pourvu que la nuit
doucement
nous accompagne
nous aurons mille chemins
pour entendre de nos corps
noyés l'un dans l'autre
les soupirs si longtemps retenus
puis nous irons ensemble
là où je ne sais rien
ni de toi ni de moi
ni du reste du monde
étreindre le sommeil
pourvu que la nuit
doucement
nous abandonne

rêve obscur
où je glisse mon corps
je n'ai peur ni de toi
ni de l'ombre de tes doigts
les mains de la nuit
veillent sur mon sommeil
j'attends leur sombre caresse
Image « Dans ta main » © Rita Renoir & ADAGP
#artwork #dessin #poésie
bas-côtés
le long des routes au tracé obstiné
les fossés parfois profonds
hébergent dans les ronces et les orties
détritus papiers gras et papiers cul
lamentables lambeaux de sachets en plastique
parfois même
entre d'immenses herbes folles
une orchidée sauvage
j'aime les bas-côtés
qui nous rappellent en somme
ce que nous sommes
la nuit n'est pas la nuit
ni même une autre vie
trois lueurs dispersées
dans l'ombre qui s'allonge
un grand ciel hésitant
entre noir et bleu sombre
attendre des étoiles
qu'elles vacillent et s'effacent
pour atteindre peut-être
le sommeil du matin
la nuit n'est pas la nuit
pas même un angle mort
il n’y a pas de sommet
sur le chemin de la montagne
redresser le dos
respirer mieux
tête haute
fièrement loin du monde
regarder à la fois
au plus haut le bleu mordant
et l'humble caillou à ses pieds
pour s'envoler sans trébucher
sur le passage étroit
entre ravin et paroi
les yeux fixés droit devant soi
atteindre la faille du rocher
si longtemps convoitée
où passait aussi
le torrent du printemps
arrivé à l'arrondi du mont
tout là-haut
il n'y pas de sommet
il n'y a plus que soi
et le vent
on pourrait
jeter ses chaussures dans l'espace
et ne plus jamais descendre
pourtant la pente appelle
invite à retrouver au creux de la vallée
dans le secret de la nuit
d'autres monts à gravir
nous sommes des rues des ruelles des avenues
qui s'achèvent en impasses
des rocades inutiles des artères solitaires
des boulevards désertiques
nous écrivons la ville en creux
nous passons sans regrets
au ras des façades lisses qui captent le reflet des nuages
indifférentes aux monuments orgueilleux dressés vers le ciel
nous taillons de l'espace
dans la chair morte du béton
nous lançons sur la ville
des voies des carrefours et des passages
des trajectoires insolites
des lignes de fuite
pour partir vers partout
et la vitesse nous traverse
#noussommes
postface
ma veine temporale
a cogné
bien régulièrement
paupières closes
bouche ouverte
un souffle à peine
m'a suffi
plein de rien délié de tout
je partirai à la renverse
traverser une autre rivière
le temps ne me changera pas
je serai toujours absent
pas de côté
agaçant et délicieux d’être ralenti
par le pas de côté qu'on fait pour s’effacer
quand on se retrouve nez à nez
avec une personne inconnue
qui a fait un pas de côté pour s’effacer
en même temps symétriquement
deux grandes secondes
en souriant un même mot d’excuse
sans pouvoir avancer vraiment
— à moins de l’entraîner
dans un pas de danse
et dans un mouvement tournant
l’embrasser ?
autre temps
nostalgie de la boue à mi-bottes
des glissades dans la gadoue
sous le regard hilare de la mère
qui renonce à gronder
ses enfants débraillés
souvenir des mots tremblés
qui neigeaient en silence
sur des boucles brunes
et des yeux où se noyer
fin janvier d'autrefois
dans la glacière étrange
de ma mémoire imaginée