La beauté du colleur d'affiche à 21h30. Il recouvre un événement par un autre, ses gestes sont précis et rapides, il lance un petit regard par dessus son épaule et je pourrais l'embrasser, pas lui, mais la délicatesse de ses gestes, la beauté des couleurs, la texture de sa salopette et ce regard juste suffisamment dédaigneux. Il n'est pas du côté des gens qui courent après les événements, il les annonce.
Je fais mentalement mon sac à dos.
j'ajoute un à un les éléments qu'il me faut
pour partir dans le lointain
brosse à dents, docs, tee-shirt, deux jeans.
Le lointain n'est pas défini car il n'existe que dans un coin précis de mon cerveau
je connais mieux la carte du monde que celle de mon corps.
le lointain n'est ni pour la tête ni pour le cœur
il est pour les jambes
quelque chose vers lequel tendre
la main ne remplacera jamais la tête
mais le reste du corps peut essayer.
Je ne pardonne, ni m'excuse. Les erreurs sont faites pour être dérivées, je marmonne dans le vent. Ce n'est pas la tangente que j'entrevois, c'est une courbe sous la courbe, espace non euclidien qui ne se voit pas mais se conçoit en plissant les yeux.
Il y a l'absolu de la faute et le relatif de la fuite. Rien ne fuite entre mes lèvres, car quand elles s'ouvrent je glapis. Légions, des armées en masse dans mon esprit. Je ne peux les retenir toutes, elles glissent dans mes yeux. Paupières cousues.
Une lumière diffuse entre dans la pièce. Les rideaux jaunes sont ouverts sur une impasse pavée. Un voisin secoue son tapis de yoga. Nos regards ne se croisent pas. La proximité nous embarrasse. On ne sait pas quoi faire de ces corps un peu trop proches. Entre nous, un grand vide et plusieurs étages. Mais nos visages se touchent presque. Je peux voir ses cernes, je peux voir son tee-shirt lâche et gris. Je peux voir, dans le fond de la pièce, son tapis de yoga neuf. La cour de l'immeuble a disparu, la distance anéantie, dans cet échange de regards en biais.
“Tu sais en hiver, notre corps n'est pas fait pour travailler”.
Je souris en entendant cette remarque, tant elle ne fait écho en rien à ce qu'il se passe à l'intérieur. Mon corps veut travailler. Je ne sens aucune injonction à l'inaction de son côté. C'est en haut que les fils lâchent.
La pente du rivage est douce, comme celles des mers du Nord, que je ne connais pas. Je ne connais rien d'autre que la mer méditerranée, ses plages artificiels et ses rochers chauds. Là, c'est une plaine immense, une horizon sous l'horizon. Autant de sable que de ciel. La mer n'est qu'une couche intermédiaire. L'air se retire et je sens la vague arriver.
C'est un pays où l'on revient souvent. On ne sait pas tout à fait pourquoi, soudainement, on est dans ce train, en direction de cette adresse si bien connue. Par la fenêtre, les paysages mornes défilent : on les connait par cœur. On les a vus, été comme hivers, dérouler leurs histoires sans secrets. Les belles couleurs de l'automne n'y font rien. C'est un de ces chemins qui ne nous apprennent rien.
une araignée au bord de mon visage,
ses pattes caressent ma joue,
un fil nous sépare,
j'attends les fils qui nous tiennent.
la cheminée fume derrière la vitre
quelques minutes à peine je sais qu'elles n'existent pas
quelques minutes, à peine, quelque existence
c'est un sentiment océanique
de ne vouloir être nulle part
être l'horizon même
des parcelles de soi réagencé en un tout
incompréhensible.
Je ne prends pas de risque, tout se passe à l'intérieur d'une boite crânienne solide, je ne l'ai brisée qu'une fois, un été de retour de voyage, le chauffeur de bus était bourré et il a freiné d'un coup, j'étais debout à tenir les bagages, j'ai fait un vol plané, je crois qu'on n'a jamais rien dit au chauffeur bourré, ma mère gérer seule mes sœurs et nos bagages, j'ai eu des points de suture et j'étais étonné que ça ne fasse pas plus mal ;
la douleur c'est compliqué, je n'arrive jamais à savoir si elle existe ou pas, pourtant j'ai vu ses dégâts, j'ai vu le fantôme de la douleur passer sur le visage de ma mère, mais j'ai préféré l'appeler fatigue et même fainéantise, j'en suis pas fier mais parfois je me dis qu'il faut reconnaître ses erreurs pour apprendre d'elles ;
Je regarde par la fenêtre et il y a le début d'un orage. Les platanes se balancent, pleureuses annonçant l'heure. Des feuilles tourbillonnent comme des hirondelles au bord d'un lac. D'où viennent toutes ces feuilles en plein mois d'août ? Un sac plastique nous joue une scène d'American Beauty, j'ai envie de le prendre en photo mais tout va trop vite. Le pas des gens dans la rue se fait plus pressant. L'odeur de la pluie est partout, pourtant on ne la voit pas.
Il y a cinq personnes le long d'un porche qui ne bougent pas. L'un d'eux fume une cigarette, deux autres regardent leur téléphone. Le premier éclair ne les fait pas broncher. Le deuxième non plus. Ils sont sous un porche après tout, que peut-il leur arriver ?