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Le cœur de la vielle usine est délabré. Dans le fond, je distingue les carcasses éventrées de machines sous la mousse. Le métal rouillé a cédé sous le poids des plantes. Le plancher semble s'être effondré en de nombreux endroits. Je vais devoir avancer prudemment pour éviter de passer au travers. Je prend une barre de métal qui gît sur le sol. Je l'utiliserai pour sonder les décombres.

Une forte odeur d’humus et de décomposition règne dans l’usine... et puis il y a autre chose... une odeur... ou plutôt une sensation d'odeur... comme quelque chose « d'iridescent »...

Des cailloux dégringolent d’un tas à ma gauche et je sursaute. Je me retourne juste à temps pour apercevoir une petite ombre qui court se cacher dans les ténèbres. Je n’ai pas le temps de bien le voir, mais elle aussi semble étrange, comme « colorée » par quelque chose.

L'Autre est ici, c'est certain...

Il vaut mieux ne pas m'attarder. J'avance vers un tas de débris et je commence à fouiller. Rien d’intéressant ici : quelques morceaux de métal, des outils brisés inutilisables… Un peu plus loin, il y a une lame un peu rouillée mais qui semble encore résistante. Sans doute un couteau, mais le manche a disparu depuis longtemps. Je la prend. Je ramasse aussi une petite bouteille vide, mais encore fermée par un bouchon. Ça pourra toujours me servir. Et un peu plus loin il y a du fil de fer.

Soudain je me fige... l'étrange odeur s'est faite plus forte. Je me retourne et je scrute les entrailles du bâtiment : un Errant ! Il se trouve à quelques mètres de moi. Immobile. Sa silhouette à moitié transparente se dessine à peine dans la lumière qui filtre par une ouverture du toit.

Il est gigantesque... au moins deux fois plus grand que moi. Il doit être très vieux...

Il ne semble pas avoir remarqué ma présence. Pourvu qu'il ne me sente pas.

« Fragments » est écrit et publié par ZeFredz sous licence Creative Commons BY-NC-SA – Attribution-NonCommercial-ShareAlike.

Un vent violent se lève soudain. Le ciel prend des tons ocres, jaunes, rouges. Une mer de sable s'engouffre dans la plaine et déferle entre les collines.

Je ne distingue plus les arbres sur le versant opposé à travers ce mur de poussière.

Mon parka flotte derrière moi tel une paire d'ailes, et j'ai l'impression d'étouffer.

Je rajuste mon masque et mon foulard pour protéger mon visage. Je resserre les lanières qui maintiennent mes manches fermées afin d’empêcher le sable de pénétrer dans mes vêtements.

Le peu de peau exposée est une blessure à vif, rappée, écorchée par les particules de sable, tranchantes comme des rasoirs.

A chaque rafale qui me percute, je vacille. Je dois m'accrocher à mon bâton de marche enfoncé dans le sol pour ne pas tomber.

Me plier, me courber, avancer pas à pas avec des efforts énormes, dans l'espoir de rejoindre la grange en ruine que j'ai vue juste avant la tempête. Elle ne doit plus être qu'à quelques dizaines de mètres...

Je sonde l'espace invisible devant moi avec mon bâton pour éviter les obstacles, les trous et tout se qui pourrait se cacher derrière le rideau de sable.

Un pas. Un autre. Je trébuche. Je retrouve mon équilibre. Surtout ne pas tomber de peur de ne plus pouvoir me relever. De peur que la sable ne me recouvre ou ne m'arrache la chair, ne laissant plus que mes os blanchis.

Encore un pas. Mon bâton touche quelque chose. A travers mon gant je sens le relief d'un mur de briques : la grange, enfin ! Je cherche à tâtons, trouve une ouverture et je m'y engouffre.

Enfin à l'abri.

Le vent rugit autour de mon abri. J'entends le bâtiment gémir et craquer sous les assauts des rafales. Le sable racle les murs. Le toit frémit. J'espère qu'il tiendra.

Mais de toute façon, le combat contre le vent a épuisé mes forces et je ne peux plus continuer. Je me cale contre le mur. L'épuisement me terrasse et je sombre dans le sommeil.

« Fragments » est écrit et publié par ZeFredz sous licence Creative Commons BY-NC-SA – Attribution-NonCommercial-ShareAlike.

La vieille usine se dresse à quelques centaines de mètres à peine de mon abri, mais je ne l’avais pas vue tant elle est perdue dans la végétation.

Il y a probablement un tas de choses utiles à ramasser dans les ruines et je me me mets en route au levé du soleil pour l'explorer.

Le toit s’est effondré en de nombreux endroits et des branches d’arbres s’échappent des ouvertures. Les briques rouges du mur d’enceinte presque cachées par le feuillage se désagrègent peu à peu sous la force des racines. Une énorme tour, sans doute une cheminée, couverte de lierre, peine à dépasser du sommet des arbres environnants.

L’entrée de la cour est encadrée de deux grilles en fer pliées dont les barreaux se perdent dans les hautes herbes et les plantes grimpantes.

Je pénètre dans la cour. Les herbes semblent frémir comme si elles sentaient ma présence. Des rails courent sur le sol entre les bâtiments. Des épaves de machines jonchent le sol couvert de mousse et d’herbes folles. Certaines sont gigantesques, bien plus grandes que moi.

J'avance. Un oiseau effrayé par mon passage s’envole en criant. Ses plumes ont d’étranges reflets rappelant l’arc-en-ciel. Je dois être prudent·e : l’Autre est sûrement à l’œuvre ici.

Le mur éventré du bâtiment principal m'offre un passage. Ça me fait penser à la gueule d’une bête gigantesque tapie au milieu des arbres est des lianes.

J’entre. Tout est étrangement calme. Pas un bruit, pas un souffle de vent. Comme si toute vie s’était éteinte à mon entrée. Il fait sombre. La lumière n’y pénètre que par quelques orifices presque complètement cachés par la végétation.

J’attends que mes yeux s’habituent à l’obscurité. Je commence à distinguer les murs de brique rouge autour de moi. Le sol est jonché de débris de la charpente qui soutient les tôles métalliques du toit.

« Fragments » est écrit et publié par ZeFredz sous licence Creative Commons BY-NC-SA – Attribution-NonCommercial-ShareAlike.

« Fragments » était mon projet de fiction pour le NaNoWriMo 2018 que je n'ai pas pu mener à terme pour diverse raison. J'ai donc décidé de le publier ici sous la forme d'un feuilleton.

Mon objectif est de publier régulièrement un nouvel épisode, un nouveau fragment, qui donnera peu à peu corps à l'univers et à l'histoire. J'espère y arriver.

Les fragments sont rédigés autant que possible dans une forme neutre ou, mais cela a des limites, en utilisant le langage épicène et l'écriture inclusive.

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Deux jours qu’il pleut à verse. Le vent vient des marais et transporte avec lui l'odeur étrange de l’Autre. Impossible d’avancer dans la boue et il suffit de quelques minutes pour être trempé·e jusqu’aux os. Les ruines de la vieille école m’offrent un abri bienvenu.

Je profite d’une courte accalmie pour trouver un peu de nourriture fraîche. Je me rapproche des marais et je trouve quelques fruits, des baies, et des champignons. À travers les roseaux, trois Ombres m’observent. Leurs silhouettes frêles et transparentes, suspendues à un pied du sol, semblent trembloter dans le vent. Je ressens leur mélancolie malgré la distance et ça me glace le sang.

Je leur tourne le dos et retourne rapidement vers mon abri, mais une sensation de malaise, de profonde tristesse, perdure depuis plusieurs heures.

Demain, je continuerai mon exploration des alentours.

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J’ai toujours aimé la forêt.

C’est l’une des choses d’avant dont je me souviens. À la lumière, on dirait bien que c’est l’été… mais comment le savoir, tout à tellement changé. Et aussi que quand j'étais enfant, on habitait avec beaucoup d’autres personnes dans… une ville, je crois. Ou quelque chose comme ça. Il y avait aussi des grandes usines dont les cheminées crachaient de la fumée noire et puante et qui rendait malade. Mais ça fait longtemps qu’elles se sont éteintes.

On m’a raconté qu’il y en a quelques-unes qui ont été remises en route là-bas dans le Nord. Comment savoir ? Les voyageurs sont tellement rares ! Et la plupart des êtres que l’on croise sont des errants, à peine humains. Ou alors des pillards, qui n’ont d’humains que le nom.

Mais la forêt et la végétation ont peu à peu tout envahi. Elles ont tout recouvert et masqué toute trace de ce qu’il y avait avant. Les villes, les maisons, les gens… Et les choses ont commencé à changer.

J’ai trouvé il y a quelques jours un tas de feuilles presque intactes et quelques crayons dans une bâtisse en ruine. Une ancienne école, je pense. J’ai fait un carnet avec les feuilles et un peu de fil et j’écris. J’écris pour me souvenir face à l’oubli qui ronge peu à peu les esprits. Et aussi parce que je n’ai plus personne à qui parler : mon village a été peu à peu exterminé par les pillards, les errants, l’oubli, la folie et la forêt… comme tant d’autres.

Je vais encore rester dans le coin quelques jours, explorer un peu et voir si je ne trouve pas d'autres trésors dans les ruines toutes proches. Ensuite, je vais me diriger vers les montagnes, en contournant les marais. Ce sera un gros détour. Mais, je m’en suis approché·e hier pour voir s’il est possible de les traverser. La végétation m’a semblé étrange, anormale… Et la brume y a des reflets colorés. Ça pue l’Autre à plein nez… Et ça grouille d’errants et d’autres… choses.

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