Hier je me suis réveillée une tranche de citron à la place de la bouche
sourire disgracieux que j'ai glissé sous mon masque
il brillait sous la double épaisseur, je n'ai pu faire grand chose
à part l'ignorer dans le bus roulant.
C'est un sourire kabyle j'ai répondu à un regard interrogateur
deux gouttes de sang glissaient de chaque côté de ma bouche
étrange, je me dis, le pouvoir des mots sur les choses
qui ne reviennent jamais à leur juste place.
Ce sont souvent des poursuites, je cours, je tombe, j'accélère, je me réveille.
Hier, j'ai traversé une ville citadelle, poursuivie par un groupe d'hommes en cape. Les ruelles s'enchaînent, les ombres des hommes se projettent sur les murs et me suivent. Je me réfugie dans un hôtel splendide. Les hommes sont toujours derrière moi. Je traverse des chambres décorées avec soin, dans un style moderne et victorien. Dans une des pièces, des tableaux représentants des scènes du Château dans le ciel. Dans la pièce suivante, Miyazaki boit un thé. Je sais que c'est lui car il a un visage rond et bienveillant, ainsi que deux oreilles de chat au sommet de sa tête. Les hommes me rattrapent dans la prochaine salle. Je me tue, donc je me réveille. Ainsi je ne leur aurai pas parlé. Je n'ai rien dévoilé
Hier matin, Géraldine Mosna-Savoye posait la question : A quoi ressemblerai-je quand j'aurai fini mon bidon de gel douche ? Elle s'interroge sur la notion de temps parcouru. Comment mesurer cette géographie temporelle et le changement à l'intérieur de soi ? Que dirait-on à ce moi plus jeune ?
Keats, dans le poème Deux ans plus tard, répond en partie à cette question. Il s'adresse, il me semble, à un lui-même plus jeune de deux ans. C'est une durée arbitraire, deux ans, comme celle du sucre qui fond ou la fin du bidon de gel douche. En deux ans, nos amours meurent, nos rêves changent, l'éphémère brûle. Des milliers de petites et grandes blessures, avec autant de “et si j'avais”.
J'ai appris il y a quelques semaines que le bâtiment dans lequel j'ai grandi allait être détruit. C'est l'histoire de plein de gens qui ont grandi en HLM. On pousse, on fait de la place, on assainit le quartier. C'est pour la mixité sociale, c'est pour embellir.
L'errance à l'intérieur de soi a ceci d'étonnant qu'elle est tout à fait invisible. C'est une disparition sans avis de recherche. On glisse à l'intérieur de soi, aspiration sans expiration. Le corps continue sans routine, le visage réagit au son et à la lumière. Les yeux se vident, le sommeil s'échappe.
“Les femmes n’ont jamais une demi-heure dont elles puissent dire qu’elle leur appartienne.”
Virginia Woolf écrivait que le temps des femmes est compté. Il ne reste entre leurs mains qu'un temps dont elles n'ont pas la maîtrise, haché et impropre à l'écriture.
La ville morte n’est pas plus solitaire que les autres villes. Elle n’a pas la chaleur des villes où il n’y a rien à faire, cette saveur particulière de villes moyennes de fonctionnaires mutées qui croisent des paumés à la dérive. Elle n’a pas non plus la frénésie de la capitale, où événements sur événements on se représente, toujours pour les autres.
Au bord de la ville morte, dans un interstice entre le fleuve et l'échangeur, il y a une ville minuscule.
Les bus et les voitures tournent autour de ce recoin de terre, creusent le sillon qui le sépare du reste de la ville morte. A travers une vitre, s'étalent des bouts de vie qui ne nous appartiendront jamais. Des gamins courent dans le rassemblement chancelant. Tout est cabane. La ville minuscule est à leur échelle.
Sur la carte, les eaux ont des couleurs différentes et s'assemblent dans une hybridation magique. Les tourbillons du fleuve se mêlent avec le calme de la rivière.
Une équipe de marketing en a fait un slogan là où les eaux se mêlent. C'est un événement culturel, c'est une célébration. Au milieu, le triangle de terre devient un bout du monde, accessible en tramway.