La vie avec ma Nanny 6/12 ans

Ma Nanny avait dû devenir spécialiste dans le soin spécifique des athlètes des « sports de combat ». Ça nous faisait beaucoup rire, elle avait fait venir des tas de livres des USA, et avait fait acheter une table de massage ainsi qu'un assortiment incroyable de médicaments, crêmes et lotions. Ces séances de massage nous ont beaucoup rapprochées et favorisé une intimité presque aussi tendre qu'avec ma maman.

Cependant les marques se raréfièrent vite, au début, il faut avouer que pour les éviter, je fis de rapides progrès dans la concentration et mon application aux exercices, mes muscles se durcirent, les crampes disparurent, je devins endurante. Ça n'était pas négligeable, car mes professeures avaient remarqué la présence de ces marques et s'en étaient inquiétées. J'avais expliqué qu'elles étaient causées par mon entraînement, cependant ma Nanny avait été obligée de le confirmer. Mon père n'a jamais été inquiété, en cette circonstance comme dans d'autres, il était un personnage trop important pour être dérangé par des détails mineurs concernant la plus jeune de ses enfants, de plus, une fille. L'affaire fut classée. C'est lorsqu'on passa aux choses sérieuses et que je commençai l'apprentissage des kata avec mon frère comme partenaire que les bleus revinrent de plus belle car il portait vraiment les coups et malheur à moi si mes parades étaient défectueuses, ce qui, naturellement était fréquent au début, mais personne n'en parla plus jamais. J'insiste pour rappeler que l'autorité des hommes de ma famille était pour moi une chose admise, ancrée au plus profond de mon être, j'étais une petite fille bien dressée, sage, modeste, effacée, docile. La brutalité, la violence des rapports étaient de choses bien sûr extrêmement déplaisantes mais normales.

Au fil des mois, puis des années, l'affection se renforçait entre ma Nanny et moi, nous étions devenues complices, avec elle je riais à nouveau, elle m'apprenait des chansons de son pays, on avait commencé par « London bridge is falling down… » puis « Yankee doodle », mais j'ai oublié celui-là, et surtout ma chanson préférée « Que sera sera, what ever will be will be…» que nous chantions en chœur tout en dansant ce que je sus plus tard être une valse.

Un jour je me rendis compte avec étonnement et tristesse que je n'arrivais plus à évoquer le visage de ma maman, je ne m'en souvenais plus que comme d'une silhouette en kimono, un de ces beaux costumes qu'elle aimait porter parfois pour les fêtes, ce devait être à la fin de ma 8e année, ma Nanny préparait mon 8e anniversaire. Une fête entre elle et moi, personne dans la maison ne s'avisait jamais de me le fêter depuis la disparition de Maman. Nous étions donc en été, il faisait chaud, pour la première fois de ma vie, en tout cas dans mes souvenirs, on m'a embrassée. Je ne peux décrire ma surprise, ma stupéfaction. On ne s'embrasse pas beaucoup au Japon, dans ma famille jamais. Les marques d'affection, ça ne se fait pas, c'est tout à fait inconvenant. Ma Nanny, américaine, n'avait aucun tabou à cet égard. J'ai dû être terriblement gênée et indécise, elle a dû le voir, et probablement en être peinée car elle m'aimait vraiment. Ce souvenir me désole car, moi aussi, je commençais à éprouver pour elle une réelle affection, elle la méritait. On lui avait aménagé une chambre à côté de celle où je dormais, avec un lit européen. Il me fascinait, c'était la première fois que j'en voyais un, mon père, nationaliste enragé, tenait absolument à ce que toute sa famille vive « à la japonaise » de manière traditionnelle, je ne connaissais donc que les futons. Comme tous les enfants j'aimais à venir me blottir la nuit à côté de maman, il me suffisait de transporter ma couette, elle me faisait une place à ses côtés, je n'avait pas besoin de beaucoup. Avec Nanny, j'étais bourrée de curiosité mêlée d'autant de timidité, mais ce lit me fascinait. Apres « l'incident » du bisou, je me sentis le devoir de me rattraper, un soir donc, alors que la nuit était tombée, je grattai à  sa porte. Nanny était en train de lire, j'entrai timidement, elle me fit une place à côté d'elle. La sensation était bizarre, perchée sur cet épais matelas élastique je rebondissais à chaque mouvement, c'était comme un jeu… Je dormis mal, Nanny encore plus, cependant elle ne me demanda pas de cesser de m'agiter et supporta ce petit lézard jusqu'au matin, avec cette patience infinie qu'elle a toujours manifestée à mon égard. Je revins de nombreuses fois encore dormir dans sa chambre, mais d'un commun accord, je dormais par terre sur un futon.


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