

La publicité proposée

L'un des idéaux de Brave est de proposer autre chose concernant la publicité qui est jusque-là imposée aux usagers du web. Pourquoi devoir subir tous ces encarts publicitaires douteux, sachant que les régies quand ce ne sont pas les géants du web nous pistent pour toujours nous proposer autre chose ? Est-ce que la consommation de ces publicités ne représente pas un travail d'un genre nouveau ?

En 2021 le livre blanc du projet Basic Attention Token fut publié, et les différents chiffres présentés sur le site web basicattentiontoken.org sont intéressants : presque 60 millions d'utilisateurs mensuels du navigateur, plus de 400 annonceurs enregistrés et prÚs de 2 000 campagnes en cours.

De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, durant votre navigation sur le web vous pourrez recevoir sur votre appareil une notification assez classique, mettant en avant tel ou tel produit ou service. En cliquant sur cette notification, vous irez dans un onglet dĂ©diĂ© tout droit vers le contenu publicitaire, et vous serez in fine prorata temporis rĂ©munĂ©rĂ©. Dit autrement, plus vous consommez de pubs de ce genre, plus vous cagnottez en Basic Attention Tokens (BAT). Par la suite, vous percevrez mensuellement une somme de BAT, et c'est reparti pour un autre mois. Bref, on ne vous force pas Ă  voir de la pub, et on vous rĂ©munĂšre au temps passĂ© si vous le faĂźtes. Curieux paradigme rafraĂźchissant dans un systĂšme oĂč le pigeon qui regarde, clic, et achĂšte est le mĂȘme qui se bouffe toutes les pubs.

Que faire alors de ces tokens BAT ? Vous pouvez faire par exemple du staking, i.e. vous les mettez de cĂŽtĂ© en attendant / spĂ©culant sur le fait que ça prenne de la valeur. Bref vous entretenez tout ce cĂŽtĂ© abscons, abjecte et malsain au possible que l'Homme a donnĂ© aux cryptomonnaies : vous spĂ©culez, reproduisant le mĂȘme schĂ©ma qui a Ă©chouĂ© et qui devait ĂȘtre combattu par les premiĂšres cryptomonnaies. L'autre solution est de les convertir en devises “classiques”, mais un bref coup d'oeil aux taux de conversion devrait vous faire comprendre que ces tokens “ne valent pas grand chose”. D'aprĂšs CoinMarketCap, 1 BAT vaut 0,365 dollar amĂ©ricain ou 0,37 euro d'aprĂšs Coinbase. La derniĂšre solution, la plus fidĂšle Ă  la philosophie du projet, est de reverser ces tokens Ă  des crĂ©ateurs de contenus rĂ©fĂ©rencĂ©s chez Brave. La chose est aisĂ©e : via un autre bouton sur la barre de recherche du navigateur, on peut apprendre si le site web consultĂ© est enregistrĂ© auprĂšs de Brave et peut recevoir des tokens. En quelques clics, on envoie mensuellement ou en une seule fois une certaines quantitĂ© de tokens, Brave en retenant un petit pourcentage en guise de frais. D'ailleurs il y a quelques infos sur cette page web concernant les Brave publishers qui publient du contenu. La procĂ©dure est trĂšs rapide, et on peut le faire pour son site web, son profil Twitter et aussi son profil GitHub. Il faudra pour ça avoir un compte dĂ©diĂ© Ă  la gestion de vos cryptoactifs.

Panneau contextuel pour donner des BAT à un site web Panneau contextuel pour présenter le créateur à soutenir

Et finalement ?

Finalement je suis mitigé, car je suis déçu. Au début du projet, les choses étaient simples et faciles, mais je commence à cumuler les frustrations qui me feraient partir de nouveau vers Firefox.

D'une part, les publicités ne m'intéressent pas car elles tournent toujours autours de projets de cryptoactifs, ou de jeux Web3. Et j'ai été amené plusieurs fois sans raison apparante à refaire les réglages des notifications entre les versions macOS et iOS du navigateur. En plus de ça, je note que Brave décide d'aller plus loin en proposant un wallet pour gérer d'autres cryptoactifs, ce qui ne correspond plus à mon besoin initial. Il y a aussi d'autres services qui ne m'intéressent pas, comme le support natif WebTorrent et aussi Widevine (dehors les DRM !).

Puis vinrent les grosses frustrations. Auparavant, les choses se passaient bien sur iOS. Mais gagner des tokens BAT et les envoyer via une app sur un appareil Apple sans accepter leur racket ? Un rĂȘve Ă©veillĂ©. Le coup de grĂące finit par tomber fin 2020, et ça m'a vraiment saoulĂ©. Je continuais tout de mĂȘme de tester sur macOS le systĂšme des Basic Attention Tokens avec un des services wallet proposĂ©s pour gĂ©rer mes BAT, et il s'avĂšre que du jour au lendemain, ma “rĂ©gion” (i.e. le pays du coq au vin et du claquos sur la baguette) n'Ă©tait plus prise en charge ! Expliquez-moi donc comment utiliser un navigateur web qui cumule des tokens sans wallet ? Impossible.

Conclusion

Bref, devant des pubs qui ne me plaisaient pas, sachant que le nouveau paradigme proposĂ© par les BAT ne semble pas vraiment prendre en 6 ans, et que l'on est toujours tributaire des “gros” (Apple et ses rĂšgles, et les lois des pays), j'ai du mal Ă  voir un intĂ©rĂȘt Ă  Brave, alors que j'y ai vraiment cru. Toutefois, ça reste une solution intĂ©ressante pour naviguer tranquillement sur le web sans avoir Ă  installer des extensions et faire trop de configuration. C'est toujours un beau projet, et c'est audacieux. En soit je ne regrette pas du tout d'ĂȘtre passĂ© Ă  ce navigateur web et d'avoir essayĂ© son service basĂ© sur les BAT. Mais quitte Ă  avoir un navigateur web, autant qu'il corresponde davantage Ă  mes besoins, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Bref, Basic Attention Tokens comme Brave et cryptoactifs, je laisse tomber. Mais merci pour ce moment ! En attendant des jours meilleurs, je retourne sur Firefox đŸ”„

D'ailleurs si vous voulez creuser un peu les sujets de l'hygiĂšne numĂ©rique et de la protection de la vie privĂ©e, 3 hyperliens en vrac : – Un article sur l'hygiĂšne numĂ©rique – Un article (en anglais) sur la vie privĂ©e et des outils Ă  avoir pour le numĂ©rique – Le site web du CafĂ© Vie PrivĂ©e de Lannion de 2018

Sortez couverts !

— DerniĂšre mise Ă  jour : mardi 23 mai 2023 PrĂ©cĂ©demment sur paper.wf —

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ÂżLibra, la revoluciĂłn?

đŸ‡«đŸ‡· – mardi 18 juin 2019

Mots clés : #Libra, #Facebook, #cryptomonnaies, #blockchains, #Librem

Ca y est, un nouvel (Ă©niĂšme) acteur dĂ©baroule dans le monde des cryptomonnaies : Facebook avec Libra ! Étant pas mal intĂ©ressĂ© par ce domaine, j’attendais ça depuis un moment. Je ne suis ni expert ni Nakamoto, mais j’ai pas mal d’espoir dans ce genre de projets de barbus. Finalement c’est ce 18 juin que la cryptomonnaie du gĂ©ant du web a Ă©tĂ© annoncĂ©e, 79 ans aprĂšs l’appel du GĂ©nĂ©ral De Gaulle, mais ça n’a rien Ă  voir. Le white-paper et les annonces ont Ă©tĂ© faites, alors regardons tout ça EDIT : Au 14 octobre 2019, PayPal, Visa, Mastercard et eBay font partie des entreprises qui quittent le projet. Plus de dĂ©tails sur cet article de Ars Technica.

0 — Le contexte

Être disruptif, favoriser les Ă©changes financiers, se positionner lĂ  oĂč les banques sont absentes, rĂ©soudre miraculeusement les problĂšmes des cryptomonnaies actuelles qui rencontrent des Ă©cueils concernant leur stabilitĂ© et leur gouvernance. Bon en mĂȘme temps avec Bitcoin et ses forks il faut avouer que l’on est bien servi niveau bordel. Tandis que des opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©communication se lancent dans la banque, d’autres misent sur le Bitcoin (non ce n’est pas cool, oui c’est navrant). Certains comme Deutsche Telekom n’ont pas attendu et ont rejoint Hedera. LĂ  c’est une troisiĂšme option qui arrive, mettre en place une nouvelle cryptomonnaie (tant qu’à faire). Et cerise sur le gĂąteau, court-circuiter les systĂšmes capitalistes des banques usuelles je paraphrase l’introduction du livre blanc). On sent que Libra veut surfer sur la hype des cryptomonnaies avec des valeurs humanistes d’accĂšs Ă  l’argent pour tous avec une gouvernance dĂ©centralisĂ©e etc., enfin bref la mĂȘme philosophie qui a accouchĂ© de Bitcoin. Et peut-ĂȘtre aussi taquiner le cousin Chinois WeChat qui propose des transferts d’argent. Mais on va dĂ©chanter un peu par la suite ;)

1 — Qui derriùre le projet ?

DerriĂšre ce projet se trouve pas mal de monde, et du beau. Par exemple cĂŽtĂ© paiements on retrouve Mastercard, PayPal et PayU. CĂŽtĂ© services il y a eBay, Facebook, Lyft, Spotify, Uber... On peut trouver Ă©galement des opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©communications avec Iliad et Vodafone. Est-ce Ă©tonnant de voir Xavier Niel dĂ©barquer ? Pas vraiment, un bon coup a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© flairĂ©. On retrouve bien entendu des acteurs du monde des blockchains comme Coinbase ou Xapo. Et aussi des ONG et institutions universitaires ! Tout ce beau monde humaniste et dĂ©sintĂ©ressĂ© se regroupe dans l’organisation Ă  but non lucratif The Libra Association basĂ©e... en Suisse​. La monnaie est soutenue par une rĂ©serve d’actifs, dont au moins des dizaines millions de dollars des fondateurs, et ce afin de garder un cours stable. Vu les acteurs en place, on peut supposer avoir bientĂŽt des applications grand public. Vous pouvez avoir la liste exhaustive des acteurs ici, et les conditions Ă  remplir pour prĂ©tendre rejoindre le groupe.

2 — La blockchain

Elle serait lancĂ©e rĂ©ellement au 1er semestre 2020. D’aprĂšs le site web il va falloir se contenter seulement du testnet d’ici lĂ , c’est dĂ©jĂ  un bon dĂ©but pour jouer avec. La blockchain est une blockchain Ă  consortium / Ă  permission donc finalement privĂ©e. Tout le monde ne pourra pas faire tourner des noeud de validation sans accord en amont. Une hĂ©rĂ©sie pour les puristes... Personnellement je perçois ça comme un dĂ©voiement des idĂ©aux initiaux ayant donnĂ© naissance aux 1Ăšres blockchains. Si on centralise chez des acteurs donnĂ©s un systĂšme de cryptoactifs normalement Ă  dĂ©centraliser on n’est pas sorti du sable


Mais attention, Libra aurait pour ambition dans les annĂ©es Ă  venir de basculer en mode sans permission une fois la blockchain et son Ă©cosystĂšme lancĂ©s. La promesse est belle, mais elle n’engage que ceux qui y croient et il faudra ĂȘtre prudent quand Ă  la maitrise des noeuds du rĂ©seau. C’est bien beau d’ouvrir sa blockchain mais si le traffic est monopolisĂ© par les vĂ©tĂ©rans du projet on n’ira pas loin non plus.

On retrouve des promesses de confidentialitĂ© des transactions avec les Ă©volutions du protocole orchestrĂ©es par la Libra Association. Mais les limites arriveront face aux rĂ©glementations en vigueur, dit autrement les lois des pays. Devrait-on s’attendre Ă  une confidentialitĂ© Ă  plusieurs vitesses ? Autant rester sur du Monero pour se prĂ©munir de ces ambiguĂŻtĂ©s.

Le papier est ici.

3 — Les smart contracts

Petit nouveau cĂŽtĂ© programmation, pas de Viper ou de Solidity mais Move comme langage de programmation des smart contracts, fraichement inventĂ© pour renforcer des aspects liĂ©s Ă  la sĂ©curitĂ© de la blockchain et ses smart contracts. Ça peut ĂȘtre intĂ©ressant de dĂ©nicher des benchmarks histoire de voir oĂč les nouveautĂ©s sont. Visiblement il y a une volontĂ© d’avoir un langage de programmation avec des sĂ©curitĂ©s inhĂ©rentes concernant les transactions, les actifs voire la gouvernance. Clairement bien devant Solidity donc.

Les specs sont ici.

4 — Sous le capot

Dans sa conception pas de rĂ©volution visiblement, consensus de type Byzantine Fault Tolerant comme Bitcoin ou Ethereum mais pas d’implĂ©mentation avec du Proof Of Work. En mĂȘme temps ça aurait Ă©tĂ© aberrant d’avoir un consortium pour la validation mais avec du brute force pour obtenir le consensus. LibraBFT se base sur autre chose et visiblement du Proof Of Stake.

Le stockage des donnĂ©es se fait classiquement avec un arbre de Merkle. Par contre l’architecture de la blockchain serait diffĂ©rente :

Contrairement aux blockchains précédentes, dans le cadre desquelles une blockchain est un ensemble de blocs de transactions, la blockchain Libra est une structure unique de données qui enregistre l’historique des transactions et des états au fil du temps

Quelques détails ici.

Peut-on vraiment parler de blockchains finalement, ou ne serait-ce pas qu’un bon coup de marketing bullshit ? Je n’ai pas l’impression que l’architecture de ce registre distribuĂ© ne repose sur des chaĂźnes de blocs(comme Bitcoin, Ethereum, Monero etc) ou sur des graphes orientĂ©s acycliques (comme Hedera avec son Hashgraph ou IOTA avec son Tangle).

5 — Les actifs

Libra disruptif, oui et non. La valeur des tokens ne sortira pas de nul part, et pour assurer une stabilitĂ© (fiable ?) sera basĂ©e sur d’autres valeurs comme indiquĂ© dans le livre blanc : Contrairement à la majorité des cryptomonnaies, la Libra est entièrement garantie par une réserve d’actifs réels. Divers dépôts bancaires et titres gouvernementaux à court terme seront conservés dans la réserve Libra pour chaque Libra créée, afin de renforcer la confiance envers sa valeur intrinsèque.

On peut lire aussi que : [la cryptomonnaie] est soutenue par un rĂ©seau d’échanges concurrentiel pour l’achat et la vente de la Libra.

Si on regarde du cĂŽtĂ© de la rĂ©serve de Libra, il n’y a pas de secrets : apports par les fondateurs et investment tokens d’un cĂŽtĂ©, achat de tokens Libra en monnaies fiduciaires par les utilisateurs de l’autre. Donc oui, le projet tacle les cryptomonnaies actuelles en pointant du doigt leur volatilitĂ© Ă  cause des achats / ventes de tokens par les utilisateurs, mais c’est le mĂȘme principe est utilisĂ© ici (diffĂ©remment).

Dit autrement, on met en place un systĂšme financier alternatif pilotĂ© par un consortium, mais tout de mĂȘme adossĂ© Ă  des valeurs existantes. Libra fait donc du neuf avec du vieux, et se place en concurrent des systĂšmes financiers souverains. Cette solution rĂ©ussira-t-elle lĂ  oĂč d’autres ont Ă©chouĂ© ? Les rĂ©actions des gouvernements pourraient ĂȘtre intĂ©ressantes Ă  suivre.

LĂ  oĂč il faudra ĂȘtre vigilant est la gestion des actifs. Certaines blockchains par essence produisent mĂ©caniquement une quantitĂ© limitĂ©e ou illimitĂ©e de tokens, mais ici la Libra Association s’occupera de la production ou la destruction de ses actifs. On remet donc l’humain et les entreprises au centre des dĂ©cisions. À tort ou Ă  raison ?

6 — Les services

Il faudrait pour le coup regarder du cĂŽtĂ© de Calibra mĂȘme s’il n’y a presque rien Ă  se mettre sous la dent au jour d’aujourd’hui. DerriĂšre ce nom se cache une filiale de Facebook destinĂ©e Ă  garantir la sĂ©paration des donnĂ©es personnelles et financiĂšres, mais aussi pour proposer des services utilisant la Libra. On aurait ici le mĂȘme genre d’outils que MyEtherWallet pour la blockchain Ethereum.

Sauf que quelque chose ne colle pas. Le projet pose clairement que des obligations lĂ©gales existent, notamment pour Ă©viter le blanchiment d’argent ou les fraudes fiscales. Comment pourrait-on alors avec un cloisonnement si parfait pour pouvoir ĂȘtre en rĂšgle lĂ©galement (donc surveiller les Ă©changes financiers) tout en gardant Ă  part les donnĂ©es personnelles (trouver les personnes incriminĂ©es) ? Il y aura nĂ©cessairement Ă  un moment ou un autre des dĂ©pendances entre ces deux ensembles de donnĂ©es. Une confidentialitĂ© pour les uns, mais qui tombent vite pour les autres. Finalement la mĂȘme problĂ©matique que pour les messageries chiffrĂ©es : chiffrement de bout en bout pour les uns, mais backdoors pour les autres.

Bref...

Clairement, moi qui aime le cĂŽtĂ© cypherpunk des cryptomonnaies je suis content de voir un poids lourd dĂ©barquer avec des gros acteurs histoire de mettre un peu plus le bordel. J’espĂšre vraiment que les lignes bougeront dans le bon sens, mĂȘme si je n’attends pas grand chose de Libra. Les idĂ©es sont belles, mais les valeurs initiales des blockchains et cryptomonnaies sont vite abandonnĂ©es.

Par contre, le problĂšme reste le mĂȘme : lĂ  oĂč on centralisait des dĂ©cisions dans des organismes Ă©tatiques on en vient Ă  centraliser dans un consortium. Ne choisirait-on pas ici la peste pour le cholĂ©ra ? Quelles sont les rĂšgles en vigueur au sein de cet ensemble d’acteurs ? Les intĂ©rĂȘts des uns s’arrĂȘteront-ils face aux ambitions des autres ?

Avoir un systĂšme de paiement mondial pour tous, affranchi de presque tout et en dehors des banques fait rĂȘver. Mais Libra n’a pas l’apanage de ça, d’autres cryptomonnaies Ă©taient dĂ©jĂ  lĂ , avec leurs problĂšmes certes. Il faudrait juger les services qui se baseront sur Libra. On pourrait obtenir une rĂ©elle plus-value avec ce projet. Mais on pourrait autant s’enfermer nous-mĂȘmes involontairement dans un systĂšme dĂ©jĂ  verrouillĂ©. Dit autrement, de nouveaux services pourraient arriver attirant de nouveaux utilisateurs / clients. A qui cela profitera-t-il ? Est-ce que sciemment Facebook n’est pas en train d’accroitre sa force de frappe et sa puissance ?

Pour les amateurs de science-fiction et de cyberpunk on commence vraiment Ă  se rapprocher de ces conglomĂ©rats tentaculaires qui sont partout, et souvent ça finit mal. On peut aussi voir les prĂ©misses d’une monnaie commune comme les crĂ©dits universels que l’on retrouve dans un paquet d’oeuvres de SF : une planĂšte, une devise. Et pis c’est tout. Mais on rĂȘve un peu.

Bref c’est sympa, excitant, mais ça a un cĂŽtĂ© faussement punk bon-chic-bon-genre. Pas d’emballement Ă  avoir pour l’instant, on peut dĂ©jĂ  se faire plaisir avec Ethereum et Monero.

Des liens utiles à lire au chaud au pied de sa ferme d’ASIC :

— DerniĂšre mise Ă  jour : mardi 18 juin 2019 PrĂ©cĂ©demment sur Medium et paper.wf —

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