Unvarnished diary of a lill Japanese mouse

Les notes du laptop, par NEKO

Grand-tante

Donc, hier au soir (mercredi 1er juin) nous sommes arrivées chez A, la grand-tante de A. C’est une dame très âgée, A est la seule famille qui lui reste, elle l’aime énormément, mais elle trouve super que nous partions pour le Japon quand même, elle a eu elle aussi une vie aventureuse. Elle parle russe et anglais couramment, aussi bien que le français et l’allemand. Elle vit avec une dame, âgée aussi mais moins, qui l’aide au quotidien. Hier au soir ça parlait toutes les langues, le russe et l’allemand je comprends rien, mais le reste ça va, je pouvais même parler en japonais, A traduisait c’était assez rigolo. La grande tante voulait fêter notre arrivée pour le départ, car elle disait que probablement on ne la reverrait jamais vivante. Alors c’était champagne et champagne et champagne. Mais qu’est-ce qu’elles boivent ces femmes russes… On a mangé et bu pas mal, c’était fameusement bon, même du caviar, ouh. Forcément au bout d’un moment j’étais assez badaouette et comme dans le temps à Nara je me suis endormie un petit moment, puis réveillée… Bref on s’est couchées très tard, surtout pour moi, et réveillées très tard, mais j’avais pas du tout mal à la tête ni rien. On est restées au lit un moment toutes les 2, je vous décrirai pas ce qu’on a fait, mais la grande tante ça l’a fait drôlement rire quand on est venues pour le petit déj. Elle m’a dit qu’au moins je faisais les choses à fond, pas en amateur. 😄 Après ça on a pris un bain dans une baignoire gigantesque et ça m’a fait un bien fou, j’avais pas pris de bain depuis qu’on était revenues à Paris, j’ai du mal à m’en passer. Là, dans cette baignoire où on peut mettre un pétrolier, c’était royal, à deux, face à face… On va avoir des cadeaux puisque A (la grand-tante) nous considérait comme officiellement fiancées, mais elle nous a pas dit quoi. Oh oh, suspens… Voilà pour le dernier mercredi passé en France. Le compte à rebours est commencé !

nuit du 4 au 5 juin 2022

La nuit arrive c'est fini le départ a commencé je ne suis déjà plus en France je flotte dans un monde flou qui s'assombrit entre aujourd'hui et demain aujourd’hui la France et demain dans les airs suspendue nulle part dans le vide entre la vie passée et la vie à venir entre ce qui a été et ce qui n’est pas encore

JOURNAL D’UNE PETITE SOURIS À TÔKYÔ (1)

On vole, on vole, plus de 13 heures d’ennui, de crampes, de sommeil bizarre, on ne sait pas si on dort, et d’un coup on sort d’un rêve désagréable dont le souvenir disparaît aussitôt en laissant un malaise au cœur. À côté de moi, A est détendue, j’envie son calme, sa façon de s’échapper loin loin, elle sort de son livre et me sourit, me prend la main ou alors pose la sienne sur ma cuisse. Elle sait mon angoisse. Pas la peur de l’avion, non, ce poisseux malaise de revenir à mon point de départ d’il y a 3 ans… On n’est pas très confortables dans cet avion, heureusement je ne suis pas une belle Française aux longues jambes, j’ai davantage de place, en longueur, que ma souveraine. Le rageant, (trouvé un prétexte à ma mauvaise humeur) le rageant c’est que l’avion n’est pas du tout plein. On devrait pouvoir enlever des sièges pour faire davantage de place aux voyageuses. Il y a surtout des Japonais et des Coréens, donc le silence discret des uns, les chuchotements agaçants des autres. Les hôtesses sont aimables, pas plus, mais elles apprécient que je parle un français compréhensible, que je sois souriante (au Japon on ne sourit pas au personnel) et pas chiante. Un souci de moins. Bref, on se fait chier.

Plongée dans les nuages, il fait nuit, il pleut, on ne voit même pas Fujisan, une arrivée qu’on peut souhaiter à ses ennemis. On boucle-les-ceintures-ladies-and-gentlemen, ça secoue un peu, ya du vent ? Les lumières de Tôkyô, la piste qui défile à toute allure, un rebond ou 2, on roule, on s’arrête. On se regarde, on se sourit, A, son sourire généreux, confiant, fort, Neko son sourire japonais de circonstance, elle voudrait se cacher sous le siège, dans la trappe à bagage, les wc, n’importe où, mais pas sortir du cocon. Elle me prend la main, la serre fort fort fort, je sens son courage qui me gonfle le cœur, on sort. Quand je dis on sort, rien du tout, on passe d’un sas à un autre, d’un filtre à un autre, contrôle, douane, police, passeports, certificats, paperasse, bonjour mademoiselle machin, sourire, salut, le nom magique qui ouvre les portes, merde, ça continue.

Le hall, immense, et là, mes trois frères, l’aîné en tête, comme il se doit, mes trois belles-sœurs que je vois pour la première fois, oh, elle est drôlement jolie ma belle-sœur aînée… On s’affaire autour de nous, des hommes s’occupent de nos bagages, saluts, saluts, saluts, salutations formelles, on ne se saute pas au cou, ici, mais il y a des façons de saluer, très codifiées, nous avons toutes les deux droit aux plus respectueuses, je me sens rougir jusqu’à la base des cheveux, je ne peux pas, je rends les saluts avec encore plus de respect, si ça continue on va tous finir par terre. La France m’a totalement déshabituée de ça, ça n’est sans doute pas un mal mais il va falloir faire une mise à jour d’urgence. La grâce de A plane au-dessus de ça avec une élégance de reine. Je crois qu’elle fait très grosse impression. Présentations formelles.

Il est quatre heures et demie du matin, ma famille s’est donné la peine de venir au grand complet pour accueillir le mouton noir, la gouine et sa maîtresse, la bannie, l’exilée, l’ex-enfermée au fond des montagnes du Hokkaidô pour littéralement y crever par la volonté d’un père fasciste et tyrannique. La Terre a tourné.

L’aîné de la famille, le chef du clan, dirige les opérations, précise en phrases courtes une organisation huilée, tout est prévu, on nous sert un petit snack dans un salon privé, le temps de faire connaissance, A est félicitée pour son japonais, les compliments sont sincères, elle se débrouille très bien, même les modes de politesse, grosse impression, encore plus que son physique. Cinq heures ici, c’est dix heures du soir en France, je commence à dormir debout. C’est prévu. Une grosse voiture (blanche) nous attend, on nous emmène par les voies rapides luisantes de pluie, peu fréquentées encore à cette heure, je pique du nez, A regarde cette ville où elle va travailler si tout se passe bien, je comprends que ça soit fascinant… On nous a conduites dans une rue résidentielle, calme et bien éclairée, un petit immeuble moderne, porte à code, gardien qui nous salue, 3e étage, wow ! Un studio tout neuf, à la japonaise, dire clean c’est rien dire… J’en parlerai une autre fois. On nous laisse, sur la tablette d’entrée une longue lettre de mon frère, je la parcours rapidement, il nous donne plein d’informations pratiques, plus un message à l’attention de A, rédigé en anglais. Rendez-vous demain, c’est à dire le 7 du 6e mois, il enverra une voiture, pourquoi je ne sais pas.

Je suis toute nue, chat sauvage décoiffé, fringues en vrac par terre, tandis que A prend son temps pour faire connaissance avec la salle de bain hyper perfectionnée. On verra demain pour le bain, je m’effondre sur le lit, à peine le temps de voir une déesse blonde me couvrir de la couette bleue et blanc, je pense qu’elle a déjà réglé la climatisation, moi, je dors, Je Dors, JE DORS !

JOURNAL D'UNE PETITE SOURIS À TÔKYÔ (2)

Mardi 7 Juin. Réveillée à midi, c'est 5h en France, donc normal. On se prépare pour le rendez-vous. Visiblement A en sait plus que moi, probablement par le message de mon frère à son intention (naturellement je ne l'ai pas lu), elle me conseille de me vêtir sérieux, elle-même est en tailleur genre salarywoman, elle a mis des bas, comme toute femme au japon occupant un emploi de bureau… curieux. Sérieux, je ne sais pas quoi mettre. Je vais mettre ma jupe la plus longue, la bleu marine schoolgirl, avec les chaussettes hautes noires, une chemise blanche et un sweat bleu (il fait moins chaud que à paris) et A me prête des chaussures noires basses (je ne sais pas marcher comme elle, avec les talons je me tords les chevilles). La culotte ? Ha ha, la culotte sera grise et sage. À l'heure dite la voiture nous attend au bas de l'immeuble (salut du gardien, tiens c'est pas le même). On roule, on roule, à un moment je reconnais vaguement le quartier, mais où et quand ai-je vu ces rues ? On y est, c'est le sanctuaire shintô de la famille, c'est ici qu'ont lieu les cérémonies de commémoration pour les ancêtres en général et le grand-père en particulier, c'est ici que j'ai déballé mon sac à l'âge de 16 ans, c'est d'ici que je suis partie en punition au Hokkaidô etc. Mes genoux ont du mal à me porter, A est souriante, elle me prend par le bras, on monte les marches, on salue, on avance dans l'allée par le côté, comme il se doit, c'est moi qui ai appris ça à ma souveraine, on fait les ablutions, les mains, la bouche, on entre dans le petit bâtiment à droite, la salle privée familiale, je crois bien que je tremble, toute la famille est là, il y a aussi des hauts cadres et des proches, les hommes en costume sombre, les femmes en kimono de cérémonie, le silence est si épais j'ai du mal à avancer, j'ai l'impression de ramer dans une toile d'araignée, je fais quelques pas avant de me rendre compte que A m'a lâchée, elle se tient en retrait, sur le côté droit, je suis seule, debout, immobile, et soudain mes trois frères me saluent profondément, mes belles-sœurs aussi, mon frère aîné prend la parole d'une voix forte pour que tout le monde entende, je suis comme une statue, pétrifiée pour mille ans… Il me demande pardon, il me prie de bien vouloir lui pardonner de ne pas l'avoir défendue contre notre père, d'avoir été lâche et aveugle, d'avoir laissé faire une grave injustice, ne pas avoir traité sa petite sœur comme devrait faire un frère aîné, avec amour et courage. Ça n'est pas du chiqué, sa voix est parfaitement sincère, mes deux autres frères en font autant, mes belles-sœurs me prient de pardonner… La tête me tourne, je crois que si je n'avais pas derrière moi des siècles d'éducation incroyablement stricte capable de faire tenir debout un cadavre, je tomberais là, par terre, sous le coup de l'émotion. Je ne sais pas quoi faire, le silence qui s'est installé dans la salle dure je ne sais pas, un siècle ? Il me bourdonne aux oreilles, j'entends mon cœur qui frappe pour s'envoler… je fais trois pas, je salue profondément, deux fois, encore un pas, je prends les deux mains de mon frère, chose totalement inconvenante mais je m'en tape, je les porte à mon visage, et je lui souris, je souris à mon frère pour la première fois de ma vie je le jure, et je dis juste Bon, ok, d'accord, on va repartir sur ces bases. Tout le monde applaudit, mon frère me salue encore, je crois qu'il est super ému, de la main il invite A à rejoindre le groupe, elle m'étreint la main droite, mes jambes ne me portent plus, je crois bien que je ne touche plus terre. Le reste se passe dans un brouillard de rêve doré, la bénédiction du prêtre avec les gohei, le cérémonial, un grand repas traditionnel dans un salon privé dont le prix sans doute m'aurait fait vivre un an dans le sud de la France, on parle on parle, on se raconte, mon frère nous regarde, A et moi, avec comme un sourire dans les yeux, je crois que je l'ai libéré d'un très vieux poids, et me revient d'un coup sa phrase inachevée à la fin de notre duel « Je regrette…» c'était peut-être ça, déjà un début de prise de conscience.

Mardi 7 Juin, nous rentrons au studio en fin d’après-midi, il est 7h du soir ici, ça doit faire 12 h en France, je pense aux amis laissés là-bas, je vais envoyer un mail à C et G avec le portable qu'on m'a prêté, nos abonnements ici ne sont pas encore activés je ne sais pas pourquoi ça aurait dû être fait pour notre arrivée. Bienvenue dans ton pays, bienvenue dans ta famille, Neko, bon, finalement ça commence pas si mal.

Oh, je t'aime, A, je t'aime je t'aime je t'aime, merci d'être là, merci de me tenir debout, sans toi derrière moi je n'aurai pas pu.

JOURNAL D'UNE PETITE SOURIS À TÔKYÔ (Ichikawa) (3)

Mardi 21 juin 2022

J'ai un peu perdu le fil, il s'est passé beaucoup de choses depuis le 7 juin et je n'ai rien noté, ça va encore être un journal du laptop en désordre. Arriverai-je à être ordonnée un jour ?

J'écris de notre maison, à Ichikawa, ville tout près de Tôkyô, il faut ½ heure de métro ou de train pour être à Shinjuku, comme quand on habite dans un arrondissement extérieur à Paris, quoi. Il fait chaud, c'est normal ici, en été, et il pleut, c'est normal aussi. Je suis dans la pièce du haut, le seul étage de la maison, une pièce carrée assez grande, 30 m² (?) avec des toits rigolos, plein de recoins et une espèce de fenêtre à l'est qui prend le lever du soleil. Je connais pas la surface de la maison, je m'en fous un peu, c'est grand pour deux, ça me suffit de le savoir. Le jardin est complètement fermé par les arbres, qui entourent la maison de très près, c'est super, ça garde l'air plus frais, les maisons à gauche n'en ont pas, à droite c'est les arbres aussi. Quand j'étais petite c'était la campagne, il y avait des champs et des arbres, Il n'y a plus beaucoup de champs (juste devant la maison, de l'autre côté de la rue ) et on a abattu les arbres pour construire des petites maisons moches. Les voisins ont l'air gentils quand même, ils sont très curieux de A, forcément, mais aucun n'a connu ma grand-mère, ils sont tous arrivés longtemps après sa mort, en 2019 et 2020.

Bon.

Je ne vais pas parler maintenant de notre dimanche « en famille », parce que c'est trop frais, ça a été très fort et très perturbant pas seulement pour moi… mon frère culpabilise énormément de ce que j'ai vécu, de la façon dont il m'a lui-même traitée de 6 à 12 ans, de ce que j'ai été abusée puis violée à plusieurs reprises, ça ne passe pas du tout et ce que j'ai subi dans la secte non plus, pourtant je suis loin d'avoir tout raconté. Je ne raconterai jamais je crois. En plus de sa honte il est dans une colère terrible. En d'autres siècles des têtes seraient tombées, je vois bien qu'il le regrette… Ses enfants sont très beaux, très sages et gentils, timides avec leurs deux nouvelles tantes, fascinés par les cheveux de A et ses yeux si bleus… Leur maman nous accueille avec beaucoup de simplicité et d'affection, on s'entend bien, nous sommes devenues tout de suite très proches, autant que peuvent l'être des Japonaises.

On a passé tout notre temps à Tôkyô en paperasses et à aller-venir dans les administrations, ce n'est pas simple pour A, mais son intégration dans son centre de recherche ne fait pas problème. On a passé « l'examen soirée arrosée » haut la main, A a gagné le respect de ses collègues mâles, la sympathie de son unique collègue féminine, moi je m'en suis tirée en trichant mais personne n'a rien vu, d'ailleurs le sujet ça n'était pas moi, juste présente comme interprète, inutile mais symboliquement indispensable. En fait les mecs ont voulu faire les malins et ils ont fini bourrés, je pense qu'ils ne sont pas très habitués, mais ils voulaient piéger les filles, ce sont bien des mecs, A sait boire plus intelligemment, nous sommes reparties debout et dignes…

Samedi et dimanche 18 et 19 juin nous avons donc emménagé dans notre maison, avec l'aide de nos trois belles-sœurs pour faire un grand ménage, ça n'était pas inutile. Ça a été émouvant pour moi de retrouver cette maison traditionnelle que je n'avais plus vue depuis la mort de ma grand-mère, j'avais 6 ans, ça faisait donc longtemps… Évidemment elle m'a paru plus petite que dans mon souvenir, mais tout était comme je connaissais, et c'est réellement une grande maison. Je ne sais pas pourquoi on a gardé cette maison en état, elle n'était pas la mère de mon père et je sais qu'ils ne s'aimaient pas beaucoup. En prévision de notre arrivée les tatamis ont été changés et les shôji refaits à neuf. De ma grand-mère il ne reste que les meubles, la literie et quelques petites choses, pas de souvenirs, mais mon frère m'a donné une photo d'elle et ses accessoires pour l’hôtel. La salle de bain est à l'ancienne, on s'en fout, il y a une baignoire traditionnelle en carrelage, assez grande pour 2, c'est super, même si elle n'est pas chauffante. La cuisine est en bon état aussi, il n'y a que le jardin qui ait été négligé, mais il est petit, ça ne nous donnera pas un gros travail. A installe son bureau en bas, moi je vais m'installer dans la pièce du haut où on pourra dormir aussi. Le wifi fonctionne dans toutes les pièces, c'est une maison de bois :–)

Reste à attendre la livraison de nos caisses, elles sont en douane, ça ne devrait pas tarder. On va s'acheter des vélos aussi, plus tard A achètera une auto sans doute, ça lui fera gagner ¼ h sur ses trajets, elle peut disposer d'une place de parking à son travail.

JOURNAL D'UNE PETITE SOURIS À TÔKYÔ (Ichikawa) (4)

Samedi 2 Juillet 2022

Nous avions rendez-vous dans le quartier de Chiba avec notre sœur aînée, elle nous invitait à manger le bœuf de Kobe dans un super restaurant très cher et très fameux. Je passe sur le repas, effectivement très cher et très fameux, on a bu du Bordeaux parfait, après ça on a fini très tard dans la nuit dans un bar en buvant de la vodka, pour finir j’étais bourrée, bourrée aussi d’émotions et d’informations et c’est de ça que je vais parler.

Je présente d’abord l’épouse de mon frère aîné : elle a fait des études, à Tôkyô, mais aussi en Angleterre 3 ans, elle parle un anglais très beau, pas comme mon américain de petite fille. Elle est spécialisée dans le droit commercial international, c’est comme ça que mon frère l’a rencontrée puis épousée. Elle ne s’est jamais entendue avec le père, qui détestait les femmes intellectuelles, et ça a commencé à faire réfléchir son mari…

J’ai appris comme ça que notre père tenait un journal, un journal abominable, qui a bouleversé mon frère quand il a commencé à lire. Mon père me haïssait des la naissance, car je prenais la place du 4e fils qu’il voulait et maman ne pouvait plus avoir d’enfant. C’est pour ça il n’a même pas voulu s’occuper de mon prénom, c’est un moine, consulté par ma grand-mère qui l’a choisi. Il ne m’a pratiquement jamais regardée et au départ de ma Nanny, il m’a fourguée à son frère pour ne plus entendre parler de moi. Mes frères ont été élevés dans la détestation et surtout le mépris de cette petite fille qui était assimilée à une étrangère. Après mon premier viol, un peu avant 15 ans, je suis tombée malade, je ne me nourrissais plus, la version officielle c’était que je faisais une dépression après la mort aux USA de ma Nanny. Je ne savais même pas qu’elle était morte, on ne me l’avait pas dit, pas plus qu’on me donnait les lettres qu’elle m’écrivait. Quand j’ai tout déballé mon sac, ce fameux jour vers 16 ans, la version officielle était que j’étais devenue folle, et on m’a expédiée sous sédatifs dans le Hokkaidô « pour me soigner dans une clinique spécialisée », tu parles, je me suis retrouvée au bagne pour 3 ans dans cette secte. Mon père était au courant des traitements qu’on me faisait, peut-être pas en détail, mais il savait que j’étais très mal traitée, possible qu’il en tirait plaisir, comme une vengeance, mais le contrat était clair : le débarrasser de moi définitivement. En fait il m’avait condamnée à mort et la nuit ou je l’ai enfin croisée de si prés, il était d’accord pour qu’on me laisse mourir, il y aurait eu un certificat de décès en bonne forme et c’était réglé, ça n’a pas marché, un miracle. Il y a eu beaucoup de miracles dans ma vie. Quand la police m’a trouvée et tout ce qui s’en est suivi, mon frère a été sidéré d’apprendre d’un coup la vérité, mais l’emprise de notre père était tellement forte que personne n’a osé réagir, et il n’a pas réalisé complètement. Après il y a eu Nara, le scandale des photos lesbiennes et à nouveau tous les torts étaient de mon côté, forcément. C’est à peu près en même temps qu’il s’est marié, un peu plus tard il a appris sa stérilité, puis notre père est mort et j''ai renoncé à l’héritage, tout ça l’avait beaucoup troublé encore et en plus, de France je l’ai provoqué en duel. Ma belle-sœur n’était pas d’accord qu’il accepte. Elle pensait que j’allais perdre, mon frère étant d’un niveau officiellement supérieur à moi, et trouvait pas bien qu’il se plaise à ça, on ne se conduit pas comme ça avec sa petite sœur, au risque de la rendre infirme, elle pensait que j’avais eu assez… Quand il est revenu il avait complètement changé, elle m’a dit, devenu très songeur et c’est à partir de ça qu’il a commencé à fouiller dans les archives de notre père et fait toutes ces découvertes qui ont changé complètement sa façon de voir et créé cet énorme sentiment de culpabilité, il s’est senti déshonoré c’est pour ça qu’il a voulu me faire des excuses formelles et publiques et qu’il a poussé nos deux frères à faire autant. Notre père sembla avoir vu la stérilité de ses trois fils comme une punition, pas pour ce qu’il m’avait fait vivre, il n’a jamais eu un mot de regret pour moi, punition pour la dureté avec laquelle il avait élevé ses trois garçons, parce que eux non plus n’ont pas rigolé tous les jours, surtout mon troisième frère, rêveur et esthète, beaucoup plus attiré par la littérature et la poésie que par le monde des affaires. Tous les trois ont été forcés à afficher une virilité bruyante et agressive… Je ressors de ça avec le sentiment d’un triste gâchis par la faute d’un fou, un père tyrannique abusif qui n’aura semé que le malheur autour de lui, mais nous sommes encore jeunes, le passé ne se change pas et il nous manquera toujours une enfance heureuse et commune, mais peut-être, avec le temps allons-nous réussir à construire un présent paisible, ou même affectueux ? Je sens notre sœur et frère aînés vouloir le tenter et je suis partante, je n’ai plus de rancune.

Ichikawa 3e semaine du 7e mois.

Dans les verres posés au sol la mousse ressemble à de la crème, elle nous a fait des moustaches. De la pointe de la langue, je trace le fin contour de ta lèvre supérieure. Ta main, là, sous mon ventre, oh, c’est bon. Nous échangeons un long baiser, j’écarte légèrement les cuisses pour accueillir mieux ta caresse. Je dois me hisser sur les pieds pour que nos seins se touchent, mon ventre collé au tien. Un vent léger passant par les cloisons ouvertes emmêle nos cheveux, le blond le noir se mélangent. Mes mains sur tes fesses, ta main dans mon dos me pousse encore vers toi tandis que l’autre me tire les premiers gémissements, je ne vais pas pouvoir rester debout, mes jambes fléchissent, oh là là, allongeons-nous mon amour…

JOURNAL DU LAPTOP Juillet 2022 J'ai essayé de rester pudique autant que le sujet me le permet, ce texte ne veut surtout pas être provocant ni érotique, malgré l'avertissement en titre.

Quand je suis sortie de l'hôpital de Sapporo, bourrée de médicaments, j'étais comme morte à l'intérieur. Je ne ressentais plus rien, le monde autour de moi était emballé dans du coton. Insupportable. Alors j'ai cessé les médicaments, et forcément la souffrance est revenue et les cauchemars sont arrivés aussi, j'étais encore amaigrie, mon corps me dégoûtait… J'ai compris que j'avais à choisir entre vivre douloureusement ou devenir zombie. J'ai pensé que, avec le temps, si j'affrontais la souffrance, peut-être que je m'habituerai,  alors j'ai jeté les médocs. J'ai déjà raconté ici et là comment, grâce à ma petite amie de Nara, le travail de modèle et mes amis C et G j'ai recommencé à habiter mon corps, cessé de le mépriser et le regarder comme l'objet qu'en avaient fait ces salauds. Ça a été la première étape.

Ensuite j'étais encore bourrée de phobies terribles, je ne supportais absolument aucun contact agressif, le simple fait de me tenir le poignet me faisait perdre tout contrôle, arrivée à Paris en 2019, ça m'a valu 2 gardes à vue extrêmement pénibles mais aussi ma rencontre avec A, j'ai déjà raconté ça.

On m'a conseillé des tas de thérapies, la prière, mais j'avais eu mon compte de secte, des tisanes ou des pierres magiques, tout un fourbi.

Aujourd'hui ou j'écris, dans la 3e semaine du 7e mois, en seiza devant mon laptop posé sur le kotatsu, dans ma maison, héritée de ma grand-mère maternelle, je peux enfin écrire « Voilà, c'est fait, avec l'aide tendre et patiente de la femme que j'ai choisie et qui m'a choisie, j'ai vaincu totalement cette peur affreuse d'être entravée ». Il aura fallu 3 ans de la patience et de l'amour de A et la confiance totale que j'ai placée dans cet amour pour venir à bout de mon démon. Alors comment ? Puisque mon problème se manifeste par mon corps, alors c'est au corps qu'on va s'adresser. Bien sûr le traumatisme est psychologique, mais ce corps rétif, cette chair qui se hérisse, il faut l'apprivoiser. Je suis hypersensible, je peux arriver à l'orgasme par la seule caresse de mes seins, mais pas par la pénétration, ça me glace et ce n'est même pas la peine d'en parler. Sur ces bases A a commencé à explorer tendrement les possibilités amoureuses de ce petit corps par ailleurs, c'est vrai, gourmand. Mes seins, mon clitoris ont été convaincus dès la première fois, par bonheur ils ont suffi un long moment. Petit à petit A m'a amenée à me détendre, à baisser ma garde, à lui abandonner tout mon corps sans réserve. Mon anus s'est laissé apprivoiser le premier. Jamais je n'aurais pensé que ce soit un jour possible. Au début étranges puis rigolotes, ces caresses sont devenues sources de plaisir. Comme je devenais de plus en plus capable d'abandon, nos jeux ont pris ce tour : je fais semblant d'être dans l'impossibilité d'utiliser mes mains tandis que A me caresse, au début je ne pouvais pas, puis, avec le temps, j'ai réussi à me détendre complètement. Tout ça a pris du temps, notre vie à été en désordre, nous avons été séparées longtemps, et ma «  thérapie » a connu de longues interruptions.

Je ne supportais toujours aucune contrainte matérielle, je ne porte même pas de montre. À noël 2021, j'ai offert ce cadeau à A : J'ai réussi à nouer moi-même un fil autour de mon poignet. Je le porte toujours, ça peut paraître dérisoire, mais ça a été une extraordinaire victoire sur moi-même. Nous voici enfin installées, vivant ensemble à Ichikawa, et nous avons mis beaucoup d'énergie à compenser le temps perdu…

Un soir, allongée sur le dos sur le tatami de la piece du haut, A a doucement fait descendre ma culotte, cette nuit sous les rafales de vent chargées d'une pluie lourde et bruyante sur les tuiles au dessus de nous, doucement, comme pour ne pas effaroucher un oiseau blessé, elle s'en est servie pour me lier les poignets au dessus de ma tête, j'étais prête, mon coeur battait si fort, couvrant le tintamarre, mais je n'ai pas bougé, doucement dans l'obscurité, sa langue a effleuré les pointes de mes seins, tout de suite excitées à hurler, doucement elle a écarté mes jambes… Je n'insiste pas, j'ai eu cette nuit plusieurs orgasmes comme jamais, j'ai senti me quitter les fantômes qui me hantaient depuis l'adolescence et les premiers abus, j'ai connu une paix que je ne savais pas exister, oh comme je me suis blottie dans ses bras, oh comme j'ai remercié les dieux. Oh comme je souhaite vivre indéfiniment à ses côtés…

Je ne pense pas avoir expulsé la totalité de mes démons, il doit en rester dans certains recoins obscurs, mais je suis tellement fière d'être libérée de certains si handicapants que je ne pouvais pas ne pas en faire part. Il m'aura fallu presque 10 ans pour arriver à ce point ou enfin je peux dire que les ravages causés par des traitements dégradants ont presque cessé d'empoisonner ma vie au quotidien.

21 juillet 2022

Longtemps en apnée j'ai plongé trop profond remonter a coûté tant d'efforts, je craignais de ne pas revoir la surface respirer je ne pouvais pas, c'est se noyer infailliblement revoir le ciel, remplir ses poumons d'air frais, j'avais cru ne jamais revenir.

C’est difficile à expliquer une fille qui ne supporte pas d’être entravée physiquement sans que ça lui déclenche des réflexes hyper violents (j’ai appris le kenjutsu dès 6 ans et maintenant je suis très bonne) à cause de viols et mauvais traitements dans son adolescence et jusqu’à 18 ans, et des traumatismes profonds que ça a entraînés, mais qui se soigne et arrive à guérir peu à peu grâce à la délicatesse et patience infinie de sa compagne, en jouant à des jeux érotiques où elle accepte finalement de se laisser attacher, etc. sans doute parce qu’elle sait qu’elle est aimée et sera respectée de bout en bout, que le but est son plaisir final à elle et pas du tout assouvir un désir de domination égoïste. Et j’y prends terriblement plaisir maintenant, ça me libère un peu plus à chaque fois. Pourtant il ne faut pas imaginer que nos rapports sexuels sont toujours sur ce mode, pas du tout, c’est seulement quand moi je me sens prête pour tenter de passer un cap, marche après marche, c’est moi qui décide de tout et A agit avec beaucoup de précautions, beaucoup d’amour et de douceur, comme pour apprivoiser un animal totalement sauvage, ce que, après tout, j’étais encore pas mal quand elle m’a connue. La plupart du temps, on s’aime sans avoir besoin d’imaginer ce genre de situation, vous savez.


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