Un blog fusible

pour couper le cirque cuit

la nuit n'est pas la nuit ni même une autre vie

trois lueurs dispersées dans l'ombre qui s'allonge un grand ciel hésitant entre noir et bleu sombre

attendre des étoiles qu'elles vacillent et s'effacent pour atteindre peut-être le sommeil du matin

la nuit n'est pas la nuit pas même un angle mort

il n’y a pas de sommet

sur le chemin de la montagne redresser le dos respirer mieux tête haute

fièrement loin du monde

regarder à la fois au plus haut le bleu mordant et l'humble caillou à ses pieds pour s'envoler sans trébucher

sur le passage étroit entre ravin et paroi les yeux fixés droit devant soi atteindre la faille du rocher si longtemps convoitée où passait aussi le torrent du printemps

arrivé à l'arrondi du mont tout là-haut il n'y pas de sommet il n'y a plus que soi et le vent

on pourrait jeter ses chaussures dans l'espace et ne plus jamais descendre

pourtant la pente appelle

invite à retrouver au creux de la vallée dans le secret de la nuit d'autres monts à gravir  

nous sommes des rues des ruelles des avenues qui s'achèvent en impasses des rocades inutiles des artères solitaires des boulevards désertiques

nous écrivons la ville en creux nous passons sans regrets au ras des façades lisses qui captent le reflet des nuages indifférentes aux monuments orgueilleux dressés vers le ciel

nous taillons de l'espace dans la chair morte du béton

nous lançons sur la ville des voies des carrefours et des passages des trajectoires insolites des lignes de fuite pour partir vers partout

et la vitesse nous traverse  

#noussommes

postface

ma veine temporale a cogné bien régulièrement

paupières closes bouche ouverte un souffle à peine m'a suffi

plein de rien délié de tout je partirai à la renverse traverser une autre rivière

le temps ne me changera pas je serai toujours absent  

pas de côté

agaçant et délicieux d’être ralenti par le pas de côté qu'on fait pour s’effacer quand on se retrouve nez à nez avec une personne inconnue qui a fait un pas de côté pour s’effacer en même temps symétriquement

deux grandes secondes en souriant un même mot d’excuse sans pouvoir avancer vraiment

— à moins de l’entraîner dans un pas de danse et dans un mouvement tournant         l’embrasser ?  

la lumière enragée perce le bois de son feu jusqu'à l'incandescence du volet chauffé à blanc


Photo par Gilles Le Corre Chaleur – Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP juillet 2022


#photo #poésie

autre temps

nostalgie de la boue à mi-bottes des glissades dans la gadoue sous le regard hilare de la mère qui renonce à gronder ses enfants débraillés

souvenir des mots tremblés qui neigeaient en silence sur des boucles brunes et des yeux où se noyer

fin janvier d'autrefois dans la glacière étrange de ma mémoire imaginée  

à Gilles Le Corre

le chasseur de lumières sait qu'il n'y a pas d'heure ni de lieu pour apprivoiser la beauté

espérer les rayons rasants de dix heures du soir en été qui éclatent encore au sommet des collines

saisir un instant noir et blanc la lumière capricieuse et mouvante reflétée par la rivière

surprendre l'éclair de chaleur espérer le souffle de l'orage et la terrible blancheur soudaine de la foudre si près tombée

ne pas éteindre de la nuit le halo de la lampe qui veille sur la page pas encore lue

capter la clarté sereine d'un corps nu en majesté qui impose au monde sa splendide impudeur

retrouver l'autre lumière encore au fond du regard de celle qui partage avec lui les jours et les nuits  

paysage de montagne moyenne, pente verte de végétation  avec quelques barres rocheuses en contre-haut, sous un ciel bleu où passent quelques nuages dans l'angle droit

nous sommes des nuages qui passent en vain nous tentons d'accrocher notre ombre aux buissons aux rochers aux brins d'herbe

sur cette pente pas si douce où les arbres eux-mêmes se penchent nous ne laisserons pas de trace


Photo par Ian Cylkowski sur son blog ©2022 “passing clouds” CC BY-NC-SA 4.0


#photo #poésie #noussommes

le bol renversé tord le reflet de la fenêtre

il engloutit dans sa nuit le dernier éclat d’argent du jour et le dernier sang du couchant

demain peut-être sera livré le pauvre secret de son vide à la journée recommencée

au tintement heureux qui résonne un instant dans le ciel du matin


Photo par Gilles Le Corre Coucher de soleil sur un bol. – Courtesy of © Gilles Le Corre & ADAGP juillet 2022


#photo #poésie