Je pense à ma sœur et à tous ses projets. Elle fabrique, coud, remue la terre, achète trop de pommes, en fait des compotes. Loin d'une fermeture autour du monde parfait d'une maison catalogue, c'est une suite de petites réalisations qui forment un ensemble chaleureux.
J'ai pris un bus dans une ville inconnue. Je déchiffre mal les noms qui s'affichent sur les arrêts.
Comme souvent, cela commence par une fuite. “Je viendrai” et je ne viens pas. “Je resterai” et je pars. Cette fois-ci, j'ai quitté une énième soirée étudiante, un apéro, ou peut-être une colocation vide. J'ai sur moi un paquet de cigarettes, des pièces étranges et Radiohead qui me chante comment disparaître. Je suis sorti⋅e de la résidence et j'ai pris le premier bus.
J'aime bien gagner. Je ne fais pas partie de celles et ceux, modestes, qui doutent inlassablement, tentent de choses sans y croire et disent “je ne fais ça que pour essayer”. Je crois à ma chance à chaque fois.
Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront.
Quitte ton travail
Impose toi une routine stricte
Fais de la course à pieds
Le gluten tu sais
Est-ce que tu fais du yoga
Tu as lu le dernier d'Emmanuel Carrère, il a comme toi
La ville aussi, c'est pas un bon environnement
Tous ces conseils deviennent des échecs à l'instant même où ils sont formulés.
La ville morte a connu la frénésie du grand départ pré-confinement une nouvelle fois. Des kilomètres de bouchon le long des deux rives ont créé une panique de klaxons et de cris. Deux personnes, casques sur la tête ont couru sur un boulevard entier après un potentiel voleur. Les intersections étaient bouchées par des voitures optimistes qui pensaient “c'est vert je traverse je m'en fous”.
On a acheté des chips et on s'est doucement demandé à quoi allait ressembler cette deuxième fin du monde.
Les figuiers envahissent le village
une racine à la fois
bouffent le béton, s'installent dans les interstices
raclent les fonds
et avancent dans les profondeurs.
Le figuier du jardin
est arrosé une fois par semaine
a plus de lumière que de raison
et pourtant crève
un peu plus tous les mois
Elle fume une cigarette devant le poste de police. Ses cheveux blonds cendrés tombent sur des yeux gris. Cernes qui ferment le regard dans un nuage de fumée. Elle parle dans le vide du kit main libre. Ses yeux se perdent dans le vague du gris matinal. Elle fume et ça découpe ses mots d'une manière peu naturelle. Un mot, une bouffée, un deuxième mot une expiration. On se demande s'il y a quelqu'un de l'autre côté des ondes.
“Ici c'est une gare multimodale” dit une petite à sa mère. Les élastiques multicolores de ses cheveux illuminent son visage qui arbore un air docte. Elle saute de son siège et sort du bus avant sa mère. Elle la tire par la main et lui montre qu'elle connaît le chemin vers ce nouveau mot : “gare multimodale”.
En marchant, elle continue : “c'est une gare multimodale car il y a des bus, le métro, des voitures, des vélos, cela permet de connecter les gens qui peuvent aller au travail facilement.” Elle se retourne vers sa mère, ses tresses dansent sur le sommet de sa tête et elle s'exclame “on a vraiment de la chance, maman, d'avoir une gare multimodale vers chez nous !”.
Je ne regrette pas le brouillard. La nostalgie des états mélancoliques m'est étrangère. Il m'est très difficile de comprendre la vision romantique des états dépressifs, encore plus sa glorification.
Une amie me disait, en parlant de son adolescence “je regrette ces moments d'extrême sensibilité, même si je sais que c'est con, que j'allais mal”. C'était un paradoxe : comment regretter ces états de tristesse où la douleur est partout ?
Trois mots sont écrits sur un post-it collé sur un téléphone. L'homme le tient fermement, des petites tâches de buée se forment autour de l'écran. Je ne vois pas quelles lettres se forment dans le griffonnage. Les yeux de l'homme sont plongés dans son reflet dans la vitre du bus. Sa présence se détache et s'efface tout à la fois dans cette fin d'après-midi.
Sur ce bout de papier jaune et lumineux, j'imagine qu'il est écrit un bout de prière. Je veux croire qu'il s'agit de mots magiques, recopiés avec soin, en pensant à un être cher, à une chose minuscule et infime. Le regard de l'homme me dit qu'il aurait besoin de ce bout d'infini qu'on trouve dans la plus insignifiante des choses.