système pé

où j'essaie de critiquer chaque jeu auquel je joue, en 500 mots environ

Critique de Metroid Dread (MercurySteam et Nintendo EPD, 2021)

Drexl Spivey (Gary Oldman) dans True Romance (Tony Scott, 1993)

À bien des égards, Metroid Dread est une déclinaison revue et corrigée de Metroid Fusion, le dernier Metroid en 2D paru 19 ans plus tôt. Fusion était trop bavard, avec les sempiternels briefings d’Adam ? Dread raconte presque tout par ses décors (et ses dessins à débloquer dans le menu du jeu), Adam n’ayant que quatre répliques par heure. Les mondes de Fusion étaient trop compartimentés ? Ceux de Dread sont truffés d’ascenseurs et de téléporteurs. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Dread partage en réalité les mêmes objectifs que son prédécesseur, à savoir rendre la formule plus linéaire, plus ergonomique, en faire un jeu d’action excité plutôt qu’un labyrinthe de la mort. Ce n’est pas, fort heureusement, un AAA boursouflé comme l’ont été les derniers Metroid en 3D, et comme Metroid Prime 4 a sans doute failli être : non, c’est une expérience compacte, rejouable, speedrunnable, qui se positionne exactement face aux dizaines de Metroid-like (jamais je ne dirai le mot en -vania) sortis ces 19 dernières années. Il en aura fallu du temps, mais dans Dread, la formule est aboutie, les doigts sont crispés à la manette, les fans se demandent si c’est pas le meilleur. C’est du bon shit sa mère.

J’ai beau être défoncé cependant, en vieux fan grincheux de Metroid – et pas tellement des Metroid-like, quoique je reconnais à Hollow Knight (Team Cherry, 2017) une générosité qui le rend captivant –, je ne peux pas m’empêcher de me tortiller sur mon siège, de grincer “ouiméenfaite” entre mes dents. Disons que, quand bien même le produit fini est solide, je regrette certains choix des développeurs dans leurs priorités. Dread n’est pas seulement un des moins beaux Metroid (toujours moins moche que Metroid: Other M (Team Ninja et Nintendo SPD, 2010), mais c’est pas difficile), c’est surtout un des moins inspirés. La musique est recongelée et redécongelée, les ennemis sont dupliqués, les paysages sont interchangeables, à part trois écrans sympas dont un pompé sur Inside (Playdead, 2016). Il n’y a plus de fondu au noir à chaque ouverture de porte, plus cette ambiance survival-horror que les Dark Souls ont su si bien s’approprier. À l’image des EMMI, ces robots-chiens avec l’œil d’HAL 9000 que le marketing a tant mis en avant, le terrain de jeu de Dread est fait pour être conquis tout entier, en guidant sans cesse d’une main invisible le joueur vers le bon chemin, sans le laisser s’en détourner et se demander « mais qu’est-ce que je fous là ? ». J’ai l’impression qu’en enlevant ça à Metroid, on enlève un ingrédient crucial. Je ne me sens plus perdu sur une planète mystérieuse, me demandant à quelles abominations je vais faire face : je suis sur un parcours balisé, où je sais que le jeu me ramènera tout seul devant la bonne porte après m’avoir poussé vers la bonne clé. C’est le problème avec le shit : à force d’en fumer, on ne rêve plus la nuit.

Critique de Exo One (Exbleative, 2021)

Une rampe dans Sonic the Hedgehog (Sonic Team, 1991)

Tim Rogers (encore lui) disait à propos des Sonic en 3D (encore eux) qu’il serait capable d’en faire un prototype sous Unity en une demi-heure, juste pour montrer “la beauté de la vitesse et de la friction” que mérite cette série. On en a déjà parlé ici, il est loin d’être le seul. Même des jeux non-Sonic peuvent devenir des jeux Sonic, en les observant attentivement. La remarque a été faite à propos du curieux Igneous (Going Down In Flames, 2009), issu de la même fac que les créateurs de Portal. Personnellement, je ne peux m’empêcher de la faire à propos d’Exo One, qui pourtant, à première vue, ressemble davantage à une transposition en 3D du Tiny Wings (Andreas Illiger, 2011) de l’iPhone. J’imagine que c’est parce que Tiny Wings et Sonic ont un point commun : ils consistent souvent à essayer d’être le plus rapide possible.

Et il ne sert pas à grand-chose d’être lent dans Exo One : ses mondes sont des surfaces gigantesques criblées de rampes où faire rouler notre véhicule en forme de bille. Il y a un coup à prendre avec ces rampes pour gagner de la vitesse et planer vers l’objectif, qui parait au début incroyablement lointain. Mais une fois le coup pris, l’objectif ne paraît plus si loin, et on ne se rend plus compte des kilomètres que le jeu, mine de rien, nous fait parcourir. Donc, il faut aller vite mais aussi aller haut, déjà parce que c’est sympa pour plonger et reprendre de la vitesse, mais aussi parce que les mondes sont également étendus en hauteur, et les plus belles choses à voir dans Exo One sont certainement ses nuages, humides, écrasants et multicolores, qui feront d’excellents fonds d’écran.

C’est d’ailleurs une chose qu’on peut reprocher à Exo One, celle d’être un générateur de fonds d’écran plus qu’un défi de dextérité. Nul doute que Jay Weston (à qui j’ai donné des sous pour Exo One) a passé le plus clair de ces cinq années de développement à chercher toutes sortes de manières d’exploiter au maximum l’horizontalité et la verticalité extrêmes de son jeu, mais force est de constater que ce qu’il a trouvé n’occupe que trois ou quatre heures. Le problème n’est même pas qu’Exo One soit court : c’est qu’il n’ose pas mettre trop de bâtons dans les roues du joueur, et le laisse en mesure de planer tranquillement jusqu’à la fin, en tout cas la plupart du temps. Quand à de rares occasions le jeu vous enfonce dans un canyon ou fait souffler des vents contraires, c’est la panique, le ragequit plane, alors que c’est dans ces moments-là qu’Exo One pourrait étoffer sa formule et forcer le joueur à changer un tant soi peu de style de jeu. Mais Exo One préfère rester contemplatif. Si vous voulez du défi, il faudra vous l’imposer vous-même et speedrunner. Ou au pire, espérer qu’Exbleative bosse sur le prochain Sonic en 3D.

  • Après coup : non, je n’ai rien compris au scénario, et non, il n’y a pas de wiki pour nous l’expliquer. Y'a des références à 2001, l’Odyssée de l’espace, ça je m’en suis aperçu, merci.

Critique de Paper Mario : The Origami King (Intelligent Systems, 2020)

Lego officiels Mario

Le sermon sonne ainsi : au commencement, Nintendo fit (faire) des JRPG avec Mario, et ces jeux furent bons. En 2004 parut Paper Mario : La Porte millénaire, et les possesseurs de GameCube se réjouirent, eux qui n’avaient que 3 JRPG sur leur console, dont 2 avec des bateaux qui volent. Et puis, les cadres maléfiques de Nintendo, affolés de voir leur mascotte vivre des histoires avec des personnages qui disent des textes avec des mots, condamnèrent les pauvres développeurs d’Intelligent Systems à ne plus jamais faire de JRPG Mario, uniquement des produits dérivés où on ne gagne plus de points d’expérience, et où les PNJ sont tous des Toad qui ne disent que des sottises méta pour dissimuler l’absence délibérée d’une moindre esquisse de scénario. Soit. Moi aussi j’ai joué à La Porte millénaire quand j’avais 15 ans, moi aussi j’ai le souvenir d’une vraie grande aventure. Et j’ai une excellente mémoire. Inutile de ressortir le disque et de passer 20 heures dessus pour m’en assurer. Et puis, je ne change jamais d’avis.

À propos des JRPG, par exemple : je les ai toujours détestés. S’arrêter de jouer toutes les 10 secondes pour appuyer à répétition sur Croix pendant 1 ou 2 minutes, vous trouvez ça amusant vous ? Pour chaque jeu comme Dragon Quest ou Pokémon où le combat est le jeu, il y en a 5 à côté de la plaque qui s’imaginent que sans la Sinusoïdale de l’Emmerdement (une courbe qui baisse en gagnant de l’XP, puis remonte quand les ennemis en gagnent), leur aventure ne vaut rien. D’autres génies l’ont dit avant moi : si Final Fantasy VII était un jeu d’action plutôt qu’un JRPG, son scénario — la seule raison pour laquelle tant de monde l’a aimé — n’en souffrirait pas pour autant. Déconstruire les mécaniques des JRPG sera toujours un acte salutaire à mes yeux, et c’est bien ce que The Origami King cherche à faire. Les fans, curieusement, semblent s’en contenter à présent, eux qui méprisaient les Paper Mario précédents pour la même raison.

C’est vrai qu’Origami King est agréable, qu’il est plutôt marrant, qu’on ne s’y ennuie guère, alors qu’on n’y fait pas tant de choses que cela, hormis lire les vannes des Toad et enchaîner des mini-jeux très classiques (et des micro-actions compulsives, une habitude chez Nintendo depuis les Korogus de Breath of the Wild). Sans cela, je ne lui aurai peut-être pas pardonné sa réponse maladroite à la Sinusoïdale de l’Emmerdement : des combats en jeu de pousse-pousse, où tout s’arrête le temps qu’il vous reste de l’argent (vous en aurez des tas), juste pour la satisfaction médiocre d’avoir aligné 4 goombas les uns derrière les autres. Plus tard dans le jeu, un bouton vous permet de dépenser 1000 pièces pour que le pousse-pousse se résolve tout seul. Donc, le progrès selon Paper Mario, c’est que maintenant il suffit d’appuyer une seule fois sur Croix pour gagner ? On est passé à ça d’un simulateur de marche. J’imagine que c’est à ce prix-là que les fans sont contents.

  • Après coup : Ça se voit que je viens de faire le début de Yakuza: Like a Dragon (Ryu Ga Gotoku Studio, 2020) ? Celui avec ses 2 minutes de combat pour 1h30 de cinématiques ? On verra bien si Sega me fait mentir.

Critique de Doom (id Software, 1993), Doom 2 (id Software, 1994), Doom 64 (Midway Studios San Diego, 1997) et The Given (Darryl Steffen, 2017)

Labyrinthe 3D de Windows

Parler de Doom, c'est comme parler de Super Mario Bros. ou de FIFA : que dire de plus que le jeu ne nous dit pas directement ? Si l'on comprend quelque chose au jeu vidéo, on comprend immédiatement Doom en y jouant. Aveuglé par la limpidité de ce chef d’œuvre incontestable, le critique est inutile, impuissant ; il n'a plus qu'à s'en aller, penaud, expliquer la Joconde à quelqu'un qui n'a jamais vu de peinture, ou le Petit Prince à quelqu'un qui n'a jamais lu de livre, ou bien Citizen Kane à un autre critique perdu dans la quête sans fin du Citizen-Kane-du-jeu-vidéo. Tapi dans l'ombre, la main plongée dans un sachet de Curly, je surgirai soudain derrière eux, goguenard, et leur demanderai : dites-moi plutôt, quel est le Doom-du-cinéma ? Et je regarderai leurs crânes fondre et s'écouler entre mes orteils pendant que retentira le solo de Live Undead de Slayer. J'imagine qu'ensuite, Tim Rogers viendra me donner un million de dollars, enroulé dans un de ses sous-vêtements.

Blague à part : dans sa critique des Doom, Rogers souligne que la version PlayStation remplace la musique plagiée sur Slayer par des nappes atmosphériques sordides, assorties à d'autres changements visuels pour rendre le jeu plus horrifique. Sur PlayStation, Doom fait peur ; mais Rogers préfère l'ambiance du jeu original, car pour lui, “Doom is goofy”. Et comment pourrais-je le contredire : avez-vous eu peur en me lisant parler de crânes qui fondent ? Tel un bon concert de metal, Doom est une comédie qui fonctionne toujours aujourd'hui, après vingt-huit ans à voir les politiciens et les développeurs de FPS passer à côté de la blague.

Et davantage qu'un concert de metal, Doom est aussi un des premiers jeux vidéo en 3D, ce qui en fait moins un Citizen Kane qu'un Magicien d'Oz. Se perdre dans les labyrinthes de Doom, c'est un peu comme se vautrer dans la pelouse du château de Super Mario 64, c'est aussi un peu comme contempler cet écran de veille des vieux Windows, ceux-là même où Doom a connu la gloire. Qu'on y mette les montagnes grises du Yangshuo, ou les flammes rouges de l'enfer, ou même des cieux étoilés comme dans Doom 64 (qui reprend l'esthétique effrayante du Doom PlayStation), ces dédales étroits m'ont laissé une trace indélébile, même à travers l'écran illisible de ma Game Boy Advance. Tout réussi qu'il soit, le Doom de 2016 ne peut rien évoquer de tel. Je ne sais pas très bien quelles architectures sauraient dégager ce pouvoir sur le joueur blasé que je suis devenu. C'est peut-être pour ça qu'aujourd'hui encore, on fait des mods de Doom, parfois sans humour et même sans violence, tel The Given qui est en fait un Myst/The Witness dans un désert surréaliste. La preuve irréfutable que comme le metal, Doom ne mourra jamais.

Critique de Death Stranding (Kojima Productions, 2019)

John de Homestuck représenté en bébé (https://mspaintadventures.fandom.com/wiki/Fandom:Memes#The_Baby_is_You)

Il est probablement plus intéressant de réfléchir à Death Stranding que de jouer à Death Stranding. J’en veux pour preuve l’abondance d’analyses passionnées qu’a suscité le jeu, et qu’on ne peut pas attribuer exclusivement à la notoriété de son créateur ou de ses acteurs. Ainsi, pour ne pas risquer de répéter ce qui s’est sans doute mieux dit ailleurs, et aussi pour que cette critique ne mute pas en un article pour Argine qui prendrait des semaines à rédiger, je vais faire l’inverse de tout le monde et nier la complexité de Death Stranding pour en parler comme d’un petit jeu indé sans prétention.

Donc, Death Stranding est un jeu de science-fiction où il faut rallier des endroits éloignés sur une grande carte sans se rompre le cou, mais surtout sans abîmer les kilos de marchandise qu’on doit transporter sur son dos. Au début, c’est pas facile, et c’est exaltant. Après avoir traversé l’enfer et livré vos précieuses caisses, les destinataires vous remercient en vous donnant de quoi fabriquer des véhicules et des ponts qui vous faciliteront grandement les livraisons suivantes ; vous pourrez même profiter de ceux posés par d’autres joueurs en ligne. Le jeu essaie de limiter leurs apparitions histoire de ne pas s’autodétruire ; mais pourtant, en tout cas en difficulté “Normal” (toujours jouer en difficile, je le sais pourtant !), c’est ce qui finit par arriver, transformant la randonnée coriace et mélancolique en un délire addictif de camtars bondissants et de tyroliennes de l’espace, qu’on parcourt sans effort sous les applaudissements de notre bébé (ne me lancez pas sur le bébé).

Mais Death Stranding n’est pas un petit indé sans prétention : c’est l’œuvre d’Hideo Kojima, un type doté d’un budget conséquent, d’une culture remarquable et d’un humour dérangé qu’il n’hésite pas à étaler sur tous ses jeux, lesquels étaient, ces vingt dernières années, exclusivement des Metal Gear Solid. Death Stranding, en tout cas à mes yeux, ne pouvait donc pas être un simple concept expérimental autour de la fetch-quest : il fallait que ça soit son triomphe émancipatoire, sa vengeance sur la famille Snake, la preuve irréfutable de son génie, un sommet de jeu vidéo. Un sommet certes, mais sur lequel est planté un shitpost : Kojima (ou bien son scénariste Kenji Yano, mais je ne suis pas dupe) écrit toujours n’importe comment, gaspille ses cinématiques à millions de dollars – et notre temps – dans des tirades cryptiques débitées par des pantins coincés dans des couloirs gris, tandis que les vraies bonnes idées de cet univers sont racontées dans des e-mails, pour l’amour du ciel, écrits par des PNJ sous MDMA qui mettent des emojis partout. À l’image de ces moments où Death Stranding balance du post-rock triste pendant qu’on lève une cybermoto en Y, le ton du jeu glitche entre mélodrame apocalyptique et farce absurde. Tout ceci est fascinant, et je ne dis pas ça pour me moquer : derrière ses atours de parvenu, une vraie expérience de jeu vidéo hors du commun se trouve dans Death Stranding. Pour l’apprécier, il faut juste pardonner à Hideo Kojima les 50 heures qu’il faut y consacrer, au risque de se sentir trahi.

Critique de Superliminal (Pillow Castle, 2019)

Capture d’écran de « Our House » de GameGrumps (https://www.youtube.com/watch?v=k55FYtqtXXU)

À force de jouer à des jeux qui se ressemblent tous, mes critiques vont elles aussi finir par se ressembler. Jadis, j’ai dit sévèrement de RiME (Tequila Works, 2017) qu’il ressemblait trop aux classiques l’ayant précédé. Aujourd’hui, je me retrouve à penser la même chose de Superliminal, qui malgré l’effort indéniable qu’il a fallu y consacrer pour que le moteur ne se casse pas la figure, m’évoque un quasi-plagiat de jeux qui se plagient déjà eux-mêmes, à savoir : presque tous les jeux de puzzle à la 1ᵉre personne depuis 2007 et la sortie de Portal. La narratrice sarcastique, la décoration corporate des Trente glorieuses, les transgressions non-euclidiennes, la musique de salle d’attente, la philosophie de comptoir, les graffitis menaçants, le tissu de l’espace-temps qui se dérègle au fur et à mesure, jusqu’au savant fou qui perd le contrôle de sa création (dans laquelle vous êtes piégé !) tout en faisant de l’humour pince-sans-rire avec un accent britannique : tout le monde puise là-dedans sans vergogne depuis douze ans. À sa décharge, Superliminal a mis cinq ans à être créé, mais le cycle de la mode a cela de pernicieux qu’il se nourrit lui-même. Faire un énième coffret d’illusions d’optique, c’est s’assurer de piquer la curiosité (et les sous) des fans d’illusions d’optique ; pourquoi finiraient-ils par s’en lasser, et pourquoi les développeurs se retiendraient de les flatter ? La même année que Superliminal est sorti A Fisherman's Tale (InnerspaceVR), qui lui emprunte quelques-unes de ses trouvailles visuelles ; et pas plus tard que le mois dernier sortait Maquette (Graceful Decay) qui ressemble à une version non-RV de A Fisherman's Tale. Joue-t-on à ces jeux pour se retourner le cerveau, ou pour se rappeler de ceux qui nous ont réellement retourné le cerveau ?

L’accusation est d’autant plus infamante pour Superliminal qui fait tout bien comme il faut, c’est-à-dire pas mieux que ses inspirateurs. Les trois ou quatre mécaniques à maîtriser pour résoudre les énigmes, bien que pourtant surprenantes au premier contact, sont pusillanimement réparties tout le long du jeu, maintenant sa difficulté au ras des pâquerettes, et l’empêchant de se hisser au-dessus de ses clichés. Dans ses dernières minutes (il y en a pour 2 heures à tout casser), Superliminal s’emballe enfin et se rapproche de l’idéal bizarroïde que nous promettait son concept, mais trop peu et trop tard, avant de se conclure sur un discours pontifiant du savant fou britannique qui veut nous faire croire que le jeu entier est une sorte de métaphore sur le bien-être. En soi, rien de tout cela n’est désagréable au point de devoir bouder notre plaisir ; mais il y a quelque chose d’agaçant à voir ces jeux de perception, censés nous désorienter, systématiquement cantonnés à un format convenu pour nous rassurer. Les indés ne peuvent-ils se permettre un peu plus d’audace ?

  • Après coup : Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, à la lecture du générique de fin, que les dialogues de Superliminal sont écrits par Will O'Neill, le créateur d'Actual Sunlight. Après avoir écrit un jeu sur la dépression, il a donc écrit un jeu (beaucoup moins mordant) sur la sortie de la dépression. Même s’il ne m’a pas convaincu, je dois reconnaître que le propos du jeu gagne un peu en honnêteté.

Critique de Sonic Robo Blast 2 v2.2 (Sonic Team Junior, 2019)

Capture d’écran de Super Mario Star Road (Skelux, 2011)

Dans un monde parallèle, Sonic Mania (Christian Whitehead, PagodaWest Games et Headcannon, 2017) n’aurait pas de raison d’être. Aussi virtuose qu’il soit, ce fangame commandé par un Sega qui avait totalement oublié comment faire un bon Sonic en 2D (6 ou 7 jeux en 11 ans, tous ratés) n’ose presque jamais suggérer qu’on puisse faire les choses différemment que le Sonic 3 & Knuckles de 1994. Au lieu d’être le triomphe de l’imaginaire que mérite cet univers funky et bariolé, où j’ai passé la moitié de mon adolescence à travers des forums à la fréquentation douteuse, Sonic Mania est une revanche, servie très froide et un peu amère, sur un ayant-droit qui s’est trop longtemps moqué de ses fans et du jeu vidéo.

Mais le travail des développeurs de Mania n’est que la partie émergée de l’iceberg des fangames Sonic, où les fans s’amusent à se venger de Sega chacun à leur manière, et à essayer de faire un Sonic meilleur que les Sonic. Sonic Robo Blast 2, au développement atypique pour un jeu mais classique pour un jeu de fans (à savoir : étalé sur des décennies), est à bien des égards plus courageux que Sonic Mania, en proposant des mondes en 3D conçus sous Doom. Rien ne devrait aller dans ces décors de gros pixels, au pied de ces falaises parfaitement verticales qui masquent un horizon vide, à se battre avec la caméra pour contrôler une savonnette bleue capable de faire des sauts de dix mètres (dans le vide) sans prendre d’élan. Jouer à ce jeu est parfois aussi gratifiant que de courir dans une pente descendante avec des chaussures à ressorts. Un peu comme dans les premiers Sonic en 3D, avant qu’ils ne deviennent des jeux 2D qui ne s’assument pas.

Mais les premiers Sonic en 3D, trop souvent, nous faisaient courir dans des couloirs au-dessus du vide dont on pouvait facilement tomber si on ne se limitait pas à aller tout droit. Tandis que la plateforme dans SRB2, même si elle reste assez linéaire, est nettement plus libre : les mondes spacieux s’accommodent mieux de la vitesse absurde de Sonic, et se défenestrer en devient presque le principe, pour apprendre à maîtriser la savonnette et se prendre pour un speedrunner. C’est cette approche du monde, plus proche d’un Mario 64 que d’un Sonic Adventure (et qu’on retrouve également dans d’autres fangames Sonic 3D expérimentaux), qui le rend agréable à arpenter, qui fait mieux apprécier ses changements d’échelle, comme lorsqu’on rentre dans un bâtiment par une porte géante ou qu’on en sort par un minuscule tuyau. Les couleurs criardes deviennent une caution nostalgique ; la musique parvient à évoquer le Mega-CD et la Dreamcast sans (trop) s’emmêler les pinceaux. En fin de compte, l’enthousiasme de se balader dans ce rêve de gosses compense largement les frustrations de sa maniabilité.

Critique de The Last of Us Part II (Naughty Dog, 2020)

Isabelle Huppert dans Le Temps du Loup (Michael Haneke, 2003)

Je ne sais pas vous, mais perso, après avoir fini The Last of Us (Naughty Dog, 2013) et tué ce mec sans défense parce que c’est ce que Joel aurait fait (et TLoU1 est suffisamment bien fait pour faire comprendre cela au joueur), je me disais quand même que ce pauvre pécheur ne l’emporterait pas au paradis. Quelle ne fut donc pas ma surprise, après une heure devant The Last of Us Part II, de le voir se faire cruellement assassiner à coups de club de golf sous les yeux de sa fille Ellie par une bande d’inconnus. Le reste, hélas, est à l’avenant : Ellie part se venger, et comme dans presque toutes les histoires de vengeance, celui qui bat les monstres devient le monstre, et Ellie va faire la peau à tous les complices du meurtre de Joel qu’elle trouvera, à coups de cinématiques semi-interactives insultantes où on appuie sur Carré pour torturer une femme avant de rentrer traumatisée à la base, ou bien on enfonce un couteau dans la gorge d’une autre femme avant de découvrir qu’elle était enceinte, et cætera.

Mais le jeu ne s’arrête pas là dans sa dénonciation courageuse de la violence gratuite, et vous fait incarner l’assassin de Joel, qui voulait venger la mort du mec sans défense de TLoU 1 (c’était son père). L’histoire d’Abby a beau être nettement plus intéressante que celle d’Ellie, elle n’en demeure pas moins une redite de TLoU1, qui elle-même était une redite de presque toutes les histoires de zombies. Et comme il s’agit d’un flashback, on sait d’avance comment elle se termine. Après ça, le jeu continue encore quelques heures, juste pour qu’on ait bien compris que la vengeance c’est mal et ça sert à rien de toute façon. Dommage que les moments où j’ai pris le plus de plaisir dans TLoU2 étaient ceux où je butais tous les mecs que je croisais, en écoutant leurs potes hurler leurs noms.

Les critiques (françaises) et les récompenses (bidon), de pair avec le budget (exorbitant) et les graphismes (photoréalistes) du jeu, voudraient nous faire croire que TLoU2 représente le sommet absolu de ce qui se fait en jeu vidéo aujourd’hui. Qu’on ne s’y trompe pas : un jeu vidéo où l’histoire n’est pas plus mauvaise qu’un film (de zombies), où l’action n’est pas plus mauvaise qu’un autre jeu (de tir dans des couloirs), où la première n’a rien à voir avec la seconde, et où les personnages ne sont pas tous blancs, virils et triomphants, ce n’est pas le jeu de l’année, mais le minimum syndical. Il aura fallu des milliers de jours-hommes pour que ça ne se voie pas, et que soit perpétué le mythe d’un jeu vidéo hollywoodien, tout juste bon à piller ce qui marche ailleurs, encore et toujours, jusqu’à ce qu’on (mais qui ?) décide enfin qu’il s’agit d’art.

(si ça vous intéresse, j’ai aussi écrit une critique (beaucoup) plus longue de ce jeu sur Argine)

Critique de Animal Crossing: New Horizons (Nintendo EPD, 2020)

Tirelire-cochon coiffée d’un mortarboard

Il y a une certaine manière de jouer au dernier Animal Crossing qui me déprime un peu, car j’ai l’impression que c’est la manière dont ses créateurs veulent que l’on joue. Vous pouvez faire ce que vous voulez sur votre île, nous dit-on, mais si vous vous mettez aux ordres de the man Tom Nook ou des notifications de votre smartphone, vous gagnerez des points (des “miles”, qui comme dans la vraie vie, sont intelligemment distingués de la monnaie d’échange régulière). Coupez trois arbres, gagnez 200 miles. Pêchez trois poissons, 400 miles. Capturez cinq papillons, gagnez le double de miles – seulement aujourd’hui ! Le premier Animal Crossing, en 2001, avait le pari audacieux pour l’époque d’être un “non-jeu”, sans “challenge”, où on pouvait se contenter de “vivre sa vie”. Vingt ans plus tard, la vie est désormais gamifiée, et on peut faire tout ce qu’on veut sur cette île, sauf éteindre son smartphone.

Il y a toujours eu une certaine manière de jouer à Animal Crossing, avec ou sans smartphone : en pillant chaque jour les ressources qui y repopent. C’est comme ça qu’on y gagne de l’argent, du vrai, qu’on peut ensuite dépenser dans des meubles à mettre dans sa maison, ou bien dans l’agrandissement de celle-ci. Par une pirouette psychologique qui a suscité des dizaines d'“analyses” de la série (probablement autant que pour les Souls), Tom Nook vous livre d’abord l’agrandissement avant de vous laisser le rembourser, sans échéance, puis de vous en proposer un nouveau. Ce n’est donc pas la dette exorbitante qui vous empêchera de remplir votre maison de poupée de meubles de poupée (tel un « ensemble vaisselle » ou une « pile de documents » avec un petit camembert Excel dessus) lesquels, par nature, ne servent à rien, excepté la NES qui à l’époque, sur GameCube, permettait de lancer de véritables jeux ; aujourd’hui, la totalité de ces jeux est offerte avec un abonnement au jeu en ligne de la Switch, obligatoire pour pouvoir visiter les îles des autres joueurs de New Horizons, et constater qu’ils possèdent plus ou moins (dans mon cas, c’était toujours beaucoup plus) de meubles inutiles que vous.

Il y a une certaine manière de jouer à Animal Crossing, dès lors qu’on accepte que l’accumulation de richesses n’a pas d’autre but que l’accumulation de richesses, et elle consiste à n’en avoir rien à foutre. Comme le font les villageois, le véritable cœur d’Animal Crossing, qui parlent de « partir chercher à manger » ou de « fonder un club de lecture » alors qu’il n’y a ni épicerie ni livre, qui errent sans but entre des poteaux électriques débranchés et des piscines où personne ne se baigne, qui ne disent rien d’intéressant entre deux fulgurances poétiques, et qui, un jour, sans qu’on sache très bien pourquoi, se mettent à vous donner des surnoms affectueux et à vous envoyer des cartes postales où ils se plaignent d’être accusés de tapage nocturne par des voisins qui n’existent pas. Quand à la fin de celles-ci, dans une des dizaines de tournures de phrases concoctées par les auteurs et les traducteurs du jeu, le petit animal virtuel nous demande de lui répondre, on peut ressentir ce pincement au cœur qui fait décoller Animal Crossing bien au-dessus de son capitalisme de carnaval, à l’heure où des milliards d’êtres humains enfermés chez eux ne peuvent plus cultiver leur jardin.

Critique de Manifold Garden (William Chyr Studio, 2019)

Capture d'écran du premier générique de Faut pas rêver

Il vaut mieux sauter dans le vide que rester au sol dans Manifold Garden. D’une part, parce que c’est comme ça qu’on se déplace le plus rapidement. D’autre part, parce que c’est plus rigolo de chuter à l’infini façon AaAaAA!!! (Dejobaan Games, 2009) que de crapahuter, cube coloré à la main, vers le trou où loger celui-ci – ce en quoi consiste la quasi-totalité des puzzles du jeu. Manifold Garden, heureusement, n’est pas un de ces jeux d’énigmes où appliquer la solution de l’énigme prend beaucoup plus de temps que trouver la solution de l’énigme ; mais pour penser en 3-variétés, tout comme pour penser en portails dans Portal, il faut oser se désorienter et faire des plongeons. Et, à part quelques salles étroites un peu ennuyeuses où l’on ne peut que choisir le mur sur lequel marcher, Manifold Garden est jalonné de plongeoirs, pour mieux faire apprécier aux base-jumpers le défilement infini des escaliers qui ne mènent nulle part, des gratte-ciels sans étages inférieurs, et des colonnades qui sifflent aux oreilles quand on les rase. Contrairement à d’autre jeux de réflexion délibérément non-euclidiens, comme Antichamber (Demruth, 2013) ou Fragments of Euclid (NuSan, 2017), Manifold Garden n’est pas un labyrinthe, et ses mondes s’appuient sur notre perception traditionnelle de l’architecture pour permettre au joueur de continuer à distinguer le sol du plafond quand il peut, littéralement, changer le sol en plafond. C’est essentiel pour que le jeu fonctionne.

Et c’est un peu ce que je regrette, même en ayant conscience que le jeu remplit pleinement son contrat par ailleurs : la désorientation finit toujours par être domptée. Petit, lorsqu’il m’arrivait de veiller assez tard pour tomber sur le générique de Faut pas rêver sur France 3, les mouvements désaxés de la caméra qui vole entre les structures escheriennes défiaient ma compréhension. En regardant de nouveau ce générique vingt ans plus tard, je ne ressens plus vraiment ce vertige, que j'avais cherché entretemps dans les piliers en lévitation de Kula World (Game Design Sweden AB, 1998) ou les phases de missile à pattes dans Rayman 2 (Ubi Pictures, 1999). Il aurait peut-être fallu que Manifold Garden abandonne plus tôt ses cubes de couleur et dévie franchement vers le trip psychédélique, un peu comme NaissanceE (Limasse Five, 2014), un jeu que j’adore pour avoir su me redonner un peu de ce vertige, alors que l’on y tombe que dans une seule direction. À défaut de s’aventurer dans le “psyqué” ailleurs que dans sa cinématique de fin, Manifold Garden fait office d’amusant petit traité d’architecture, nous donnant l’occasion de ressentir de plain-pied ce qui se passe lorsqu’on soulève la maquette et qu’on la pose du mauvais côté.

  • Après coup : Jonathan Blow, le Terrence Malick du Télé 7 Jeux, est entre autres méfaits connu pour avoir mis dans ses jeux des secrets extrêmement pénibles à débloquer, voire à en soupçonner l'existence. Or il se trouve que Manifold Garden recèle lui aussi, derrière ses baies vitrées, des passages secrets qui requièrent du joueur des bricolages grotesques pour être déverrouillées. Aussi, voir Monsieur “mes jeux respectent votre temps” passer presque quinze heures à atteindre lesdits passages secrets est une définition approximative, mais édifiante, de la Schadenfreude.